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« En chacun de nous existe un autre être que nous ne connaissons pas. Il nous parle à travers le rêve et nous fait savoir qu’il nous voit bien différent de ce que nous croyons être ».
Cette phrase de Carl G. Jung pourra nous interpeller lors du visionnage du dernier film d’Ildiko Eynedi intitulé Corps et Âme. Dans celui-ci, un univers onirique rassemble deux personnalités singulières : Endre, directeur financier d’un abattoir bovin, paralysé du bras gauche, et Mària, nouvelle responsable de la qualité de la même entreprise, dont le comportement évoque le syndrome d’Asperger. Dès les premières images qui nous présentent le premier rêve partagé, on peut être frappé par ces plans rapprochés sur les animaux qui nous dévoilent certaines caractéristiques que l’on attribuerait plus généralement à l’humain. Il y a de la douceur, de la tendresse entre ce cerf et cette biche. Douceur qui sera amplifiée par le contraste créé par la juxtaposition des scènes appartenant au champ du Réel.
Corps et Âme s'inscrit tout d'abord dans une réalité crue avec une description chirurgicale de l’environnement dans lequel Maria et Endre travaillent. Enyedi nous montre des séquences réelles se passant dans un abattoir hongrois. Des séquences aux allures de documentaire par ses plans rapprochés et statiques qui, froidement, dévoilent la manière dont le destin funeste d'animaux en tous genres s’accomplit. Scènes d’autant plus douloureuses pour le spectateur que nous avons développé une empathie concrète envers les créatures des séquences de rêve.
L’autre réalité abordée dans Corps et Âme tient dans une figure de l’incommunicabilité palpable dans le relationnel (et son évolution) entre Endre et Maria. Chacun blessé, l’un physiquement, l’autre psychiquement, leurs interactions sont dénudées des caractéristiques courantes. Les dialogues sont rares, superficiels, ils meublent le vide et le tactile est inenvisageable, impossible. La communication s’établira toutefois. D’abord par ces échanges de regards, ces silences entre les phrases prononcées par deux personnes qui acceptent de libérer leur âme avant leur corps. Les nombreux plans sur les détails (notamment la scène ou Maria recrée une interaction avec des condiments) nous éloignent d’un pathos systématique au profit d’une invitation à partager la vision des personnages. Nous sommes conviés à explorer cette relation qui évolue sous ces trois angles. L’angle du social (l’entreprise), l’angle de l'intime (les séquences sur les personnages dans leurs vie privée), et l’angle de l’onirique (le rêve).
Ces différentes approches ont chacune leur prédominance sur les autres en fonction de la relation qui se construit entre Maria et Endre. Lorsque la relation n’est qu’un regard, une conversation polie, le rêve ponctue les séquences. Ce dernier, débarrassé des conditionnements sociaux, exprime ce qui constitue et renseigne sur l’être profond de chacun. Une fois que le contact entre les corps s’amorce, les rêves commenceront à s’estomper.
Par cette expression très directe des images de Corps et Âme, Enyedi touche droit au cœur, à l’âme des spectateurs, comme un poème pourrait le faire. Rien n’est vraiment explicite et ce que vivent intérieurement les personnages nous est montré sans mot ni explication. Car, comme dans la vie de chacun, il existe des choses sur lesquelles le rationnel ne peut avoir de prise.
Comme tout ce qui touche au concept de l’âme, nous pouvons y croire, comme nous pouvons le rejeter.
Crédit photographique : Copyright LePacte