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Les Gardiennes

Publié par - 14 décembre 2017

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Nous étions nombreux à attendre avec impatience le retour de Xavier Beauvois derrière la caméra. Trois ans après La Rançon de la gloire, qui ne fut pas couronné du même succès critique et commercial que Des hommes et des Dieux, l’autodidacte du cinéma revient avec un film monde, spirituel et tellurique, Les Gardiennes, adaptation du roman éponyme de Ernest Perochon paru en 1924.

Au début, les corps étalés, sans vie des soldats Allemands recouvrent la terre. Le visage de la mort git là, terrifiant, sur le sol. Ce même sol qui, dès le plan suivant, est labouré vaillamment par Hortense (Nathalie Baye).
Nous sommes en France, dans la région de Haute-Vienne en 1915, au Paridier, une ferme familiale tenue d’une main de fer par Hortense, aidée de sa fille Solange (Laura Smet). La guerre a arraché les fils et les maris pour les envoyer au front. Hortense doit embaucher quelqu’un à l’approche des moissons. C’est ainsi que Francine (Iris Bry) la jeune orpheline, fait son entrée dans cette famille de femmes, piliers de la société, semeuses dans un pays traversant ses heures les plus sombres.

Les Gardiennes de Xavier Beauvois regarde avec justesse vers le passé. Le film bâtit, avec respect et naturel, le tombeau de nos ancêtres. C’est un tombeau fait de terre et de pierres dans lequel ces femmes, Les Gardiennes du titre, luttent pour survivre, pour aimer et s’épargner du malheur. Ces personnages, plus que des femmes, sont des âmes, les pieds ancrés dans la terre et l’esprit dans la brume. Le corps à l’effort de guerre mais l’esprit gagné par l’envie de s’émanciper. Elles sont toutes émouvantes à leurs manières. Vaillantes, lucides, innocentes ou complètement perdues, dans l’attente d’un espoir, d’un état de paix familial et national, enfin retrouvé.

Le temps de paix ne parait d’ailleurs pas si loin, pourtant la nature prend son temps pour couler, se cristalliser, fondre et recommencer.
Xavier Beauvois et sa directrice de la photographie Caroline Champetier, avec qui il travaille depuis le début, élaborent des images naturalistes des plus poétiques. On pense bien sûr à Jean-François Millet pour la picturalité des glaneuses, mais aussi à un certain cinéma américain, celui des moissons et des grands espaces, John Ford (Les raisins de la colère) et Terrence Malick (Les moissons du ciel) en tête.

Tout au long du film, les femmes regardent la nature de front, face à face, en égales. La grandeur du film tient dans son aptitude à nous permettre de la contempler à travers leurs yeux.
Il est rare, et à chérir, le cinéma français qui apporte un tel soin à suggérer des relations si fortes entre l’homme et le paysage. Ce sont des signes qui ne trompent pas. Le balancement des branches du cerisier en fleur fait vibrer l’esprit de Francine à la naissance de son enfant. Il lui faut marcher les yeux fermés dans la forêt à la découverte d’un trésor sensoriel, pour découvrir l’amour dont elle est capable. Pour Hortense, qui vient de perdre un être cher, le champ de blé, si beau auparavant, devient rude, méprisable et la chaleur du feu en cuisine semble triste.

Les Gardiennes de Xavier Beauvois est un film à la hauteur de ses ambitions qui nous fait le plaisir de rester exigeant et surprenant jusqu’à la fin. Le seul petit bémol que l’on pourrait peut-être formuler à l’encontre du film serait au niveau du casting et de cette volonté de vouloir mélanger acteurs professionnels et non professionnels. Aussi surprenant soit-il, la justesse de jeu de Iris Bry, en accord avec le naturalisme paysagé, est bien supérieure à ce que propose Nathalie Baye. Ce qui donne parfois la sensation d’assister à des scènes entre Francine, le personnage de fiction, et Nathalie Baye l’actrice, créant une légère distanciation avec la représentation réaliste de l’époque que nous offre Xavier Beauvois.

Crédit photographique : Copyright Guy Ferrandis / Pathé Distribution

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