Splitscreen-review Image de Good Time deJosh et Benny Safdie

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Good Time

Publié par - 26 septembre 2017

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

S'échapper à tout prix

Depuis plusieurs années, le nom de Robert Pattinson est associé automatiquement à la saga Twilight. L'image d'une teenage star lui colle à la peau, un peu à la manière de Daniel Radcliffe croisé sur les plateaux de Harry Potter. Pourtant, Pattinson s'efforce d'échapper à cette étiquette et se construit une filmographie passionnante : Cosmopolis et Map to the stars de David Cronenberg, The rover de David Michod ou encore plus récemment l’excellent The Lost city of Z de James Gray. Quoi de plus adapté donc, ou ironique, que de jouer le rôle d'un homme tentant de fuir une condition qui l'étouffe dans Good Time des frères Safdie ?

Dans ce film, Constantine "Connie" Nikas (Robert Pattinson) et son frère mentalement handicapé Nick (Ben Safdie) décident de braquer une banque pour quitter New-York. Mais Nick se fait attraper par la police et disparait dans les méandres du système. Connie tente donc de le retrouver pour le libérer le temps d'une longue nuit aux airs de course poursuite entre lui et les représentants de la loi.

Dans Good Time, l'idée maîtresse qui guide les protagonistes est la fuite. Les personnages tentent en permanence d'échapper à quelque chose. Leur plus grand désir est de s'évader, comme dans divers films et séries qui se déroulent en univers carcéral. Mais ici, la prison ne se limite pas aux murs de Rickers Island. C'est toute la ville de New-York qui semble emprisonner ses habitants en empruntant toute une symbolique urbaine au film criminel américain. En plus de ne jamais voir le ciel, les grillages et barreaux récurrents dans les cadrages renforcent la sensation d'enfermement. Chacun à sa manière cherche à s'en sortir. Certains rêvent d'îles paradisiaques, d'autres ont recours à l'alcool et autres drogues. Mais pour que le rêve devienne réalité, il faut se procurer de quoi l'acheter. La quête d'argent, qui vire à l'obsession, devient le moteur narratif du film et constitue en soi le Sésame pour s'extirper des ténèbres de la ville.

Comme toute prison, New-York à ses gardiens : la police. Celle-ci semble loin de l'image d’un ordre dépassé par la criminalité qui lui est régulièrement associée dans les films criminels américains. Ici, les forces de l'ordre sont une puissance froide, violente et omniprésente. Elles planent comme une épée de Damoclès sur tous les personnages du film. Lorsque quelqu'un appelle la police, celle-ci arrive dans la minute, comme si elle incarnait une entité omnisciente déjà avisée du problème. La police, systématiquement sur-réagit aux évènements. Elle est d'une brutalité sans borne envers ceux qui perturbent l'ordre public comme aux temps du polar des années 70. Même lorsqu'il est question, comme dans cette émission TV que regarde Connie, d'une femme dépressive et suicidaire qu'un agent plaque violemment au sol, la faisant s'empaler sur son propre couteau. Mais les policiers sont indifférents à cela et, sans la moindre marque d'affect, adoptent une attitude distante, mécanique, déshumanisée, presque morbide. Même le psychiatre sensé aider Nick est dépeint comme une sorte de tortionnaire sadique.

De manière générale, New York est une figuration de l’agressivité qui émane de cette cité réputée pour ne jamais dormir. En permanence, la mise en scène assaille nos sens. Que ce soit par des effets de montages (comme ce plan d’une chambre obscure subitement éclairée par une Télé qui s'allume alors que nos yeux sont habitués au noir) ou par la bande son (omniprésence d’une musique assourdissante, personnages qui hurlent régulièrement et bruits incessants de la ville) le spectateur, à l'image des protagonistes, est toujours brutalisé par le film. Même lorsque Connie s'enferme dans la chambre de sa petite amie en fermant la porte, le volume de la dispute entre cette dernière et sa mère ne diminue pas. Tout est hostile. Tout est violence.

Face à cette jungle urbaine, les personnages, Connie le premier, font tout pour se préserver de ce Mal qui gangrène l'espace ; attitude désespérée qui tend à teinter Good Time d'une certaine forme de mélancolie. Cette résistance à l'oppression, et aux schémas destructifs propagés par la cité, s'incarne dans ce qui lie les individus entre eux, l'amour et l'entraide. Mais aussi dans le silence. Lorsque les frères Nikas braquent la banque, ils le font avec des mots sur papier et des gestes détendus. Malgré le crime, ils tentent d'adopter une attitude chevaleresque qui souligne la dichotomie existante entre les personnages et l'univers dans lequel ils évoluent. Ce hold-up se calque sur le mode opératoire des gangsters des années 20/30 alors que New York, dans sa réalité quotidienne, semble se repaitre des âmes qui la composent et suit un cheminement qui, autarcique qu'il est, semble se nourrir de sa contemporanéité. Connie s'attache donc désespérément à maintenir vivace un sentiment d’empathie pour autrui. L'idée de perdre son frère, personnage qui occupe une fonction capitale dans la dramaturgie (il est ce qui permet à Connie d’être un individu avec une fonction et un rôle social qui humanise ses actes), le déstabilise et le pousse à prendre des risques. La mise en scène et les dialogues, à connotations mystiques, ajoutent à la mélancolie qui émane de ce chemin de croix des temps modernes. Les actions de Connie sont présentées comme des actes d'amour et de compassion plutôt que d'égoïsme.

Ainsi, de nombreux éléments servent à incarner l'esprit de Connie. La présence d'animaux durant le film reflètent les réactions instinctives du protagoniste. Le personnage de Crystal est une figuration de l’innocence de Connie, etc. Les animaux restent calmes tant que le protagoniste l'est aussi et Crystal, dont le nom ne fut clairement pas choisi par hasard, lui fait une confiance aveugle et exempte de tout calcul. Mais, dans cet univers, il est difficile d’échapper aux ténèbres et le Mal contamine insidieusement le Monde. La chute de Connie semble inéluctable. Le Mal métastase le personnage et entame son entreprise de destruction des affects par l’acceptation de la violence et la trahison. Dès lors, les animaux réagissent à la présence de Connie, un chien se mettra pour la première fois à hurler en sa présence Nous savons que l’enfer est proche puisque Cerbère se manifeste.

Good Time observe la face cachée et obscure de la société US comme le cinéma indépendant américain sait si bien le faire. Pour constituer une parabole probante, il se rapproche des films d'évasion de prison et du conte. En incorporant les codes de ces deux champs d’expression au cinéma de genre US, Good Time nous offre une vision très sombre du monde, qu'il semble bien improbable de combattre et même de fuir, tant l'altération inéluctable des êtres semble efficace et définitive.

Crédit photographique : Copyright Temperclayfilm / Copyright AdVitam

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