120 Battements par minute
Publié par Stéphane Charrière - 31 août 2017
Film sur le mouvement Act up Paris. Film sur les ravages universels causés par le Sida. 120 battements par minute, troisième film de Robin Campillo a été, depuis sa présentation en compétition à Cannes, largement commenté sur ces points bien précis. D’autres éléments de lecture sont venus au fil du temps se greffer sur ces deux approches : film politique, film sur l’amour autant physique que psychique, etc. Mais, au-delà de l’évidence des qualités de traitement de ces problématiques, il serait trompeur de réduire le film à son sujet et aux ramifications de celui-ci.
Reprenons. Film politique oui, au propre comme au figuré. C’est-à-dire que littéralement le film est politique dans la mesure où il inspecte la révélation, et la considération qui en découlera grâce aux actions d’Act Up, du pouvoir de contamination du virus du SIDA dans les années 90. Il fallut des initiatives parfois très dures et spectaculaires pour que l’opinion prenne conscience que le mal en question n’était pas assujetti à une « frange marginale » de la population. A ce sujet, n’oublions pas que, croyant dans un premier temps que le virus ne concernait que la population homosexuelle, il n’y eut pas beaucoup d’émotion, de compassion et de volonté pour endiguer la maladie. Effroyable. Et puis vint Act Up et, au-delà des aversions que le mouvement suscitait dans la société bien-pensante, à force de propos, de slogans, l’idée d’une lutte à mener à échelle planétaire est née. Si la maladie nous concerne tous alors effectivement le film, dans sa logique expressive, est politique.
Il l’est également au regard de l’engagement et du fonctionnement d’Act Up qui finalement irrigue la mise en scène. Il y a, à ce titre, une idée fort séduisante en lien avec le développement scénaristique, c’est la notion de Résistance. Act Up se présente comme un réceptacle de débats, d’exposition de pensées, un espace qui accepte toutes les contradictions dans la mesure où elles font avancer et reconnaitre le combat contre la maladie. Ce qui est Résistance puisque Act Up échappe à une volonté politique liée à un état, un pays.
Politique certes mais 120 battements par minute laisse apparaitre surtout que le mouvement, mot à entendre au propre comme au figuré, célèbre la vie face à l’inéluctable. Faire acte de Résistance, c’est faire l’apologie du désordre face à l’ordre, donc c’est produire des actions qui dérèglent le quotidien social et qui échappent au contrôle des autorités, en l’occurrence françaises ici. C’est aussi ce que fait 120 battements par minute au regard de la considération contemporaine des orientations sexuelles de chacun qui, sous l’égide d’une morale redevenue rigoriste voire rétrograde, souffre toujours d’une forme de réprobation de l’opinion publique. Le film est donc, à sa manière, acte de Résistance.
120 battements par minute, en modernisant, en ajoutant cette touche de contemporanéité rejoint le militantisme d’antan pour le réactualiser. Le film est militant dans son désir de superposer ces années 90 sur notre monde, sur notre temps. En ce point, l’écueil était grand : circonscrire son sujet aux années 90 et en faire une sorte de commémoration, une parenthèse ouverte sur un passé révolu. Or, formellement, 120 battements par minute, s’accommode de ce qui lui est contemporain pour réussir l’implantation de l’hier dans l’aujourd’hui et de l’ailleurs dans l’ici.
Les comédiens véhiculent et transposent dans leur personnage des attitudes, des gestes, un rythme d’élocution, une manière de poser un regard sur les autres et les choses qui ne peuvent les soustraire à ce qu’ils sont : des individus actuels. Cela participe de cette modernisation du propos filmique mais également cela nous rappelle que le risque d’inoculation du virus est plus que jamais toujours présent. De la même manière, certaines images convoquées pour incarner les pensées des personnages témoignent, par leur technicité moderne, de la collision temporelle voulue par Robin Campillo pour implanter ce combat dans le présent.
A cet égard, 120 battements par minute procède également d’un réajustement d’échelle pour raconter à la fois le désastre causé par la maladie et le combat du mouvement Act Up ; dans sa seconde partie, l’action se concentre autour des personnages principaux qui, à travers leur drame intime nous disent la Tragédie d’une époque qui, hélas, n’est pas révolue. Robin Campillo ne s’y trompe pas lorsqu'il dédie, à Cannes, son film aux morts mais aussi aux vivants, la lutte continue et doit se perpétuer car la guerre n'est pas finie.
Crédit photo : 120BPM©CélineNieszawer / Copyright Salzgeber & Co. Medien GmbH / Copyright Les films de Pierre / France 3 Cinéma