Splitscreen-review Image de Le salaire de la peur d'Henri-Georges Clouzot

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Le Salaire de la peur et Les Diaboliques

Publié par - 21 novembre 2017

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

2017 en France, d’un point de vue cinématographique, sera l’année d'Henri-Georges Clouzot. Quarantième anniversaire de sa disparition et, en ce mois de novembre, cent dixième anniversaire de sa naissance. Pour saluer ces dates, l’œuvre du cinéaste a bénéficié d’une restauration d’envergure qui lui permet aujourd’hui de pouvoir être revisitée dans des conditions optimales. TF1 Studio participe de cette entreprise puisque, à travers la très belle collection Héritage, ils éditent deux des réalisations les plus connues, et accessoirement les plus réussies, de Clouzot : Le Salaire de la peur et Les Diaboliques.

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Qu’on le veuille ou non Henri-Georges Clouzot traverse le cinéma français en laissant derrière lui une empreinte indélébile. Tout cela en partie parce que son nom est associé à un spectre de commentaires qui s’étend d’une jeune cinéphilie qui en fit l'incarnation symbolique du cinéma qu’elle souhaitait combattre aux adulations de ses pairs en passant par une reconnaissance internationale. Ne serait-ce que pour cette antonymie de pensée, Clouzot est à envisager comme une étape incontournable pour tenter de comprendre l’histoire du cinéma français et du cinéma tout court.

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Cinéaste intellectuellement marqué par les révolutions techniques et esthétiques allemandes du début du XX siècle, Henri-Georges Clouzot s’est imposé comme le patron du film criminel à la française dès ses débuts avec L’Assassin habite au 21, Le Corbeau ou Quai des orfèvres. Les Diaboliques, plus tardif et objet de notre attention ici, n’a fait que prolonger et maintenir vivace l’image d’un démiurge sûr de son fait lorsqu’il s’agit d’échafauder des situations troubles, complexes qui tiennent en haleine une assemblée de spectateurs avertis ou non. Mais cette veine de films a également imposé Clouzot comme l’un des rares cinéastes européens à pouvoir rivaliser en ambitions artistiques, en démesure ou en maestria avec un certain cinéma de genre américain. Ce sera le cas également du Salaire de la peur sur un registre où, traditionnellement, les Français n’excellaient pas vraiment, le film d’aventures.

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Car si Clouzot est en mesure réaliser des films que le monde entier regarde avec envie, c’est justement parce qu’il entretient des liens assez évidents avec des cinéastes qui ont produit des œuvres universelles et pas uniquement assujetties à une culture et ses caractéristiques. C’est que le cinéma de Clouzot, même s’il est très "écrit", témoigne d’une attention toute particulière à l’image au sens large du terme. Souvent sont évoqués Lang ou Hitchcock pour aider à répertorier les obsessions de Clouzot. C’est évidence car les problématiques de son cinéma s'expriment sur des territoires aux spécificités voisines de celles de Lang ou Hitchcock : la culpabilité et la sexualité en premier lieu. Mais la comparaison ne se limite pas uniquement à des thématiques qui nourrissent la dramaturgie, ce serait réducteur. D’autres points de contact, plus formels cette fois, permettent d’inventorier les liens profonds qui unissent Clouzot et ses illustres collègues. Car il est orfèvre en maîtrise technique. Il est expert hors normes en domestication des outils de fabrication du film. Et, comme Lang ou Hitchcock, il exploite l'appareillage cinématographique pour servir des intentions qui visent à incorporer les projections ou les identifications des spectateurs au processus créatif du film. Clouzot est maître dans l’art de générer, d’entretenir, de maintenir et de régir une tension qui étreint le spectateur sans jamais le perdre ou le lasser. Autrement dit, il est un connaisseur averti des affects et des passions qui habitent la foule qui se presse dans les salles pour voir son travail.

