Bilan Festival de Cannes 2017
Publié par Stéphane Charrière - 4 juin 2017
Catégorie(s): Cinéma, Expositions / Festivals
Le 28 mai dernier à Cannes, Pedro Almodovar et son jury ont rendu un verdict qui, une fois n’est pas coutume, fit bien peu de vagues. Il est vrai que la qualité de la sélection, indépendante de son sélectionneur et son comité, ne permettait guère d’errances parfois funestes comme ce fut le cas en de multiples occasions par le passé. Globalement, les meilleurs films sont présents dans ce palmarès et si discussion il peut y avoir sur un lauréat voire deux, il ne se trouvera pas grand monde pour reprocher quoi que ce soit aux jurés.
Faible année pour un soixante dixième anniversaire. Oui certes. Le festival fut d’un niveau moyen et même faible par moment. Mais, comme il l’est tout autant pour les années aux crus remarquables, le festival n’est qu’un pur reflet de l’état de la production cinématographique. Cannes n’est qu’un panorama. Le meilleur qui soit sur le cinéma et, malgré le niveau faible de cette compétition 2017, gageons qu’au final, en décembre, lorsqu’il s’agira d’énoncer les meilleurs films de l’année, nombre des nominés auront été vus à Cannes en ce printemps.
Pourtant, tout avait bien commencé de l'avis de certains en avril dernier lorsque Thierry Frémaux et Pierre Lescure annoncèrent le contenu de la sélection officielle. Nombreux furent ceux qui saluèrent le vent nouveau qui semblait souffler sur la compétition cannoise (Bong Joon-ho, Robin Campillo, Noah Baumbach, les frères Safdie et la présence rare de Jacques Doillon ou Lynne Ramsey). Puis vint s’ajouter Ruben Östlund quelques jours plus tard pour compléter le lot des nouveaux invités à la fête.
Et déjà certains, étiquetés comme oiseaux de mauvais augure par les enthousiastes de la première heure, émettaient l’hypothèse d’une année pas si réjouissante que cela. Argumentaire qui fut étayé plus tard par les révélations netflixiennes qui entachaient, avant même leurs projections aux festivaliers, les films de Bong Joon-ho et Noah Baumbach. Condamnation presque unanime.
Mais pour avoir une réelle idée de la qualité de ces films-là et de la compétition dans son ensemble, il fallait faire fi des spéculations et attendre l’accès aux films. Hélas, les séances se succédaient et donnaient raison aux plus pessimistes. Le Festival de Cannes soixante dixième du nom serait mineur.
Pour ne rien arranger, la morosité régnait dans le palais et ses abords. A cela moult raisons : la complexité des accès aux salles, les contrôles de sécurité, des priorités, qui n’en sont plus, sur certaines séances venaient ternir encore plus l’image de l’édition 2017 aux yeux de journalistes bien désemparés.
Pour compléter le tableau, les reproches furent nombreux, mais ce n’est pas nouveau, pour souligner quelques incompréhensions sur des films propulsés en compétition à la place d’autres estimés meilleurs. D’autant que de nombreuses satisfactions venaient des sélections périphériques à la compétition : Barbara de Matthieu Amalric, Un homme intègre de Mohammad Rassoulof ou encore Jeune femme de Léonor Serraille, tous trois présentés au Certain Regard. Ajoutons également à cette liste élective Visages Villages d’Agnès Varda et JR, Le vénérable W de Barbet Schroeder, 12 jours de Raymond Depardon sans parler des séries de Jane Campion et de David Lynch, tous présentés hors compétition ou en séances spéciales.
Bref, les affaires du festival et de sa compétition ne s’arrangeaient pas. Restait le palmarès pour, en quelque sorte, dissimuler la faiblesse relative de cette édition. Et là, ô surprise, les choix du jury, n’en déplaisent aux plus chagrins, réussissent un tour de passe-passe incroyable. Crédibiliser l’ensemble d’une sélection qui ne peut l’être entièrement. Les choix faits et les prix administrés sont presque parfaits. Des grands noms, des grands films qui masquent la valeur intrinsèque du reste de la sélection et qui parviendront finalement à faire oublier ce qui peut ou doit l’être. C’est que la valeur d’une compétition ne se mesure pas aux trois ou quatre grands films qui y sont présentés, elle se mesure au niveau moyen de l’ensemble des films qui la composent. Et là, effectivement, ce n’était pas Byzance.
Il y aura bien toujours discussion possible sur quelques prix. Le plus controversé restera sans aucun doute le prix de la mise en scène curieusement attribué à Sofia Coppola pour The Beguiled (Les proies), sorte de gros bonbon acidulé aux qualités techniques indéniables et remake homonyme d’un film de Don Siegel de 1971. Mais la technique n’est pas une finalité en soi. Elle n’est qu’un outil. Et l’outil n’est pas utilisé ici avec un rendement optimum. On peut prêter à The Beguiled une vertu tout de même : sa faculté à déplacer le curseur du point de vue sur l’action (du côté du masculin chez Siegel, du côté du féminin chez Sofia Coppola). Et puis une interprétation tout de même : Kidman, Fanning, Dunst et Farrell sont loin d’être statufiés comme des figures de mode, ils jouent réellement avec conviction, donnant aux propos du film une certaine crédibilité. C’est déjà ça.
D’ailleurs il ne faut pas s’y tromper, le prix du 70 ème anniversaire attribué à Nicole Kidman la récompense bien sûr pour l’ensemble de son travail et pour les interprétations présentées cette année à Cannes dans les films de Lanthimos et Coppola mais également hors compétition chez Campion ou Cameron Mitchell. Certes, pour ces deux dernières prestations, cela ne devrait pas compter et rester hors course mais comment faire abstraction de ce travail là tant elle est impressionnante dans chacune des figurations citées ?
