Splitscreen-review Image de Blast of Silence d'Allen Baron

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Blast of Silence

Publié par - 9 décembre 2017

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Ressortie au cinéma d’un film indépendant américain de 1961 dans sa version restaurée, distribué en France la première foi en 2006 sous le nom de Baby Boy Frankie, Blast of Silence est un film noir héritier dans ses codes, des polars des années 1950, qu'il concilie à une modernité épurée de tout contexte social.

Frankie Bono, tueur à gages, vient à New-York pour effectuer un dernier contrat en pleine période de fêtes de fin d’année. Lors de la préparation du meurtre, il tombe sur de vieilles connaissances, et se permet d’imaginer quelque temps sa rédemption auprès d’une femme qui fut autrefois son amie. La réalité de son activité le rattrape et les erreurs commises compliquent sa tache.

L'entrée dans le film se fait par un tunnel, une voix off annonce la naissance de Baby Boy Frankie, tout en prédisant un destin tragique à l'orphelin, que l'on retrouve adulte dans la séquence suivante. Un film de saison, dans le contexte festif d'un New-York entre noël et le jour de l’an, Blast of Silence est le premier long métrage réalisé par Allen Baron, qui n’a jamais connu de succès au cinéma mais a travaillé pour plusieurs séries télé aux États-Unis. Il y joue aussi le rôle principal et signe le scénario.

Lors de la réception française très tardive et très positive en 2006, on louait le film pour la simplicité de sa mise en scène à suspens, la rareté des dialogues et l’absence de caractérisation des personnages. Ce n'est peut être pas tout à fait rendre compte de la subtilité du film, positionné haut dans le classement personnel de Martin Scorsese.

 

S'il y a peu de dialogues, deux voix remplissent pourtant Blast of Silence dans son intégralité : la trompette et la voix-off. Elles installent un dialogue en parallèle à l'action du film. Semblable à un monologue intérieur, la voix de Lionel Stander s'adresse curieusement au personnage de Frankie à la deuxième personne. Pour le spectateur, c'est à la fois un référent intérieur au personnage et, en même temps, une présence omnisciente, hors de la diégèse. Le jazz minimaliste, presque ininterrompu tout le long du film, accompagne le suspens sobrement, mais efficacement. Il participe en quelque sorte à la même dualité, accompagnant les états intérieurs de Frankie, mais présageant, du début à la fin, d'une issue tragique, dans une poignée de notes glaçantes.

Quant à Frankie Bono, le film construit un personnage finalement assez subtil malgré les apparences codifiées du genre. Cynique, solitaire, froid, évidemment misanthrope, très méthodique, il est en quête de rédemption mais dispense une violence brutale. On distingue d'abord celle-ci dans son regard, et son mépris envers ses victimes, mais aussi ses collaborateurs et fournisseurs, et même à l'encontre de ses anciens amis. Puis on remarque ensuite la soudaineté agressive de ses gestes, les meurtres plus ou moins brouillons, et une tentative de séduction qui se transforme en étreinte forcée vis à vis de la femme qu’il a aimée autrefois. Elle, qui répond à ses appels à l’aide au cours du film, par pitié plutôt que par affection, représente sa possible voie de sortie. Seulement notre homme à la force brutale n'est certainement pas charismatique, et son vœu de solitude est au moins aussi fort que le rejet dont il est victime.

 

Il est donc logique que les ténèbres qui teintent ses pensées envahissent tout le film, des ombres sur les décors, la voix-off, la musique et la rue. La mise en scène en extérieur tranche avec les scènes d'intérieur toutes en jeux d'ombres et de lumières. Lumière plus naturaliste dehors, la caméra s'exprime cependant avec plus d'évidence, dans des suivis à l'épaule d'une part, mais aussi, à l'opposé, dans de somptueux plan larges à symétrie parfaite, centrés sur la silhouette de Frankie qui s'agrandit alors qu'il marche face caméra jusqu'à recouvrir tout l'écran. Le reste du temps, les extérieurs nocturnes lumineux sont en mouvements avec le personnage qui s'y meut sans jamais s'y intégrer. Il reste toujours extérieur à ce qu'il observe, oscillant entre envie et mépris pour les autres. L'admiration de Scorsese prend tout son sens par rapport à sa propre filmographie, visuellement, mais aussi thématiquement, dans la violence originelle de son héros (orphelin) et de la ville grouillante de malfrats. Le plus iconique étant peut-être le fournisseur d’arme de Frankie, éleveur de rats dans son appartement minuscule, et prêt à toutes les bassesses pour un peu plus d'argent.

 

La descente aux enfers inexorable de Frankie impacte la construction du film dans une maîtrise parfaite. Le rythme arrive à surprendre, aidé par la courte durée d'1h17, à laquelle on est finalement très peu habitué. Blast of Silence s'appréhende donc simplement, sous ses allures de récit linéaire, et offrira aux spectateurs qui accepteront sa noirceur, à défaut d'un conte de Noël, une plongée visuelle dans la conscience très réussie.

Crédit photographique : Copyright Les Films du Camélia

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