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Festival de Cannes 2018 - Bilan et palmarès

Publié par - 22 mai 2018

Catégorie(s): Cinéma, Expositions / Festivals

L'édition 2018 du Festival de Cannes fut d'emblée placée sous les auspices du politique. Il faut dire que la manifestation s'est tenue après une année complexe où les affaires de tous ordres ont provoqué de multiples remous sociologiques. La carte du milieu cinématographique, puisque tout est parti de là, a changé, les codes comportementaux aussi, enfin espérons-le. Il fallait s’attendre à une forme de renouveau autour du festival comme nous l’avait annoncé Thierry Frémaux lors de la conférence de presse d’avril. L’atmosphère, lourde et parasitée par les scandales de l’année écoulée, a inévitablement, comme certains pouvaient le craindre, nui aux grands films présents qui tous, sans exception, sont absents du palmarès. Triste ? Oui sans doute car si un palmarès n’est pas forcément l'unique baromètre qualitatif d’une sélection, il peut permettre de mesurer ou de révéler le niveau d’une manifestation. Disons le simplement, ce ne fut pas le cas puisque le palmarès énoncé par Cate Blanchett et son jury ne reflète absolument pas la qualité cinématographique présente. Les seules motivations du jury échappaient volontairement, osons le croire, à une vision esthétique et éthique de l’image cinématographique pour ne conserver qu’une seule et unique orientation politique et morale. Dommage car il y avait matière à honorer quelques films exceptionnels. Acceptons-le et rassurons-nous : le temps fera son travail et les films de Lee Chang Dong, Jia Zhangke, Kirill Serebrennikov et Nuri Bilge Ceylan survivront à ce palmarès dogmatique qui, finalement, n’engagera guère de monde à se questionner sur les tendances contemporaines de l’art cinématographique.

Burning de Lee Chang-dong -Copyright-capelight-pictures

Sauvons quelques prix cependant.

Une affaire de famille de Kore-eda Hirokazu est une palme d’or qui, curieusement, constitue un compromis intéressant (hasard total au regard du reste du palmarès). Ce prix, celui-là uniquement, a su allier dimension politique et savoir-faire filmique. Le film dresse le portrait d’une société japonaise où le politique se dissimule derrière des comportements qui contaminent les rituels familiaux et procèdent ainsi à un questionnement sur la culture japonaise. La famille fait ici office de métaphore du fonctionnement d'une identité japonaise en inadéquation avec la réalité de la population. L’intérêt de cette palme réside dans la possibilité de superposer cinéma d’auteur et conscience civique. Ce couronnement rejoint aussi l’idée de plébisciter un cinéaste reconnu pour l’ensemble de son œuvre. Reste que la pioche est bonne puisque c’est un excellent film de Kore-eda.

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Un air de famille de Hirokazu Kore-eda-Copyright-FUJI_TELEVISION_NETWORKGAGA_CORPORATIONAOI_Pro._Inc

Gardons encore le Prix d’interprétation masculine attribué à Marcello Fonte pour Dogman de Matteo Garrone. Prix qui, par extrapolation, associe le talent de directeur d’acteur de Garrone sans omettre son aptitude à plonger dans la réalité des bas-fonds italiens au mérite de Marcello Fonte qui a su intégrer à sa prestation de comédien l'expérience de sa vie passée et marquée par une trajectoire chaotique.

Dogman de Matteo Garrone-Copyright-AlamodeFilmGreta-De-Lazzaris

Le Prix de la mise en scène attribué à Cold War de Pawel Pawlikovski ne trouvera guère de détracteurs. Le travail formel, déjà entraperçu par exemple dans Ida, s’est vu récompensé par un prix qui lui correspond. Le film appartient à une logique où le passage du temps se transforme en concept mélancolique. Nous le savons, le temps est par essence un matériau filmique. De ce fait, le film de Pawlikowski propose une véritable réflexion sur le cinéma. Rien à redire donc.

Cold War de Pawel Pawlikowski-Copyright-Neue-Visionen-Filmverleih

On peut également concevoir le prix d’interprétation féminine donné à l'actrice kazakhe Samal Esljamova pour son rôle dans Ayka de Sergueï Dvortsevoï. Le film s’inscrit dans une logique claustrophobique où la caméra est indexée sur les mouvements du personnage, ce qui fait de l’actrice le moteur ou la raison d’être de la mise en scène. Admettons.

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Ayka de Sergey Dvortsevoy-Copyright-Kinodvor--PallasFilm--OtterFilms

Maintenant que dire du reste ? Pas grand-chose si ce n’est notre incompréhension.

Parce que les autres prix décernés, tous sans exception, occultent les points culminants de la compétition. Comment ne pas avoir considéré les quatre films majeurs du festival réalisés par Lee Chang Dong, Jia Zhangke, Nuri Bilge Ceylan et Kirill Serebrennikov ? Comment imaginer que ces cinéastes repartent sans rien après avoir livré des œuvres magistrales ? Ambition, réflexion formelle, questionnement sur la portée artistique et politique du cinéma, connectivité aux arts périphériques, regard sur son temps, tout y était. Et pourtant ces films ne figureront pas sur les lignes du palmarès. Tant pis, on se passera de l’aptitude de Lee Chang Dong à transcender les limites du film de genre coréen, sa capacité à faire de toute histoire un drame humain qui tend vers un tragique universel.

Nous ferons sans la vision métaphorique d’une résistance aux diktats politiques dispensée dans L'été de Kirill Serebrennikov. Le rock est ici pensé, conçu, exploré et exploité comme une figure de l’évasion. Et il ne s'agit pas de n'importe quelle possibilité de fuite, il est question de la fuite d'une jeunesse qui, par la musique qu'elle écoute ou produit, échappe au réel qu'on lui impose. Le travail effectué sur l'émergence du musical traduit un discours social et, en même temps, un discours poétique qui vise à transcender les frontières du réel. Superbe.