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La tension chez Henri-Georges Clouzot n’est pas qu’alternance de climax et de préparations à ceux-ci mais elle trouve son essence dans la contamination de l’univers présenté à l'écran. Ce qui tend à construire, par conjugaison des techniques et du contenu, un suspens permanent. Le spectateur a le sentiment que tout peut arriver et n’importe quand puisque, à l’inverse d’un manichéisme de bon ton, chez Clouzot, le Mal est partout et nulle part et il peut à tout instant irradier les personnages et les images. Dans Le Salaire de la peur et Les Diaboliques, tous deux en Noir et Blanc, rien n'est réellement noir et rien n'est réellement blanc, tout est gris, à commencer par l'âme de ses personnages.

Le Salaire de la peur et Les Diaboliques, édités par TF1 studio, ont eu un retentissement international. Un prix obtenu au festival de Cannes, équivalent d’une palme d’or aujourd’hui, pour Le Salaire de la peur et puis, la force démonstrative de l’intrigue et son traitement visuel finirent d'établir la réputation planétaire du second, Les Diaboliques. Les deux films ont fait l’objet de remakes aux USA. Cela ne constitue en rien un gage qualitatif en soi mais cela témoigne assurément du pouvoir de fascination exercé par la mise en scène de Clouzot.

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Le succès mondial et notamment américain du Salaire de la peur et des Diaboliques ne se limite pas, comme certains ont voulu le prétendre, à une intrigue bien ficelée. Dans les années 50, les Américains sont habitués à des films à suspens haletants (Hitchcock, Lang, Preminger, etc.) mais construits selon des logiques invariables ou presque. Chez Clouzot, le suspens repose sur l’apparition d’éléments constitutifs du film qui feront dates et deviendront, dans les années 1980, la norme nouvelle de ce que l’on appelle communément aujourd’hui, le Néo-noir : twists scénaristiques ou coups de théâtre dans les ultimes instants, excès de plausibilité dans ce qui campe l’atmosphère filmique et éprouve le spectateur (chaleur, moiteur, poussières, sueurs, viscosité du pétrole dans Le Salaire de la peur ; pesanteur des corps et des objets, odeurs, gout de la nourriture, vétusté des lieux dans Les Diaboliques).

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Comparer Clouzot à Lang ou Hitchcock souligne avec humour combien les attaques formulées contre lui étaient finalement stupides puisque les réalisateurs cités figuraient parmi les cinéastes préférés de ses détracteurs. D’autant que les comparaisons sont aujourd’hui cohérentes à la relecture du Salaire de la peur et des Diaboliques. Composition des cadres, usage dramaturgique des éclairages, rigueur scénaristique, précision du montage, soin du découpage, etc. Autant d’éléments qui, finalement servent d’outils à la critique pour estimer les cinéastes. En somme, ce que nous autorise le cinéma de Clouzot, ce qui ne s’est jamais démenti de L’assassin habite au 21 jusqu’à ces Diaboliques en passant par Le salaire de la peur, films qui nous préoccupent ici, c’est une plongée dans l’âme humaine par auscultation de sa condition qui l’est tout autant (humaine).

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Une des vertus remarquables de Clouzot, et le tournage du Salaire de la peur en atteste, se vérifie par cette aptitude à universaliser l’espace filmique qu’il occupe : la Camargue n’a jamais été aussi proche de l’image d’une région latino-américaine. La condition humaine évoquée est typiquement française simplement parce que Clouzot l’était mais il ne confère à cette singularité que valeur d’exemple. Car la démonstration s’étend à une échelle qui excède les frontières de son pays d'origine. Si Clouzot, ses œuvres, ses sujets et le traitement de ceux-ci se sont exportés sous toutes les latitudes, c’est justement parce que la prétendue spécificité française de ses films ne compose en réalité qu’un échantillonnage des caractéristiques de l’humain en général et n’a surtout pas pour finalité de circonscrire son propos à la population française. Ce n’est pas la France qu’il peint mais le monde occidental.

