En une poignée de courts métrages et trois longs métrages seulement, Michaël R. Roskam s’est imposé avec une évidence folle comme un des cinéastes les plus talentueux de sa génération. Bullhead et Quand vient la nuit, ses précédent films, nous avaient déjà captivé et ému grâce à une grande maitrise de la narration et un impeccable sens de la mise en scène. Ce nouveau film, Le Fidèle, est d’autant plus réjouissant qu’il finit d'apporter à son réalisateur belge la crédibilité des plus grands.

Violence, vitesse et regard

Gino (Matthias Schoenaerts) est un gangster, un braqueur de banque très doué. Bénédicte (Adèle Exarchopoulos) est passionnée par la course automobile, elle atteint les podiums. Gino et Bénédicte se rencontrent et c’est le début d’un polar mélodramatique somptueux, sobre et pertinent, comme seul le cinéma américain à l’habitude de nous en offrir.

Comme dans Bullhead, le film s’ouvre sur un traumatisme d’enfance. Gino, dans la fleur de l’adolescence, doit fuir. Sa famille et la société lui veulent du mal. Caché dans des bosquets, des chiens sont lancés à sa poursuite, il est terrifié. Les clôtures en barbelés le blessent dans sa chair, on le rattrape. Ce choc premier est la violence originelle qui fera de lui ce qu’il est et structurera son moi profond. Il doit vivre caché et à toute vitesse. Il doit se battre mais il a peur, surtout des chiens et de celui qui sommeille en lui. Enfanté par et dans un monde qui le rejette, Gino sera le produit marginal d’un foyer parental et d’une société disloqués, incompétents, dépassés.

Matthias Schoenaerts, comme dans Bullhead, interprète ce personnage fort et violent mais doté d’une puissance émotionnelle d’une beauté folle, à faire pleurer. L’acteur par son jeu physique, convulsif, poétique tout en restant réaliste, évoque Marlon Brando. Son regard si distinctif est quant à lui chargé d’une émotion brute, bouleversante. Soulignons que ce regard n’est jamais aussi bien filmé que chez Michaël R. Roskam.

Car le regard des personnages dans Le Fidèle est saisissant. Enfermé dans un appartement muré ou dans une prison, il est l’élément constitutif du moi, l’accès à la connaissance de leur être. Derrière les vitres d’une voiture lancée à toute vitesse, le regard fait le lien avec l’extérieur, un moment de réflexion, une certaine idée de la représentation du monde. Et là où le monde ne présente aucun signe d’amour, il faut se l’imaginer afin de l’apercevoir. Il faut rêver d'un(e) prince(sse) charmant(e) qui bravera tous les dangers pour venir vous trouver, vous délivrer. A la fin d’une course, Gino aperçoit Bénédicte. Elle enlève son casque avec grâce, ses cheveux, la lumière, elle est belle. La scène de rencontre est splendide et dans leurs yeux, ce sont les flammes de l’amour fou impossible à rassasier qui nous tiendrons en haleine jusqu’à la fin.

Qui est le fidèle ?

Le Fidèle tient plusieurs promesses. Celui d’être un polar haletant où le sens du rythme, entre vitesse et ralentissement prend part intégrante à la narration. Les scènes de braquage n’ont rien à envier à celles des films de Michael Mann et les discussions entres gangsters sont traitées avec la classe requise par le genre.Plus qu’une promesse, il surprend en étant une fresque sur le vertige de l’amour. La beauté de Bénédicte est vertigineuse, sa compagnie est une bénédiction. Le divin est questionné à travers son personnage et Adèle Exarchopoulos, par son naturel désarmant, trouve ici un personnage à la hauteur de son talent.

Cette tragédie romantique aura l’intelligence de questionner le titre même du film et d’en changer son sens jusqu’à la dernière scène. Une fin en réponse au court-métrage C'était un rendez-vous de Claude Lelouch, où la voiture folle filait à un rendez-vous, nous donne l’impression qu’ici les deux amoureux ont rendez-vous avec l’immortalité. Et nous dans tout ça ? Le dernier plan nous le dit, nous ne sommes pas convié à partager leur immortalité, la grille nous empêche de passer. Désormais il nous faut faire nos preuves comme Gino et Bénédicte, mériter l’accès à un état d’être nouveau, plus grand que la vie, plus fort que la mort.

Crédit photographique : Copyright Koch Films