Splitscreen-review IMage de Transit de Christian Petzold

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Transit

Publié par - 2 mai 2018

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Transit se déploie dans l’uchronie d’une France contemporaine. Paris est occupée par un régime fasciste qui se répand vers le sud. Rafles, contrôles et arrestations de contestataires allemands s’effectuent dans les rues de la ville lumière. En écho à la France géographiquement divisée de 1940, il reste dans le sud des zones non-occupées dans lesquelles les possibilités de départ pour l’étranger sont facilitées par la diplomatie.

Dans l'atmosphère particulière de Transit, Georg (Franz Rogowski) est chargé d’accompagner à Marseille un écrivain amputé d’une jambe, Weidel. Le but est simple, Weidel doit prendre un bateau pour le Mexique. Lors du trajet, l’écrivain succombe à ses blessures et Georg poursuit sa route avec les effets du défunt. Il prend alors l’identité de Weidel afin de pouvoir fuir et naviguer dans le dédale administratif des différents consulats mexicains et américain (port de transit).

Dans ce film au titre évocateur, Christian Petzold, invite le spectateur à considérer ce qu’implique la notion de transit. L’idée du passage ou du transport de marchandises, indépendamment de leur situation douanière, est d’autant plus d’actualité avec le terme de  « migrant » qui habite désormais notre quotidien. Cette dénomination est un parfait reflet de la profonde instabilité de notre époque. Donc, l’univers des personnages principaux est en adéquation avec notre temps. Ils se déplacent d’une chambre d’hôtel à une autre, d’un consulat à un autre dans l’attente de pouvoir quitter le territoire avant l’invasion et les persécutions qui en résulteraient. Ils se meuvent tout en restant immobiles et vice-versa. Cette immobilité est soulignée par les panoramiques qui accompagnent Georg dans les différents points de rencontre de la cité phocéenne, transformée en immense gare à ciel ouvert. L’esprit flâne mais le corps ne bouge pas.

Ce paradoxe du mouvement interroge alors sur ce qui fait sa valeur. Est-ce seulement la capacité de se déplacer qui nous met en mouvement ?

Un autre paradoxe de Transit s’installe au travers des rapports entretenus par Georg avec les autres apatrides. La durée d’attente avant de partir les encourage à faire connaissance (parfois malgré eux) et, ainsi, de recouvrer une forme d’humanité. Pourtant, leur statut d’individus en transit leur rappelle constamment que toute compassion ou affect envers autrui est à éviter pour ne pas risquer de renoncer au départ. La solitude de ces personnages est fortement inscrite dans le cadre, notamment lors d'une séquence d'arrestation massive pendant laquelle sont emmenés une femme et son enfant. La rafle s’exécute sous les regards impuissants des personnages, chacun emprisonné dans le cadre de sa chambre, seul et apeuré.

Dans Transit, il y a aussi de nombreuses scènes de dialogues où le champ/contrechamp est de rigueur. Mais rares sont les plans larges dans lesquels les protagonistes sont réunis. L’usage du format 2.39 qui, du fait de sa largeur, permettrait d’inclure tous les personnages parlant dans un même cadre s'obstine, au contraire, à créer un énorme vide autour de Georg. Dans les rares moments où l’on voit des personnages partager un même espace, c’est le décor qui vient les séparer : les vitres de la pizzeria où mange Georg, les bureaux des consuls, les comptoirs, les montants de fenêtres… Tout concourt à souligner cette frontière infranchissable entre les personnages.

Lorsque les frontières de la solitude sont outrepassées par Georg, c’est le hors-champ qui vient anéantir ces tentatives de rapports affectifs. Sa rencontre avec Driss (Lilien Batman), un jeune enfant des quartiers populaires qui vit chez sa mère sourde-muette, devient vite une amitié presque filiale. Mais quand la réalité du départ du père potentiel se dévoile, l’amitié s’estompe ce qui se visualise par la disparition progressive de l’enfant des plans où figure Georg. Il en est de même pour la possibilité de romance avec Marie (Paula Beer), autre flâneuse des rues marseillaises, qui est parasitée par les régulières sirènes de police qui rappellent la menace du réel.

Le hors champ est non seulement un rappel du contexte politique incertain du film, mais il prend en charge aussi une partie de la narration. La voix-off a de fortes consonances démiurgiques. Elle est celle d’un narrateur qui observe, conte et commente les péripéties de Georg dans sa quête de lendemains meilleurs. Cette voix-off est aussi un hommage narratif direct à l’œuvre littéraire originelle éponyme écrite par Anna Seghers en 1944.

Le choix de transposer Transit de la Seconde Guerre Mondiale à une période contemporaine peut se voir comme une parabole intemporelle de l’état physique mais surtout psychologique de l’être en transit. La notion de Transit confère à celui qui l’éprouve la possibilité d’habiter tous les espaces. Où qu’il soit, il n’est ni chez lui, ni ailleurs. Mais, l’individu en transit vit la douloureuse expérience de devoir patienter longuement dans un lieu limbique qui semble ouvert sans l’être. Un espace où il est interdit de s’enraciner et où toute forme de cohésion sociale est impossible puisque conditionnée par l’éphémère. Georg confirmera le tangible de cette parabole en citant l’ultime écrit de l’auteur regretté, Weidel, sur ce qu’est l’enfer : une longue attente.

Les personnages de Transit sont analogues aux rails de trains en surimpression : des lignes parallèles qui vont dans le même sens, mais ne se touchent ou ne se croisent jamais. Le fait de partager un même espace, de venir d’un même pays, d’aller dans la même direction, n’engendre pas obligatoirement de l’entraide et de l’attachement. Chacun se bat pour sa propre survie et doit être capable de partir dans l’instant, sans attache ni regrets.

Crédit photographique : Copyright Piffl / Arne Höhne. Presse + Öffentlichkeit / Copyright Marco Krüger - Schramm Film

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