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Journey

Publié par - 11 septembre 2017

Catégorie(s): Jeux vidéo

"Ce n'est pas la destination qui compte"

On entend cela à tort et à travers de nos jours, souvent pour se convaincre de se satisfaire de ce que l'on possède ou de ce à quoi nous pouvons accéder. Mais que veulent vraiment dire ces mots quand on y pense ? En 2012, le studio thatgamecompany, connu pour ses jeux émotionnellement engageants, a produit une œuvre qui se distingue encore de la production habituelle dans l’industrie du jeu vidéo : Journey. Loin d'un développement scénaristique complexe et en misant sur les projections du joueur dans les images, Journey nous offre une interprétation possible de cet adage en soulignant que le plus important reste le voyage, le mouvement.

C'est perdu au milieu d'un désert macabre, entouré de ce qui évoque des tombes, que démarre le périple de notre avatar. Nous incarnons un petit personnage rouge couvert de tissus flottant au vent. D'emblée, on se confronte à l’inconnu : rien ne nous indique qui nous sommes et ce que nous sommes et encore moins ce que nous devons faire. Le joueur fait timidement ses premiers pas avant de découvrir au loin une immense montagne au sommet de laquelle flamboie une intense lumière. Dans une logique acquise, la lumière est ce vers quoi il faut aller dans le jeu vidéo aussi, le joueur ne peut que se rendre là-bas pour tenter d’atteindre ce phare titanesque qui, en toute logique, devrait nous éclairer sur l'essentiel de ce qui constituera notre quête. Et il s'échinera à s'y rendre malgré les obstacles, qu'il s'agisse de monstres de pierres ou du froid glacial des sommets. Le joueur n'a reçu aucune instruction et pourtant il fera tout pour rejoindre la montagne.

Le voyageur entame alors un périple que n'aurait pas renier un Joseph Campbell. Tout est symbole dans Journey et résonne avec l'esprit du joueur (oserons-nous dire son âme ?). Le désert est une figure de l'inconnu où l’on soupçonne que tout peut arriver, à l'image de la mer pour Ulysse, domaine du mystérieux et de l’insondable. Par ses reflets et ses ondulations, le sable ressemble d’ailleurs à de l'eau. Une partie des ruines se trouvant sur notre chemin n'est pas sans rappeler les fonds coralliens. La montagne, sommet se dressant vers le ciel, appelle le joueur par sa symbolique promettant l'ascension, l'élévation, l'illumination peut-être. C'est le défi auquel on a envie de répondre plutôt qu'errer dans le vide du désert au milieu des « tombes anonymes », symbole de mort et d'oubli.

On se met donc à parcourir une cité en ruines et où l’on devine quelques fragments d'histoire, grâce à diverses fresques et de mystérieux personnages en blanc. On ne sait jamais clairement où nous sommes, qui sont ces gens et ce qu'il s'est passé dans ce lieu. Le joueur ne peut percer complètement le mystère, il ne peut qu’échafauder des hypothèses, envisager des scénarios, se livrer à d’invraisemblables spéculations. Pour percer le secret de Journey et là, on peut penser que se situe la quête principale du jeu, il faut poursuivre le voyage avec le secret espoir de glaner ici ou là des indices qui nous autoriseront la résolution du « puzzle ». Notre imagination travaille à tenter de combler les vides sans que cela ne réponde concrètement à nos interrogations au final. Peu importe puisqu'au fil du temps, du jeu et de ses paysages, Journey demeure une énigme et entretient le principe d'incertitude qui est l'essence du jeu. Laissé dans le flou, le doute, le joueur délaisse bien vite le réflexif pour se contenter d'une déambulation contemplative stimulée par la beauté des paysages traversés.

Il le peut d'autant plus qu'il ne ressent pas d'angoisse au milieu des ruines colossales qui l'entourent. La légèreté du personnage et la fluidité de ses mouvements, associés à une capacité de vol limitée mais enivrante, donne au joueur un sentiment de liberté continuel, comme s'il ne faisait qu'un avec le vent, figure de liberté par excellence. Une liberté qui lui permet d'explorer le monde et glisser à toute vitesse sur le sable, contempler, comme un spectateur privilégié, la cité sous le soleil et la danse des créatures de tissus volant un peu partout.

Tout cela pour quoi au final ? Une initiation ? L'avatar du joueur atteint l'illumination promise en récompense de ses efforts certes mais quel en est le résultat ? Lorsque le personnage se fond dans une lumière qui envahit l'écran entier, le joueur est laissé dans un état d'apesanteur. La fin de son voyage est une transition vers autre chose. Quoi donc ? Peut-être un recommencement. Ou alors un champ des possibles ? Ou alors les sensations vécues pendant le voyage nous auront elles ouvert de nouvelles perspectives sur notre vision du monde?

C'est ainsi que Journey a transporté des millions de joueurs dans une aventure qui continue d'en émerveiller plus d'un. Sa direction artistique minimaliste sublime la symbolique utilisée, confirmant l'universalité de ses représentations, ainsi que sa structure narrative calquée sur le voyage du Héros.  Cet agencement symbolique assure une résonance avec l'universel en transcendant les codes culturels de différentes civilisations. Les créateurs du jeu seraient-ils connaisseurs de Campbell et Jung?

Au-delà, si Journey réussit à intéresser un large public, c'est probablement parce qu'il ne s'agit pas d'un récit traitant d'un individu reconnaissable et identifiable par des caractéristiques singulières. L'avatar n'a aucune identité connue. Son seul élément distinctif est sa voix, inhumaine mais mélodieuse, associée à un signe qui échappe à la compréhension du joueur mais qui représente le seul signe qui permet de le distinguer d'autres personnages. Il peut à ce sujet d'ailleurs rencontrer d'autres joueurs. Il est cependant impossible de leur parler clairement, avec des mots intelligibles mais, en prononçant quelques sons avec sa voix nouvelle, il peut établir un lien simple, un contact et, en quelque sorte, créer une nouvelle forme de communication. En réagissant à la présence de l'autre, il reconnaît avoir conscience de son existence et peut proposer de briser la solitude du voyage par un partage d'expérience. Parfois certains décident de faire une partie, voire tout le chemin, accompagnés. Même si les chemins se séparent entre joueurs, volontairement ou malencontreusement, personne ne peut ignorer la présence de l'Autre dans un périple parallèle ou similaire au sien. Dépourvus de personnalité, les avatars ne semblent plus séparés de leur univers. Ils en font intégralement partie au même titre que le sable, le vent et les ruines.

En arrivant dans un monde qu'il ne comprend pas, le joueur se retrouve finalement dans une situation qui le déleste de ses acquis. Ne sachant que faire de son existence, il décide de trouver des réponses en plongeant dans l'inconnu, voyageant accompagné ou non, et terminant par une transition vers une autre dimension inconnue. Une trajectoire qui s'apparente à celle de l'être : naissance, voyage puis la mort ? Journey ne serait-il pas finalement qu'une métaphore de la vie elle-même ? Emerson disait : "La vie est un voyage, pas une destination". Les deux adages trouvent ainsi une explication. Ce n'est pas la destination qui compte mais ce qui se trouve sur le chemin.

Crédit image : ©2021 thatgamecompany, Inc. All Rights Reserved.

 

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