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Lumière ! Le cinéma inventé

Publié par - 11 juillet 2017

Catégorie(s): Cinéma, Expositions / Festivals

Après le succès parisien du Grand Palais en 2015 puis Bologne en 2016, l’exposition Lumière ! Le cinéma inventé arrive à Lyon. Les Lumière rentrent au bercail devrions-nous dire. Curieuse facétie, le train qui a ramené l’exposition à Lyon, inquiétant vu du quai sans doute, ne s’est pas  arrêté en gare de Perrache mais quelques hectomètres plus loin, au Musée des Confluences.

Choix judicieux au regard des orientations de l’exposition Lumière ! Le cinéma inventé. Car si les Lumière, leur vie et leur œuvre, sont le fil conducteur de l’ensemble montré ici, il est aussi question d’inventions techniques diverses, d’un témoignage ethnographique sur leur temps, d’un regard sur le fonctionnement de l’industrie au tournant du XXème siècle, de ce que les Lumière inventeurs de génie produisaient au niveau industriel mais aussi d’art filmique en général. Programme pluridisciplinaire vaste et ambitieux donc.

On notera l’excellente idée de soustraire à l’écrin du Château Lumière quelques pièces exceptionnelles de son musée où, finalement, l’abondance qualitative tend à niveler la beauté des objets qui peuvent, ici, au Musée des Confluences, enfin nous dévoiler leurs charmes insoupçonnés. L’essentialisation convoquée par le choix des pièces présentées ajoute au prix de l’exposition. C’est un ravissement.

Splitscreen-review Image de l'exposition Lumière le cinéma inventé au Musée des Confluences à Lyon
Maquette du site Lumière vers 1903. Photo Pascal Amoyel – Institut Lumière

La scénographie de Lumière ! Le cinéma inventé suit de multiples pistes de lecture qui, toutes, peuvent être explorées indépendamment les unes des autres ou, à l’inverse, conjointement. Quel que soient les choix ou les goûts du visiteur, l’ouverture sur les Lumière et leur époque sera au rendez-vous et le charme opérera.

Sans prétendre à exhaustivité, nous avons choisi trois axes ambulatoires. En premier lieu, celui d’une quête qui, une fois menée, aboutira à la naissance d’un art, le cinéma. Recherche qui a conduit chronologiquement artistes puis scientifiques à se lancer, pour des raisons a priori distinctes et pourtant convergentes au moins en un point, le plaisir de la découverte du monde par sa re-création, dans la possibilité de captation du mouvement d’un objet dans sa durée et la restitution ultérieure de cette captation à partir d’un jeu avec la lumière. Là, très pédagogiquement, sans rien omettre, Lumière ! Le cinéma inventé permet de croiser, parfois par ricochet, Huygens, Paris, Faraday, Plateau, Horner, Reynaud, Marey, Muybridge, Edison et, bien sûr, Lumière et le cinéma.

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La qualité de l’exposition Lumière ! Le cinéma inventé culmine en ce point précis dans la mesure où elle triomphe d'un défi complexe : maintenir en éveil le plus réfractaire des visiteurs aux questions historiques et techniques. Et là, de lui proposer d’abord interactivité pour vérifier théories et fonctionnement d’inventions comme le phénakistiscope ou autre praxinoscope par exemple. L’exposition œuvre ensuite à séduire le visiteur en misant sur la beauté des objets présentés. Simple, évident mais efficace puisque le but est amplement atteint. Les merveilles et les sollicitations de l'esprit abondent.

Autre axe potentiel de découverte, la contextualisation des frères Lumière, inventeurs insatiables, dans leur temps et dans une logique créative qui excède les limites de l’innovation stricto sensu. C’est qu’en dehors du Cinématographe, figurez-vous que les Lumière sont, par exemple, aussi les pères du Photorama (projection d’image à 360°) ou plus tardivement, au milieu des années 30, d’un procédé d’image animée en relief. Constat : les Lumière sont à la fois le fruit de leur siècle et ils sont le trait d’union avec le suivant. D’ailleurs, les points de contact avec une avant-garde artistique aux qualités contextuelles et intentionnelles similaires, l’Impressionnisme, ne manquent pas. En effet, la matière même des films Lumière coïncide avec le mouvement pictural au moins dans la conscience d’être la phase ultime du réalisme.

