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Les invités du festival J7

Publié par - 22 octobre 2017

Catégorie(s): Cinéma, Expositions / Festivals

Avant de recevoir son prix Lumière, Wong Kar-wai a donné vendredi 20 octobre une masterclass au Théâtre des Célestins animée par Thierry Frémaux.

Il y sera peu question de ses films, mais plutôt de son rapport au cinéma et de ses méthodes de travail. Le directeur de l'Institut Lumière et délégué général du Festival de Cannes connaît bien le réalisateur et si Thierry Frémaux glisse progressivement du tutoiement à l'utilisation de la troisième personne lors de l'échange, c'est peut-être pour répondre à la nonchalance de son interlocuteur. Le réalisateur semble se situer toujours largement au dessus de la foule, en retrait. Cette distance n'est pas à confondre avec du mépris bien-sûr, c'est une attitude qui le caractérise, un recul nécessaire autant pour répondre aux questions qui lui sont posées que pour faire des films. Les lunettes de soleil, c'est toute une philosophie.

La discussion s'ouvre sur le contexte de son enfance, puisque dès 5 ans il déménage à Hong Kong avec sa mère. Il n'était pas question d'y rester, pourtant, il y a finalement passé 50 années de sa vie. L'isolement linguistique et culturel, ainsi que la passion de sa mère pour le cinéma ont participé à sa découverte très jeune de l'univers qui est le sien aujourd'hui. Dans un contexte propice dans les années 60 où les films du monde entier viennent à Hong Kong et où l'essor économique accompagne un cinéma local de plus en plus dynamique, Wong Kar-wai considère avoir grandi dans une des capitales du cinéma de cette époque. Le développement de ce cinéma hongkongais, d'abord balisé par le film de genre, se libère progressivement avec l'essor d'un cinéma indépendant qui permettra à Wong Kar-wai de s'inscrire dans la nouvelle vague locale et de proposer un cinéma d'auteur qui garde des airs de film de genre dès les années 80.

À la remarque de Thierry Frémaux sur la singularité de son cinéma dès ses premiers films, il répondra qu'il n'en était pas conscient et que le contexte de l'époque permettait de faire ce type de films tout en répondant à une demande des producteurs et du public. L'opportunité était à saisir à un moment précis et il l'a fait.

Il est de notoriété que les trois grandes étapes de la production, écriture, tournage, montage, prennent chez ce réalisateur des proportions inhabituelles. Aussi, lorsqu'il est invité à se prononcer sur la question, c'est avec amusement qu'il renvoie la balle à ses collaborateurs présents, chef opérateur et monteur. Sur une note plus sérieuse, il explique que son approche créative consiste à mélanger les trois étapes et que cela a pour conséquence de créer des situations de tournage parfois difficiles, particulièrement sensibles aux aléas et aux contretemps. Il en profite pour remercier le festival de Cannes, pas tant pour participer à la diffusion de son œuvre dans le monde que pour le marqueur d'échéance que cela crée, l'obligeant à finir son film dans les temps pour l'y présenter.

Pour prendre le relais alors que Thierry Frémaux continue de "cuisiner" le réalisateur sur ses retards de rendu des copies de films, et pour continuer à répondre à la question de ses méthodes, Christopher Doyle, "on fire", demande le micro. Avec un plaisir affiché de prendre la parole, il profite du moment pour clamer une déclaration d’amour à Wong Kar-wai, à grand coups de «fucker».  Le poussant toujours à aller plus loin, il doit au réalisateur d'être aller au delà de ce qu'il n'aurait jamais imaginé dans son métier de chef opérateur. Pour ça, il le remercie, dans un langage haut en couleur et une excentricité qui s'oppose radicalement au style adopté par le réalisateur. On donnerait cher pour les voir travailler ensemble tant cela paraît improbable.

Dans la prolongation de sa méthode de travail, la discussion dérive sur la gestion des comédiens. Bien obligés de s'adapter, ne recevant le script que tôt le matin pour la journée de tournage, ils travaillent tout de même sur le long terme avec Wong Kar-wai qui nous explique qu'il y a toujours une phase d'évolution dans sa relation avec eux. Si les répliques ne fonctionnent pas, alors il donne de l'espace à l'acteur pour qu'il s'exprime visuellement. C'est le cas de Maggie Cheung dans In the Mood for Love. Dans tous les cas la relation réalisateur/acteur repose sur une confiance mutuelle dans la parole de chacun. Jamais le réalisateur ne piège ses comédiens et c'est toujours d'un commun accord que la scène est validée.

Enfin, sur la question de l'avenir, le réalisateur renvoie à la Chine, où il voit aujourd'hui un contexte similaire à celui de Hong Kong dans les années 80 et estime que les opportunités son nombreuses dans ce pays qui développe de plus en plus son cinéma pour faire face à une demande croissante des innombrables salles du pays. Le contexte économique est positif pour lui mais aussi et surtout pour la jeunesse qui souhaiterait faire du cinéma. La forte concurrence aura sans doute des effets bénéfiques pour la création, il estime cependant que cet effervescence pourrait aussi participer à une conformation des contenus produits, contre quoi il met en garde.

D'un point de vue personnel, il est extrêmement positif et reconnaissant de pouvoir réaliser des projets qui lui tiennent à cœur dans les conditions qu'il désire et espère pouvoir continuer autant que possible. Il est presque chaleureux lorsqu'il remercie le public de Lyon avant de partir pour la remise de prix.

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