Décidément, cette journée pouvait se placer sous le signe de « l’Ironie ». J'ai passé la journée en cours à réfléchir et parler de jeux vidéos. Logique quand on étudie le Game Design. Une seconde passion qui fût une de mes portes d'entrée vers le cinéma. Si je suis le premier à reconnaitre que ma future profession peut donner naissance à des œuvres à mille lieux de la culture et la beauté, cela nous fait toujours soupirer de dépit, mes collègues et moi, quand le nom seul de son métier suscite un haussement de sourcil incrédule ou une incompréhension totale. Si les choses semblent heureusement s'arranger, trop nombreuses semblent être les personnes ayant du mal à imaginer qu'un membre de la profession à l'origine des Call of Duty et autre Candy Crush peut apprécier les arts dit nobles alors que, pour certains, le jeu vidéo fût pour eux une introduction à ces derniers.

En milieu de séance, je ne peux donc m'empêcher de former un léger sourire amusé devant le fameux Infernal Affairs d'Andrew Lau et Alan Mak. Car là aussi, la notion de jeu tient une place essentielle. Les triades ont une "taupe" chez les flics et les flics en ont une dans une triade et chacun finit par s'en rendre compte, sans arriver à les identifier. C'est le début d'un jeu pervers dont personne ne sortira indemne. Le film devient une longue et intense partie d'échec, les flics étant régulièrement en blanc et les criminels en noir. Mais sans doute sommes-nous plus dans une partie de poker. Chacun cache son jeu, essaie de deviner les secrets de l'autre et éliminer son adversaire. Et nous, spectateurs, sommes régulièrement plongés dans une forme d'ironie dramatique, car nous savons tous et prenons malin plaisir à observer ces "pions" discutant et rigolant en ne sachant rien. Avec une telle paranoïa ambiante et la promesse de sang versé, on comprend que la psychiatre du film préfère jouer au solitaire. Le jeu m'a poussé vers le cinéma, un film se base sur les jeux. La boucle semble étrangement bouclée.

Mais ce qui m'a le plus surpris en sortant de la salle, c'est la manière dont le film traite du Bien et du Mal, y mêlant subtilement la notion du Libre Arbitre. Sans rien vouloir dévoiler, il m'a semblé que dès les premières secondes, quand une citation bouddhique parle de la vie douloureuse comme d'un enfer, un châtiment pire que la mort, on comprend que Hong Kong sera cet enfer incarné. La vie semble n'être qu'hypocrisie et cupidité. Le sang et la folie semblent être le prix à payer pour sauvegarder un équilibre fragile des forces entre les Triades et la Loi. Pendant dix années, les « taupes » vont jouer leurs rôles et perdre leurs repères. Ils ne savent plus qui ils sont et ce qu'ils doivent faire. Qui est le policier ? Le policier infiltré deviendra-t-il un éternel criminel s'il ne poursuit pas sa mission comme l'ordonne son supérieur ? Mais malgré cela, une forme de Bien semble lutter et subsister au milieu de l'enfer. Il surgit là où on ne l'attend pas. La police incarne peut-être le Bien dans ce film, mais c'est une structure qui semble fonctionner selon un principe organisationnel qui ressemble à celui des Triades. Les hommes se perdent à l'intérieur et tentent de s'accrocher du mieux possible à leur identité fluctuante. L'espoir est alors permis, car il est possible de faire le bien même au milieu de l'enfer, tout est affaire de choix.

Sélectionné par Wong Kar-wai en personne, réinventé par Martin Scorsese (The Departed), oscarisé pour cela d'ailleurs, il me semblait important de voir ce film. Ne serait-ce que pour approcher le style "Hongkongais", dont l'âge d'or aux yeux de l'occident semble s'être déroulé durant la génération précédent la mienne, qui, elle, semble plutôt marqué par les films Coréens. Pourtant l'écho de ce cinéma résonne encore aujourd'hui, et, après cette séance, je pense avoir saisi un peu mieux pourquoi. Un tout autre monde cinématographique se cache derrière les affiches d'Hollywood. En lever une pour regarder ailleurs, se permettre d'être curieux, est tout ce qu'il faut pour y entrer et élargir ses horizons.

Demain est un autre jour de festival. J'ai grand hâte d'y être.

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