Splitscreen-review Image de Rodin de Jacques Doillon

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Rodin

Publié par - 31 mai 2017

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Le cinéma de Jacques Doillon s’est toujours mis en quête de traquer le vrai. Non pas l’authentique, non pas le vraisemblable ou même le réel, mais le vrai avec toutes les exigences qui accompagnent ce concept. Cette démarche intentionnelle trouve de multiples formes d’expression mais la plus évidente et la plus récurrente dans l’œuvre du cinéaste se situe à hauteur de ses personnages. C’est en effet dans la vastitude des rapports humains parcourue que se niche la profondeur de la quête donc de l’œuvre. C’est dans la soudaineté des émotions, dans la violence des passions, dans la crudité voire la cruauté des actes et des mots, même inaudibles, que se dit l’émanation du vrai dans l’artifice. Et c’est en ce point précis que le travail de Doillon rencontre celui de Rodin.

Dès l’ouverture du film, tout est dit des intentions filmiques ou presque. Une lumière singulière, un plan séquence, un regard, des gestes. Le vrai ou en tout cas sa recherche est là sous nos yeux. Le plan séquence contribue, de par sa nature, à instaurer un temps filmique qui se rapproche de notre perception de la durée dans l’espace commun. Parallèlement, il permet ici d’ausculter, de mesurer le temps qui sépare l’instant où l’œil de l’artiste capte une attitude ou un trait de caractère et le moment du geste ultérieur qui a charge de retranscrire l’objet de la captation.

Splitscreen-review Image de Rodin de Jacques Doillon

Rodin, le film,  devient alors une expérience artistique totale. Celle qui nous donne à voir le fonctionnement de la pensée au travail. Mécanisme qui se révèle dans l’interstice laissé par le cinéaste entre l’illumination (le regard du sculpteur) et la matérialisation de l’objet (l’acte pictural ou la sculpture).

La recherche incessante du vrai se trouve cependant contrariée systématiquement par l’inéluctable constat que l’esprit créatif trahit non seulement ce qui est vu mais également ce qui a été pensé de l’objet regardé. D’où la tension permanente qui irrigue toutes les scènes du film et qui complexifie les rapports entre Rodin et les personnages qu’il croise.

De ce point de vue, le film s’apparente moins à Van Gogh de Maurice Pialat qu’au film de HG Clouzot Le mystère Picasso, reflétant les mêmes frustrations et les mêmes désirs. Si Rodin est bien évidemment un artiste mais surtout un homme qui est un artiste, il n’y a pas forcément de décalage entre lui et son temps (le film débute d’ailleurs au moment où Rodin est reconnu par les institutions). La fracture qui sépare l’homme de l’artiste se vérifie plutôt dans l’impuissance du geste à s’indexer sur l’immédiateté du regard. L’écart existant entre l’œuvre accomplie et son modèle est trop vaste puisqu’il n’est que pensée. Affliction est le maître mot.

De la même façon, la crudité des rapports homme/femme résulte de l’impossibilité de se satisfaire de la finitude de l’instant d’élection. Le surgissement des témoignages de cruauté ou de brutalité reflète l’amertume des personnages face au constat que le moment vécu n’existe déjà plus dès lors qu’il s’inscrit dans la conscience de chacun.

Le film est donc aussi le reflet de l’incapacité de Rodin de se soustraire à ses émotions intérieures qui le poussent parfois à commettre des actes créatifs et, par conséquents, destructeurs en toute connaissance de cause. Voir/désirer, sculpter/créer, montrer/vendre ou aimer/posséder évoquent la cohabitation d’Eros (le désir et la création) et de Thanatos (la finitude).

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L’immersion dans le rapport amoureux, voire les ébats charnels de Rodin, contribue également à ce que le film échappe à une finalité cinématographique qui aurait pour objet la simple observation d’une production sculpturale aux allures de catalogue d’exposition. Nulle surprise, Jacques Doillon n’est pas de cette catégorie de cinéastes comme en témoigne le faux classicisme apparent du film. L’esthétique, comme toujours chez Doillon, a pour but de souligner la complexité des idées sous-jacentes au contenu scénaristique et participe d’un discours qui transcende les possibilités techniques du film.

Car l’essentiel du cinéma de Doillon réside dans la mise en lumière de la différence qui existe entre la réalité ordinaire et la poétique de la pensée qui en découle. Rodin, le film, faisant de la sculpture l’égal du sentiment amoureux, se teinte alors d’une mélancolie qui s’incarne dans la distance qui sépare désir et regard, pensée et geste. Et c’est dans cet intervalle que nous sommes conviés, nous aussi, pour notre plus grand plaisir, à venir participer aux fulgurances de l’instant, à sa beauté éphémère mais ô combien radieuse.

Crédit photographique : Copyright Shanna Besson / Les Films du Lendemain

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