Le Salaire de la peur et Les Diaboliques ont pour point commun d’affirmer, d’une certaine manière, combien Hollywood dominait et domine toujours le monde des images filmiques. Car la volonté de Clouzot, qui se manifeste dans Le Salaire de la peur et Les Diaboliques, est de bousculer le cinéma français et de tendre vers une forme de modernité qui passerait aussi (pas seulement certes mais tout de même) par une abolition des frontières culturelles ou sociales.

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Concluons par un mot sur les disques qui, en format Bluray, sont formidables. L'image est d'une précision inédite sur des œuvres déjà vues régulièrement lors de diffusion Tv ou d'éditions DVD. Le gain visuel perceptible ici invite d'autant plus à la découverte que la richesse de l'image est magnifiée.

Pour ce qui est des compléments, là encore, et dans la continuité de la collection Héritage, les deux films bénéficient d'un apport substantiel de bonus de qualité. Notons tout d'abord que Le Salaire de la peur et Les Diaboliques sont tous deux accompagnés d'un livret rédigé par Pascal Mérigeau (auteur d'un excellent ouvrage sur Renoir) qui, pour chaque réalisation, revient autant sur les origines des projets que leur production. Les textes se positionnent délibérément comme des introductions aux œuvres et non comme des analyses poussées ; stylistiquement, cela se lit et se déguste comme une nouvelle. Ce choix a le mérite de coïncider avec la notion de suspens évoqué plus haut et participe de l'éveil d'une curiosité grandissante à ce que proposent Le Salaire de la peur et Les Diaboliques.

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Les deux titres sont également accompagnés, en vidéo cette fois, d'une discussion entre Samuel Blumenfeld et Jean Ollé-Laprune qui évoquent à leur façon quelques anecdotes ou particularités des films. Parfois complémentaires parfois en désaccord, les regards des deux intervenants ont la saveur de ces bon vieux débats entre cinéphiles qui prolongeaient le bonheur des projections.

Enfin quelques interventions de cinéastes sont parfois touchantes (Bong Joon-ho sur Le Salaire de la peur ou Bernard Stora sur Les Diaboliques) et le plus souvent instructives et brillantes comme celle de Xavier Giannoli sur Le salaire de la peur qui retranscrit autant l'attraction exercée par Clouzot sur le cinéaste qu'il est, que la fascination dispensée par Clouzot sur Giannoli spectateur qu'il est aussi. L'analyse qu'il en livre est à la fois pertinente d'un point de vue technique et artistique et en même temps passionnée. Un ravissement. Le Salaire de la peur et Les Diaboliques édités par TF1 Studio sont exemplaires de ce que devrait être tout travail de restauration et tout travail éditorial consacré aux films. Deux éditions splendides.

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Crédit photographique : © TF1 Studio / © 1953 - TF1 Droits Aaudiovisuels - Vera Films / © 1954 - TF1 Droits Aaudiovisuels - Vera Films

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Compléments Le Salaire de la peur :
Blu-ray :
« Regards croisés sur Le Salaire de la peur », par Jean Ollé-Laprune et Samuel Blumenfeld (19’)
« L’extraordinaire ambition d’Henri-Georges Clouzot », par Xavier Giannoli (20’)
« Aux sources du choc original », par Bong Joon-ho (17’)
Souvenirs d’Yves Montand (2’)
La restauration du film (7’)
Bande-annonce originale
DVD :
« Regards croisés sur Le Salaire de la peur », par Jean Ollé-Laprune et Samuel Blumenfeld (19’)
Bande-annonce originale

Compléments Les Diaboliques :
« Regards croisés sur Les Diaboliques », par Jean Ollé-Laprune et Samuel Blumenfeld (23’)
Le film vu par Bernard Stora (20’)
Bande-annonce originale
Témoignages de Boileau et Narcejac (2’)

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