Autre discussion potentielle ? Le prix d’interprétation féminine attribué à Diane Kruger pour In the fade de Fatih Akin. Le film est d’une actualité troublante puisque traitant du terrorisme et de la perte d’êtres aimés. In the fade oscille entre le deuil, le chapitre le plus réussi, le procès des auteurs du crime, ça se complique sérieusement, et enfin la dernière partie, lorsque les comptes se règlent. Là, ça sombre. Reste que, abstraction de la mise en scène faite, Diane Kruger joue remarquablement les différentes facettes de son personnage. Elle prouve, mais ce n’est pas nouveau, qu’elle est une actrice et qui plus est de talent.
Il y aura également sans doute discussion autour des deux prix les plus importants, la palme d’or et le grand prix du jury. La presse française y verra certainement une raison de se déchainer à l’encontre du jury puisque son favori, Robin Campillo et son très bon 120 battements par minute ne repartira de Cannes qu’avec, excusez du peu, le grand prix du jury. C’est oublier que ce prix récompense souvent l’un des films formellement les plus ambitieux du festival. Il suffit pour s’en convaincre de regarder dans le rétroviseur le nom des lauréats lors des palmarès antérieurs pour prendre mesure du crédit attribué au film de Campillo par le jury.
Et puis la palme à The Square de Ruben Östlund.
Là encore, la presse française va s’agacer sérieusement tant elle n’a pas gouté ce film qui pourtant fit grand effet chez nos confrères étrangers. Or, le jury est international également est, dans ses orientations, sans doute plus en accord avec la perception de la sélection telle que formulée par la presse étrangère que l'impression livrée par la presse hexagonale. Il y a donc une forme de logique à ce qu’il obtienne cette récompense si prisée. Notons tout de même qu’il s’agit là d’un choix fort, conséquent et qui plébiscite un film formaliste aux ambitions démesurées. Pas de scandale selon nous, bien au contraire.
Deux semi-regrets cependant. Voir Nelyubov (Faute d'amour) de Zviaguintsev pas aussi haut qu’on aurait pu l’envisager. Mais il est là, au palmarès, ce qui est le plus important. Et puis le film de Lynne Ramsey You were never really here dont la qualité exceptionnelle peut paraitre amoindrie par son modeste prix du scénario ex-aequo avec le film de Lanthimos mais qui, en même temps, se trouve valorisé par l’obtention d’un deuxième prix indirect décerné à Joaquin Phoenix pour son interprétation exceptionnelle. Et là personne ne s’offusquera tant le film comme l’interprète firent unanimité.
Le 70 ème Festival de Cannes est terminé. Place est donc maintenant laissée aux films et au temps nécessaire pour les apprécier pour ce qu’ils sont. Ainsi vivront-ils leur vie indépendamment du palmarès et en fonction de leur valeur respective. Et c’est finalement ce qui compte le plus.
PALMARÈS DU 70 ème FESTIVAL DE CANNES
LONGS MÉTRAGES
PALME D'OR
The Square réalisé par Ruben Östlund
PRIX DU 70e ANNIVERSAIRE
Nicole Kidman
GRAND PRIX
120 Battements par minute réalisé par Robin Campillo
PRIX DE LA MISE EN SCÈNE
Sofia Coppola pour The Beguiled (Les proies)
PRIX D'INTERPRÉTATION MASCULINE
Joaquin Phoenix dans You were never really here réalisé par Lynne Ramsey
PRIX D'INTERPRÉTATION FÉMININE
Diane Kruger dans Aus dem nichts réalisé par Fatih Akin
PRIX DU JURY
Nelyubov (Faute d'amour) réalisé par Andrei Zvyaguintsev
PRIX DU SCÉNARIO EX-ÆQUO
Yorgos Lanthimos et Efthimis Filippou pour The killing of a sacred deer (Mise à mort du cerf sacré)
Lynne Ramsey pour You were never really hereThe Square de Ruben Ostlund Palme d'Or 2017
COURTS MÉTRAGES
PALME D'OR
Une nuit douce réalisé par Qiu Yang
MENTION SPÉCIALE DU JURY
Katto (Le plafond) réalisé par Teppo Airaksinen
UN CERTAIN REGARD
PRIX UN CERTAIN REGARD
Lerd (Un homme intègre) réalisé par Mohammad Rassoulof
PRIX D'INTERPRÉTATION FÉMININE
Jasmine Trinca pour Fortunata réalisé par Sergio Castellitto
PRIX DE LA POÉSIE DU CINÉMA
Barbara réalisé par Mathieu Amalric
PRIX DE LA MISE EN SCÈNE
Taylor Shéridan pour Wind River
PRIX DU JURY
Las Hijas de Abril de Michel Franco
CAMÉRA D'OR
Jeune Femme (Montparnasse Bienvenüe) réalisé par Léonor Serraille présenté à Un Certain Regard
CINÉFONDATION
PREMIER PRIX
Paul est là réalisé par Valentina Maurel
INSAS, Belgique
DEUXIÈME PRIX
Heyvan (AniMal) réalisé par Bahram et Bahman Ark
Iranian National School of Cinema, Iran
TROISIÈME PRIX
Deux égarés sont morts réalisé par Tommaso Usberti
La Fémis, France
Le jury de la CST a décidé de décerner le Prix Vulcain de l'Artiste Technicien à Josefin Asberg pour son apport artistique remarquable en cohérence avec l'inventivité du film The Square réalisé par Ruben Östlund.