Splitscreen-review Image de 12 jours de Raymond Depardon

Accueil > Cinéma > 12 jours

12 jours

Publié par - 3 décembre 2017

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

D’une certaine manière, 12 jours synthétise le travail cinématographique de Raymond Depardon. En effet, 12 jours est un point de rencontre entre plusieurs axes thématiques chers au cinéaste. Il y est ainsi question des fonctionnements de l'institution médicale (comme dans San Clemente et Urgences), de l'institution judiciaire (à l'instar de Faits divers, Délits flagrants et 10ème chambre) au travers du regard du tiers citoyen incarné par Raymond Depardon. La rencontre a lieu dans un établissement psychiatrique situé dans une région que Depardon connait parfaitement, celle de ses origines. Il connait donc cette lumière qu’il guette au petit matin, ces brumes mystérieuses, inquiétantes et envoutantes, Depardon est en territoire connu. Depardon regarde. Il regarde et il voit, enfin il nous propose une vision de ce qui se situe au-delà de la simple image. Il nous permet de considérer et d’établir un état des lieux sur une démocratie en marche. D’autant que les dites institutions, en théorie, sont au service du citoyen, donc se soumettent à des principes qui sont la base du système politique qui les a mises en place.

Splitscreen-review Image de 12 jours de Raymond Depardon

Pour voir comment les organismes opèrent, il faut leur confronter la vie, l’humain. Il faut que la théorie trouve son application. C’est ce qu’a toujours fait Depardon dans les films précédemment cités : observer comment règles, textes de loi ou protocoles médicaux, pris dans une forme d’absolu, restent probants au contact des réalités de chacun. Une loi en date du 27 septembre 2013 va lui donner l’occasion, en un lieu particulier et une suite d’instants qui le sont tout autant, d’examiner ce qui résulte aujourd’hui de l’impact de l’institution sur l’homme, sur le citoyen. Cette loi précise que les patients hospitalisés sans consentement dans les hôpitaux psychiatriques doivent être présentés à un juge des libertés et de la détention avant 12 jours, puis tous les six mois si nécessaire. Ce qui est tout d’abord passionnant dans 12 jours, c’est de voir comment Depardon s’acclimate des contraintes fixées par les cadres judiciaires ou hospitaliers. Il ne peut s’affranchir de ses limites citoyennes qui, devant la complexité des domaines médicaux et juridiques, nécessitent pour une appréhension cohérente de leurs règles, un apprentissage professionnel qu’il ne possède pas. Il faudra donc en passer par l'écoute de l'humain qui est aussi un professionnel ou un patient.

Splitscreen-review Image de 12 jours de Raymond Depardon

Ses intentions, les mêmes depuis toujours, reposent sur un principe premier : traiter de manière égalitaire les protagonistes des séances filmées. Ce sera fait à partir de 3 caméras : une dirigée vers le magistrat, une autre sur le patient et la dernière compose un plan large qui réunit toutes les parties présentes. Ensuite, déterminer comment capturer l’image des individus. Ce sera comme toujours le plan fixe. La fixité du cadre offre de multiples vertus : établir une distance équivalente entre juge et patient (la distance permet de ne privilégier personne et tout le monde, la distance nivelle visuellement les rapports de force qui s’instaurent dans la discussion, etc.). Enfin, et ce n’est pas la moindre de ses qualités, le plan fixe renforce la capacité d’écoute du spectateur.

Splitscreen-review Image de 12 jours de Raymond Depardon

Mais qu’y a-t-il donc à écouter dans 12 jours ? La parole de l’autre. Cet autre qui est notre reflet, qui est celui que nous pourrions devenir, cet autre que nous connaissons peut-être, cet autre qui est là, à côté de nous et que nous ne voyons pas ou que nous ne voulons pas voir. Cet autre qui exprime une douleur, une souffrance, qui hurle et que nous n’entendons pas. Les mots, les propos ou même les silences incarnent finalement le seul espace de liberté envisageable pour les détenus (osons ce terme puisque les patients sont enfermés contre leur gré). Par les mots, ils peuvent dire ce qu’ils sont, ce qu’ils vivent, ce qu’ils endurent. Parler permet également une émergence capitale que nulle image ne saurait retranscrire convenablement : l’irreprésentable.

Splitscreen-review Image de 12 jours de Raymond Depardon

La parole affranchit inconsciemment l'individu des contraintes qu’il se fixe, qu'il soit un juge ou un patient. Autrement dit, le temps du verbe permet aux personnes de laisser émerger ce qu’ils souhaitaient plus ou moins consciemment taire ou dissimuler pour endosser le rôle que leur présuppose leur interlocuteur : le juge joue au juge et le patient tente, en sur-jouant le plus souvent, d'afficher une image de la "normalité" afin de paraitre réintégrable dans le corps social. Mais avec le temps, on ne joue plus à tenter d'être, on est. Un point c'est tout. Les mots libèrent la personnalité profonde et, de manière réciproque, permettent de pointer les limites de la mesure. Le juge se retranche derrière un jargon inadapté qui, dans sa forme comme son contenu, devient une véritable figure de l’incommunicabilité. Le patient, lui, doute du bienfondé de s’exprimer, de peur que tout ne soit interprété et interprétable. Ce qui s'exprime par le langage, c’est l’inadaptation de la procédure à l’humanité qu’elle traite.

Splitscreen-review Image de 12 jours de Raymond Depardon

La subjectivité de chacun prend alors le pas sur ce qui devrait, par l’intermédiaire de la loi, être quantifiable et estimable par tous. Point d’objectivité donc puisque tout texte, aussi magistral soit-il, ne peut anticiper sur les nuances affectives, émotionnelles ou sensitives auxquelles il se confronte. Sa portée, sa justesse et d’une certaine manière sa légitimité, sont rendues caduques en raison de la nature même de ce qui le structure : l'universel. Le constat est édifiant même si l’on ne peut douter de la sincérité du procédé.

Splitscreen-review Image de 12 jours de Raymond Depardon

Par contre, ce qui ne peut se dire et qui s'invite dans le débat de 12 jours, par la simple présence de Depardon, c'est la pratique réflexive et intellectuelle de l'institution. C'est dans le télescopage de plusieurs subjectivités que se dit ce qu'est notre civilisation et comment elle s’agence au quotidien. Les subjectivités concernées sont celles des patients, des juges, de Depardon, ainsi que celle du spectateur. A partir de notre lecture des ressentis exposés, notre vision du monde est finalement ce qui se met en scène. Ce sera la seule concession à la notion de représentation de tout le film. Lire et décoder dans les attitudes de l'autre ce qui échappe au littéral, révèle l'inadéquation d'une machinerie qui dessert celui pour qui elle a été créée. 12 jours participe de ce fait d'une réflexion étonnante sur notre monde et nous contraint à observer ce que sont nos systèmes démocratiques devenus.

Splitscreen-review Image de 12 jours de Raymond Depardon

Crédit photographique : Copyright GRANDFILM Copyright © 2016 . All Rights Reserved

Partager

à lire aussi