Splitscreen-review Image de Le vénérable W de Barbet Schroeder

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Le vénérable W.

Publié par - 10 juin 2017

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Le point de départ de ce nouveau documentaire de Barbet Schroeder intitulé Le vénérable W. relève d’une expérience intime. Celle qui l’a conduit dans ses jeunes années à se rendre en Asie et découvrir à cette occasion les racines d’une nouvelle forme de pensée, le Bouddhisme. Il ne s’agissait alors pas pour Schroeder de plonger dans une crise gnostique mais d’envisager le bouddhisme comme un espace utopique. Un espace où il se dit que l’humain peut trouver en lui des ressources insoupçonnées pour atteindre un état d’apaisement avec lui-même, avec autrui, avec le monde.

Puis vint, il y a peu, la découverte d’un rapport rédigé par l’université de droit de Yale qui fait état d’un début de génocide antimusulman initié en 2012 par des moines bouddhistes en Birmanie. Alors que Schroeder considérait le Bouddhisme comme la seule religion encore préservée de toute forme d’extrémisme, il décide de partir pour Mandalay, la ville la plus bouddhiste du monde. Voyage qui a pour but de se confronter au Mal comme il l’a déjà fait dans deux précédents documentaires  Général Amin Dada : autoportrait  et  L’avocat de la terreur . L’intention filmique première ici est identique à ces deux films. Mais, les singularités du personnage central, Ashin Wirathu, vont apporter leur lot d’impondérables et contraindre Schroeder à modifier le principe premier de ces réalisations antérieures.

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Quel est ce principe premier ? Il repose sur la rencontre filmée, sans jugement, d’individus qui incarnent, chacun à leur façon, le Mal tel que se le représente Barbet Schroeder. Le tour de force de chacun des films cités en amont mais également présent dans  Le vénérable W.  se matérialise à travers l’absence de manichéisme dans la mise en scène. Car si Schroeder a bien un avis sur chacun de ces individus, il ne les aurait pas choisis dans le cas contraire, il ne nous impose pas son regard sur les personnages. Il les filme en leur laissant un maximum de liberté. L’objectif est simple, il s’agit de capter l’irreprésentable qui émane du temps filmique, de l’image du personnage filmé, de ses gestes mais également de sa parole.

Le temps filmique évoqué revêt une importance capitale dans le dispositif. Plus on filme, plus le personnage oublie la caméra, plus le vernis craque. Le temps déroule ses fils invisibles et l’individu envisage la caméra comme une tribune offerte et ouverte sur le monde. Vanitas vanitatum, tout n’est que vanité sous le soleil. La méfiance s’estompe, les défenses tombent. Ainsi l’âme se libère de ses faux-semblants, la véritable nature de l’homme apparait et il devient, par un tour de force extraordinaire, non plus un témoin, non plus un acteur, il devient alors ce qu’il est réellement. Un individu qui n’interprète plus de rôle. Rôle qui lui octroierait une forme de respectabilité. Au contraire, ici, place est laissée à sa nature profonde. Le temps filmique et les mots permettent l’éclosion d’une Vérité qui dessine les contours stupéfiants de l’indescriptible. Une Vérité non pas dictée mais à dénicher.

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Car il nous appartient, à nous spectateurs, de voir au-delà des apparences. Certes, contrairement  à ce qui fut fait autour des figures d’Amin Dada ou de Jacques Vergès, il a été nécessaire ici d’adjoindre au témoignage du Vénérable Ashin Wirathu des archives mais également des points de vue de moines bouddhistes radicalement opposés à l’idéologie professée par celui-ci. La mise en parallèle des propos ou des images érige alors en modèle le développement dialectique d’une thèse et d’une antithèse qui impose au spectateur la construction d’une synthèse.

Ainsi Barbet Schroeder réussit une sorte de miracle qui consiste à nous faire sortir de notre condition en marquant une rupture entre ce que nous étions avant le film et ce que nous sommes devenus pendant l’expérience de celui-ci. Une métamorphose interne s’est produite et à défaut de pouvoir changer le monde, elle a le grand mérite de modifier notre vision sur celui-ci.

Crédit photographique : ©Les films du Losange

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