Dans un registre relativement éloigné mais avec une finalité proche, nous devrons nous accommoder de l’absence du film de Nuri Bilge Ceylan intitulé Le poirier Sauvage. Le film est une ode à l’intelligence, aux pouvoirs de la pensée, aux capacités de l'esprit à envisager des images qui ne sont pas encore contaminées par une réflexion cartésienne. Le film provoque des collisions métaphoriques qui permettent d’associer des concepts abstraits aux réalités tangibles. Un bonheur.

Jia Zhangke avec son Ash is purest White sera également absent de cette liste élective. Le film est une nouvelle variation sur les répercussions des violences engendrées par les mutations sociales profondes et inhérentes aux bouleversements économiques de la Chine. Le cinéma de Jia Zhangke a peint au fil du temps des individus qui étaient des victimes sans aucun pouvoir de réaction face à ce qu’ils subissaient. Puis, avec A touch of sin, les personnages sont devenus des figures de résistances civiques avant de se muer en êtres capables d’adaptation aux pires situations dans Au-delà des montagnes. Dans Ash is purest white, Jia Zhangke nous donne à voir comment la Chine et sa population ont su s’acclimater à des règles économiques inventées en occident et les transformer en un concept purement chinois. Forcément, la violence s'occidentalise aussi. C’est riche, c’est beau, c’est indispensable.

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Ash is purest white de Jia Zhangke Copyright Ad Vitam

Terminons donc sur cette note d’espoir : le jury et ses choix se dissiperont dans la durée (le plus tôt sera le mieux). Le Festival de Cannes s'est transformé en tribune. Il ne lui restera plus qu'à devenir une manifestation cinématographique. Gageons que les derniers films évoqués, eux, outrepasseront les outrages du temps pour s’inscrire dans quelque chose de bien plus durable : l’histoire du cinéma et la mémoire cinéphilique qui en est garante.

Palmarès complet :

LONGS MÉTRAGES
PALME D'OR
MANBIKI KAZOKU (Une affaire de famille) réalisé par KORE-EDA Hirokazu

GRAND PRIX
BLACKKKLANSMAN réalisé par Spike LEE

PRIX DU JURY
CAPHARNAÜM réalisé par Nadine LABAKI

PRIX D'INTERPRÉTATION MASCULINE
Marcello FONTE dans DOGMAN réalisé par Matteo GARRONE

PRIX DE LA MISE EN SCÈNE
ZIMNA WOJNA (Cold War) réalisé par Pawel PAWLIKOWSKI

PRIX DU SCÉNARIO EX-ÆQUO
Alice ROHRWACHER pour LAZZARO FELICE (Heureux comme Lazzaro)
Jafar PANAHI pour SE ROKH (3 Visages)

PRIX D'INTERPRÉTATION FÉMININE
Samal YESLYAMOVA dans AYKA réalisé par Sergey DVORTSEVOY

PALME D'OR SPÉCIALE
LE LIVRE D’IMAGE réalisé par Jean-Luc GODARD

 

COURTS MÉTRAGES
PALME D'OR
ALL THESE CREATURES (Toutes ces créatures) réalisé par Charles WILLIAMS

MENTION SPÉCIALE DU JURY
YAN BIAN SHAO NIAN (On the Border) réalisé par WEI Shujun

UN CERTAIN REGARD
PRIX UN CERTAIN REGARD
GRÄNS de Ali ABBASI

PRIX DU SCÉNARIO
SOFIA de Meryem BENM’BAREK

PRIX D’INTERPRÉTATION
Victor POLSTER pour GIRL de Lukas DHONT

PRIX DE LA MISE EN SCÈNE
Sergei LOZNITSA pour DONBASS

PRIX SPÉCIAL DU JURY
CHUVA É CANTORIA NA ALDEIA DOS MORTOS (Les Morts et les autres) de João SALAVIZA et Renée NADER MESSORA

CAMÉRA D’OR
GIRL réalisé par Lukas DHONT présenté dans le cadre de UN CERTAIN REGARD

CINÉFONDATION
PREMIER PRIX
EL VERANO DEL LEÓN ELÉCTRICO (The Summer of the Electric Lion) réalisé par Diego CÉSPEDES
Universidad de Chile - ICEI, Chili

DEUXIÈME PRIX EX AEQUO
KALENDAR (Calendar) réalisé par Igor POPLAUHIN
Moscow School of New Cinema, Russie

DONG WU XIONG MENG (The Storms in Our Blood) réalisé par SHEN Di
Shanghai Theater Academy, Chine

TROISIÈME PRIX
INANIMATE réalisé par Lucia BULGHERONI
NFTS, Royaume-Uni

Le jury de la CST a décidé de décerner le PRIX VULCAIN DE L’ARTISTE-TECHNICIEN 2018 à : SHIN Joom-Hee, le directeur artistique de BURNING pour sa contribution exceptionnelle à la caractérisation des personnages.

Fipresci

Competition : "Buh-Ning" (Burning) de Lee Chang-Dong
Un Certain Regard : "Girl" de Lukas Dhont
Sections parallèles : "Egy nap" (One Day), de Zsófia Szilàgyi (La Semaine de la Critique)

Prix du Jury œcuménique

Capharnaüm de Nadine Labaki.

Mention spéciale à Spike Lee pour BlacKKKlansman.

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Le poirier sauvage de Nuri Bilge Ceylan Copyright Memento Films Distribution

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