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Les sublimations de Liam Wong

Publié par - 30 novembre 2017

Catégorie(s): Photo

Une vocation naît parfois d'un voyage anodin qui se transforme en cheminement initiatique. C'est ce qui est arrivé au plus jeune directeur artistique d'Ubisoft. C'est durant le press-tour pour le jeu vidéo Far cry 4 que Liam Wong se "perdra" une première fois dans les rues tokyoïtes, avant de s'y égarer une nouvelle fois durant un second voyage, le temps d'errer quelques nuits pour prendre ses premiers clichés. De la rencontre de la ville avec le directeur artistique naquit le photographe et sa singularité, sa sensibilité et, de là, l’expression de sa personnalité. Le personnage principal de l’œuvre de Liam Wong est la mégalopole japonaise. Chaque ruelle, chaque bâtiment de Tokyo deviennent par, le prisme de l’appareil photo, une part de la personnalité de l’artiste.

Tokyo devient une entité écrasante comme en témoignent les premières photos de Liam Wong, celles d’immeubles enfermant l’individu dans une case. Des géants de béton armé à l’épreuve des séismes et donc à l’épreuve des hommes. Ces créatures s’agencent en réseau, en quartier, en prison des âmes. Les paysages sont plongés dans le noir de la nuit. Seules les lumières intérieures des logis survivent pour éclairer et réchauffer les individus et leur société. C’est une vision à la fois mystique et pessimiste qui se dégage de ses premiers travaux photographiques.

Dans les clichés suivants, Liam Wong se rapproche, arpente les rues, immortalise la vie et l’inerte, à hauteur d’homme. Les couleurs et le noir débattent dans le clair-obscur. Les couleurs sont alors amplifiées numériquement à travers Photoshop et ses filtres. Les images offrent une réalité augmentée, une vision digne de l’utilisation des procédés de post-processing dans le jeu vidéo où la caméra modifie la vision de l’univers qui entoure l’avatar. La ville est vaporeuse, flottante. Ses rues sont denses, emprisonnant la vie, elles semblent parasiter l’humain, les câbles ressemblent alors à des plantes grimpantes, les enseignes à des mirages. La filiation est évidente, on songe à des clones de Metropolis et ces villes qui peuplent la science-fiction ; pas étonnant en connaissant l’influence du travail de Syd Mead (designer de Tron et Blade Runner) sur l’univers artistique de Liam Wong. La ville semble se désorganiser malgré l’homme, laissant place au chaos organique.

Mais ce lieu, semble-t-il inhospitalier pour les êtres humains, n’est pas pour autant déserté. Le photographe capte alors les ombres errantes. En effet, on distingue peu ces habitants, réduits à leurs silhouettes ou leurs parapluies. Simples objets faisant partie de la ville. L’appareil fige alors les mouvements automatiques et dénués de sens. Il redéfinit le trivial des vies citadines. Le clair-obscur s’inverse, habituellement celui-ci met en avant les personnages comme dans les œuvres de Rembrandt ; ce n’est pas le cas ici. C’est le décor qui s'éclaircit et l’humain qui se fond dans le noir. Il s’efface face à sa production : l’urbanisme. Dans les photos, la verticalité n’est pas à l’avantage de l’humain. En regardant un cliché, on prend la mesure de la différence d’échelle et la puissance entre le vivant et l’inanimé. Ce dernier détermine la singularité de l’individu. Celui-ci est ignoré et s’efface devant le flux, il se perd dans la foule.

Cet individu, c’est aussi celui qui tient l’appareil photo. Ainsi la ville met en lumière les obsessions artistiques de Liam Wong. Les typographies et les couleurs sont alors omniprésentes comme dans son travail de graphiste. Dans les rares autoportraits au sein des structures urbaines, l’artiste se masque, niant sa propre identité et semble se protéger de ce réseau urbain hostile. Ainsi, qu’il soit photographié ou photographe, l’être se dilue dans son environnement. Il faut donc observer le décor, le théâtre de cette « disparition » pour comprendre ses états d’âme. Mais rassurons-nous, une barrière métaphysique émane de ses photos. La réalité est trahie par l’utilisation du numérique, ses images restent irréelles.

On pourrait parler alors de réalité virtuelle, une réalité fantasmée par l’artiste, une interprétation et donc une vision subjective et personnelle. En observant les Tokyoïtes, c’est Liam Wong que nous découvrons en détail. Le sujet principal de l’œuvre de l’artiste, c’est lui-même. Chaque photo est une sorte d’autoportrait. Il préfère sublimer les décors plutôt que l’individu. Ce n’est peut-être pas une vision pessimiste mais simplement une mise à distance du monde et son agitation. Il nous livre ses pensées de l’instant revues par le filtre de la retouche numérique. Un paysage de l’âme mis en scène par les techniques de l’infographie.

Crédit photographique : © Copyright Liam Wong® All rights reserved.

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