Splitscreen-review Affiche de Les proies de Sofia Coppola

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Les Proies

Publié par - 5 septembre 2017

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Après avoir exploré le 18ème, le 20ème et le 21ème siècle, Sofia Coppola s’attaque à une nouvelle époque et place l’action de son film en 1864, cœur de la guerre de Sécession, avec l’adaptation du roman éponyme de Thomas Cullinan « Les Proies » (1966). Fidèle à ses thématiques de prédilection, la réalisatrice structure son récit en adoptant le point de vue du groupe de femmes confiné dans le pensionnat de Madewood qui semble exister en marge du monde. Cette approche diffère résolument de la version de Don Siegel (1971) centrée elle sur le personnage masculin incarné par Clint Eastwood. Enseignées quotidiennement dans la maison, charité chrétienne et bienséance vont rapidement être mises à l’épreuve lorsque la communauté décide d’héberger, au départ pour le soigner, un « blueberry », Colin Farrell, grièvement blessé sur le champ de bataille.

Alité contre sa volonté, le Caporal Mc Burney devient fatalement une proie facile pour cette communauté de femmes qui toutes, associées à leur âge respectif, projetterons sur lui leur fantasmes, désirs, et autres étapes du développement de la psyché féminine, tour à tour mère, hétaïre et amazone. La traduction dans le film de ces phases ou sentiments est d’une sensibilité pure tant Sofia Coppola développe son art de la mise en scène autour de la perception physique, visuelle et sonore.

Les sens de la directrice du pensionnat Mademoiselle Martha, incarnée par Nicole Kidman, seront les premiers à être ébranlés dans une délicate et intense scène de toilettes où la vue et le contact physique de l’anatomie du Caporal irlandais, réduit à l’état de chair dans un morcellement photographique, fera progressivement monter son désir sexuel. Cette scène convoque le passé de la carrière de Nicole Kidman et le Portrait de femme réalisé par Jane Campion en 1996, où déjà il était question de lutte entre bienséance et convention lorsqu’une femme est brutalement confrontée à la montée d’un incontrôlable et proscrit désir physique, alors provoqué par l’effleurement de son visage de la main du Ô combien viril Viggo Mortensen.

Le dernier film de Sofia Coppola est aussi l’occasion d’une nouvelle collaboration avec le groupe Phoenix. Cette fois-ci pas question d’habiller l’histoire par des sonorités Indie pop du groupe électro mais plutôt d’illustrer l’abstraction temporelle dans laquelle est cloisonné le pensionnat. A ce sujet le groupe confie avoir fait plus de la manipulation de son que de la composition en ralentissant à l’extrême le Magnificat de Monteverdi pour créer un amalgame de voix dans une résonance proche d’un moment d’éternité.

Formellement le travail de directeur photo de Philippe le Sourd contribue à rejeter le monde extérieur. Cette exclusion spatiale est particulièrement manifeste dans la façon dont est filmé le portail du domaine, frontière physique des territoires. La précision de la mise au point sur ce dernier donne l’impression d’un monde extérieur plastiquement dilaté et abstrait, proche visuellement  des transparences d’Alfred Hitchcock. L’utilisation d’objectifs anciens à grandes ouvertures accentue l’isolement visuel et temporel des personnages offrant un flou d’arrière plan circulaire qui accentue un peu plus leur enfermement. L’image diaphane du film quant à elle semble constamment jouer avec le soleil, la poussière, la végétation sauvage et provoque l’étouffement des personnages sous le poids du refoulement de leurs différentes pulsions.

L’architecture de la maison de maître de Madewood, exemple représentatif du style « Renouveau Grec » apporte une dimension mythologique au récit. Dans leur gynécée ces jeunes femmes pratiquent très habilement la musique, et de là à les comparer à des sirènes il n’y a qu’un pas. Le titre original du film « The Beguiled » évoque le jeu de séduction avant celui de la chasse, une subtilité homérique qui constitue l’essence du film de Sofia Coppola. Son portrait de femme est d’ailleurs "shooté" au format 24x36, faisant fi d’un film traditionnel en 16/9. Cette proportion photographique plus appropriée à l’exercice est une façon supplémentaire de cristalliser les différentes facettes qu'arboreront les personnages féminins du récit

Crédit photographique : Copyright 2017 Focus Features LLC. All Rights Reserved. / Ben Rothstein

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