Splitscreen-review Image de Trois visages de Jafar Panahi

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Trois visages

Publié par - 6 juin 2018

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Bonnes nouvelles (vous noterez le pluriel) ! En ce mercredi 6 juin 2018, nous venons de recevoir un message de Jafar Panahi. Il nous adresse ses meilleures salutations par l’intermédiaire de Trois visages. Tout va bien. Enfin ça va mieux. Il se reconstruit petit à petit après le traumatisme vécu en  2011 lorsqu’il fut condamné à une interdiction totale de création artistique sous peine d’emprisonnement. Il reprend, petit à petit, espoir et goût à la vie. Après Ceci n’est pas un film (2011) où il se filmait confiné dans son appartement, après Taxi Téhéran (2015) où il parcourait en voiture les rues de Téhéran lors d’une vraie fausse rencontre avec la population iranienne, cette fois, il quitte la ville à destination d'une redécouverte de soi. Pour cela, il emprunte les pistes défrichées par son ami Abbas Kiarostami et Trois visages affiche, pour notre plus grand plaisir, nombre de similitudes formelles avec Le vent nous emportera où il était question de (re)définir ce qu’est l’essence d’un être. Panahi combine et adapte à sa situation sociale un parcours autant extérieur qu'intérieur. Bref, Panahi filme et son travail est toujours aussi réjouissant. Bonnes nouvelles donc.

Trois visages c’est dans un premier temps l’histoire d’un vrai/faux suicide. Celui orchestré par une jeune femme dans un message adressé à une actrice iranienne célèbre, Behnaz Jafari. Cette dernière va faire appel à un cinéaste, Jafar Panahi, pour savoir si le contenu de la vidéo est vrai ou non. Le doute pousse Jafari et Panahi à entreprendre un voyage à travers l’Iran pour tenter de savoir ce qu’il est advenu de la jeune femme. Au fil du temps et des rencontres, l’itinéraire se transforme en quête initiatique et en véritable réflexion sur le cinéma.

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Car ce que démontrait déjà Kiarostami dans Le vent nous emportera et ce que réaffirme ici Panahi avec Trois visages, c’est qu’une vision du monde prend tout son sens lorsqu’elle s’exprime par le prisme de l’autre. Pour cela, il faut savoir saisir ou capter chez les êtres et les choses ce qui les caractérise en profondeur. Panahi, pour se reconnecter avec le monde, imite la trajectoire du personnage du film de Kiarostami. Ce qui est fascinant dans la démarche cosmogonique qui définit la structure de Trois visages, c’est que la ré-initiation de Panahi au monde passe par une aventure qui consiste à rencontrer l’autre pour se retrouver soi-même et, ainsi, réussir à déterminer quel cinéaste et quel homme il est réellement aujourd’hui.

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Le titre affirme quelques intentions notables : Trois visages. Ces mots mesurent l’importance des cadrages du film donc d’une partie de sa mise en scène. Trois visages, trois gros plans. Oui mais trois gros plans filmés parfois en plans larges, parfois en plans américains ou parfois en plans rapprochés. Ce questionnement de la distance par rapport au sujet filmé invite le spectateur à spéculer sur le contenu littéral de la mise en scène mais également sur le contenu figuré du film. Car l’usage du gros plan permet de quantifier l’impact émotionnel et psychologique d’événements sur un individu. Ce que le visage traduit des sentiments ne saurait être désapprouvé par le spectateur. Il est acquis que ce qui se lit sur un visage est généralement l’émanation d’une vérité intérieure qui fait écho à une volonté de mise en scène.

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Ces visages, ces figures, au nombre de trois, que le titre du film met en évidence, sont les agents révélateurs des volontés de Panahi qui est le metteur en scène du film mais aussi le personnage principal de celui-ci. Car l’autre, et son visage avec, permet de marquer les modifications internes du personnage central et, donc, du metteur en scène. L’écran est un miroir et reflète les pensées de celui qui est à l’origine de tout ce qui existe dans le film.

En ce sens, Trois visages s’inscrit dans une veine artistique qui repose sur la cohabitation du littéral et du figuré déjà évoqués plus haut. Ces deux domaines, en apparence distincts, ordonnancent le film selon un schéma formel qui navigue entre documentaire et fiction. Trois visages relève alors un défi essentiel : être capable de représenter une idée à partir d’éléments identifiables (objets, espaces, lumières, scènes, dialogues, etc.) sans jamais les dissocier de leur dimension ontologique.

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Trois visages se présente comme un voyage physique et psychique effectué en compagnie de Jafar Panahi et Behnaz Jafari. Le film est une circulation incessante entre réalisme (le sens premier des éléments qui constituent les cadrages du film) et représentation (le sens qui émane de la juxtaposition de ces mêmes éléments).

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Trois visages s’ouvre d’ailleurs sur cette idée : dans le noir originel, dans le vide, dans la caverne, se jouent tous les possibles filmiques. Une réalité convoque une fiction. À moins que ce ne soit l’inverse. En tout cas, Trois visages offre à ses spectateurs l’opportunité d’accéder à un espace où les libertés narratives, elles, ne peuvent être bafouées puisqu’elles s’incarnent dans l’imaginaire de chacun, créateurs comme spectateurs. Voir Trois visages, au-delà de la considération des qualités filmiques, est d’utilité citoyenne puisque, dans le partage des aventures, nous autorisons et participons à l’évasion d’un être qui nous est cher. Un être dont on apprécie de recevoir des nouvelles. À très vite Mr Panahi.

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Crédit photographique : Copyright Jafar Panahi Film Production / Copyright Memento Films Production

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