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L’Impressionnisme a reflété de manière assez significative la position scientifique positiviste du milieu du XIX siècle. L’Impressionnisme est une injection dans l’art de principes optiques qui consistent principalement à observer et retranscrire comment l’œil perçoit les choses en fonction de lumières changeantes. Il n’y a guère, sur cette question, de divergence avec les intentions des Lumière.

Pour eux, comme pour les Impressionnistes, les phénomènes naturels, vie humaine comprise, ne sont admissibles qu’à partir d’une vérification scientifique. Filmer le monde c’est le comprendre. Et les points de contacts ne se limitent pas au cinéma. Les sublimes Autochromes (premier procédé commercial de photographie couleur) sont un témoignage saisissant sur les mutations des formes d’expression. Comment à la vision de cette formidable Autochrome datée de 1910 et intitulée Louis Lumière en famille ne pas songer à ces portraits de groupes impressionnistes ?

Mêmes intentions : une scène de plein air réunit des parents proches, prétexte à observer comment la lumière permet au monde de nous apparaitre. La famille est à l'ombre d'un arbre et la plaque Autochrome restitue un vaste spectre chromatique. Travail soigné sur les contrastes, le clair/obscur présent ici nous rappelle ce que nous devons à la peinture, une véritable interprétation technique et chimique des problématiques soulevées dans le Bal du Moulin de la Galette. Pour paraphraser un célèbre cinéaste qui connaissait l’affaire impressionniste, c’est épatant.
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Plaque Autochrome Lumière : Andrée Lumière et sa cousine Madeleine en 1910. Famille Lumière / Collection Institut Lumière

Les Autochromes font d’ailleurs le lien avec notre potentiel troisième axe de visite, la dimension artistique de l’œuvre Lumière. Ne nous le cachons pas et soyons honnêtes jusqu’au bout. Pendant très longtemps, on a réduit, moi le premier, la fonction des Lumière à celle d’inventeurs. Que ne me suis-je fourvoyé !

La prise de conscience de l’erreur fut soudaine, brutale, imparable. Pour reprendre ce qui est dit ci-dessus, elle fut aussi vérifiée scientifiquement. C’est à une énième vision de La sortie des usines Lumière que la surprise fut totale. Ce n’était pas la même sortie des usines vue quelques années plus tôt. On sait la mémoire soluble dans pas mal de chose mais là, tout de même…………Intrigué, je fis des recherches. Je découvris alors qu’il n’y avait pas une mais trois versions de cette sortie des usines. Mais alors comment nommer des individus qui reproduisent une scène plusieurs fois jusqu’à obtention de leur souhait ? Jusqu’à concrétisation ou matérialisation de ce qu’ils avaient en tête avant de débuter le filmage ? Jusqu’à ce que les intentions coïncident avec leur réalisation ? Tout simplement des cinéastes. Damned, quel sot !

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Cinématographe n°1 en projection (décembre 1895). Collection Institut Lumière, photo Pierre Aubert

Pour s’en convaincre définitivement, et l’exposition Lumière ! Le cinéma inventé y contribue amplement, il suffit de choisir des vues tournées par les Lumière et de prêter attention à ce qui fait le prix d’une mise en scène maitrisée. Positions de caméra, conscience du temps, gestion de la profondeur, des lignes de force, autant de qualités qui répondent à une exigence de cinéastes. Tout y est. Il ne manquerait que la domestication du mouvement. Et c’est alors qu’en parcourant le catalogue des vues Lumière, on découvre que les travellings aussi sont là, déjà.

Alors se rendre à l’évidence, les Lumière sont bien les inventeurs du cinématographe mais ils ont également, n’en déplaisent à certains, posé les bases de ce qui allait devenir plus tard, l’art cinématographique. Cette exposition est indispensable. À tous. Ne serait-ce que pour assister à la naissance d’un phénomène artistique, ne serait-ce que pour prendre le pouls d’une mutation sociale irréversible, ne serait-ce que pour se souvenir d’où nous venons, ne serait-ce que pour rencontrer les Lumière auxquels nous devons tant.

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Reconstitution inspirée du Salon Indien, lieu de la première projection publique payante le 28 décembre 1895 . Collection Institut Lumière ph. Olivier Garcin. musée des Confluences.

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