Splitscreen-review Image de Soudain l'été dernier de Joseph Léo Mankiewicz

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Soudain l'été dernier (Suddenly last summer)

Publié par - 2 septembre 2017

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

En cette fin d’été, Carlotta Films ajoute à la sortie de Picnic de Joshua Logan, formidable auscultation du fonctionnement sous-jacent de l’Amérique des années 50, l’édition Bluray ou DVD de l’un des films les plus remarquables de Joseph Léo Mankiewicz, Soudain l’été dernier. Adapté d’une pièce sulfureuse de Tennessee Williams, le film fait la part belle à l’auscultation des tabous les plus profonds de nos civilisations  (inceste, cannibalisme) et s’interroge sur des orientations sexuelles pour le moins controversées à l’époque et pas forcément mieux tolérées aujourd’hui.

Le film est en soi des plus intéressants. Il est l’image d’une conscience américaine torturée par le constat que les utopies US fondatrices ne survivent pas aux écueils du XXème siècle. L’Amérique des "fifties" baigne dans un climat singulier (mal être social, paranoïa ambiante, peur de l’ennemi intérieur et extérieur, émancipation des populations féminines et d’origines étrangères, etc.) qui se traduira, pas seulement mais on l’oublie trop souvent, par l’apparition de films à forte consonance psychanalytique.

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Au début des années 40, les USA plongent dans une crise identitaire et statutaire incarnée dans un premier temps par le Film Noir (récits de meurtres et disparitions qui autorisent le surgissement de la part ténébreuse de la société US, apparition de personnages représentatifs de la solitude ressentie par l’individu face à un monde dans lequel il ne trouve pas sa place, et, techniquement, usage des possibilités d’éclairage à des fins dramatiques). Puis, les questions et craintes soulevées dans le film criminel vont contaminer toute la production filmique ou presque. Ainsi, certains genres vont allégrement muter, y compris les grands genres américains. Le Western, par exemple, se laissera gagner par d’autres considérations que ses codes originaux liés à la conquête de territoires nouveaux, la présence indienne ou l’affranchissement des modèles sociaux, moraux et politiques européens.

Dès le milieu des années 40, surgissent des films ayant pour sujet la psychanalyse (Spellbound 1945, Double énigme 1946, Le secret derrière la porte 1948) avant que d’autres ne s’attardent sur le psychanalyste en personne, substitut de l’enquêteur solitaire du film noir (Soudain l’été dernier 1959, Freud passions secrètes 1961). Puis, lorsqu’il s’agira de constater les déficiences du système américain, le cinéma fera de l’institution médicale psychiatrique une sorte de métaphore des dysfonctionnements de l’état (Shock corridor 1963, Vol au-dessus d’un nid de coucou 1975).

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Soudain l’été dernier a pour personnage principal le docteur Cukrowicz (Montgomery Clift), fraichement arrivé à la Nouvelle Orléans, qui ne peut hélas que constater le manque de moyens dont dispose l’hôpital psychiatrique dans lequel il vient de prendre ses fonctions. Il reçoit alors une offre de la part de Violet Venable (Katharine Hepburn), notable locale qui vient de perdre son fils Sebastian dans des conditions aussi mystérieuses que sordides : si le docteur pratique une lobotomie sur sa nièce Catherine (Liz Taylor), il recevra la somme de 1 million de dollars.

Les grandes qualités de Soudain l’été dernier, présenté ici dans une copie restaurée 4K absolument sublime, tiennent d’abord dans ses capacités à installer un climat mystérieux calqué sur le modèle du film criminel pour mieux souligner les parts d’ombre des personnages et, par extension, celles de la société américaine. Le parti pris de ne jamais montrer le visage de Sebastian participe de l’universalisation du propos filmique en favorisant les projections du spectateur dans le film.  Soudain l’été dernier fait l’apologie du fantomal en n’explicitant rien et en jouant sur l’omniprésence de Sebastian : des objets, des souvenirs parasités par les fantasmes de ses proches, un jardin, ou même une reproduction du St Sébastien de Botticelli.

Cette présence vampirisante du défunt et les indices disséminés ici ou là absorbent le spectateur dans le film qui, par déductions, sera amené à peindre le portrait de cet individu qui cristallise toutes les obsessions des personnages. Magistral.

Splitscreen-review Image de Soudain l'été dernier de Joseph Léo Mankiewicz

Autre grande réussite de Soudain l’été dernier et qui découle de ce qui précède, la réflexion menée conjointement sur les possibilités expressives du verbe et celles de l’image. Les mots prononcés sont, comme en psychanalyse, salvateurs pour les protagonistes. C’est la parole qui libère le personnage incarné par Liz Taylor du souvenir de l’acte horrible auquel elle a assisté. Mais, nous spectateurs, n’y étions pas. Nous n’avons pas vu la mort du jeune homme. Elle ne nous a pas été montrée. Par contre, le film distille, au fil de ses séquences, des situations, des images qui, lorsqu’on les étudie attentivement, sont riches d’enseignements. Les informations que ces scènes nous livrent permettent de reconstituer par déduction et assemblage des pièces d’un puzzle macabre l’horreur, la nature et l’ampleur du traumatisme vécu par la jeune femme. Magistral. Donc, objet éditorial incontournable et indispensable.

Outre les qualités du transfert haute définition déjà soulevées, Soudain l’été dernier est accompagné d’un complément de choix : un entretien avec Michel Ciment qui revient sur la genèse du film et ses particularités, tant dans le cinéma américain que dans la filmographie de Mankiewicz. Le module est passionnant tant Ciment connait (mais ça nous le savions) son affaire. A la fois pédagogique et didactique, cet éclairage prolonge parfaitement le plaisir lié à la découverte de l’œuvre.

Pour conclure ce splendide travail éditorial, Carlotta Films a joint à l’ensemble la bande annonce du film.

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Crédits photos : SOUDAIN L’ÉTÉ DERNIER © 1960, RENOUVELÉ 1988 HORIZON PICTURES (G.B.) LTD. Tous droits réservés.

SUPPLÉMENTS (EN HD)

LE PRÉDATEUR ET LA PROIE (26 mn)
Michel Ciment, critique, historien du cinéma et directeur de la revue Positif, nous montre cependant comment Joseph L. Mankiewicz s’est emparé de la pièce pour la transcender en analysant l’adaptation, le style et l’interprétation d’un trio d’acteurs hors du commun.
BANDE-ANNONCE

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