Splitscreen-review Image du coffret Abel et Gordon

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Coffret Abel et Gordon

Publié par - 16 novembre 2017

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Riche idée que celle de Potemkine Films et MK2 d’honorer le cinéma étrange et atemporel d’Abel et Gordon. Un couple, un duo. Comique de surcroit. Mais un duo comique venu d’ailleurs, d’une autre ère. Un comique qui emprunte les voies tracées par d’illustres prédécesseurs tels que Chaplin, Keaton, Stan Laurel et son compère Oliver Hardy ou encore Linder, Etaix ou Tati. Mais il ne faut pas voir dans les clowneries du duo un hommage permanent à leurs ancêtres. Leur cinéma est plutôt une sorte de synthèse du cinéma comique qui s'étend d'un burlesque des origines, nourri par le music-hall et le cirque, aux tentations modernes d’un Tati où l’image et les sons importent plus que les paroles.

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Mais faisons un tour du propriétaire. Et puisque nous avons cité en premier lieu Chaplin, voyons ce qui s’est transmis de l'artiste protéiforme qu'il était et plus particulièrement de cette aptitude à transcender les limites scéniques pour mieux les absorber. De toute évidence, dans un premier temps, un soin particulier apporté aux cadres. Tout cadrage se pense chez Abel et Gordon comme une limite qu’il faut sans cesse repousser pour échapper à l’emprise de ce que le monde nous dicte. Le cadre, chez eux, affirme également une certaine figure de l’incomplétude : c’est parce que des limites existent que l’être ne peut s’épanouir. Il convient donc d’en abolir les contours. La caméra est fixe le plus souvent, ce qui n’en soulignera que plus encore l’importance des mouvements d’appareil, mais ce qui compte, c'est l'énergie des corps qui s'agitent dans le champ. C'est donc grâce à l'impossibilité physique du cadre à contenir la dynamique corporelle qui s'y déploie que les limites seront repoussées.

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Pour Chaplin, tout plan était au service de la figure centrale du film, Charlot, personnage qui était un monde en soi. Notre duo diffère des intentions chapliniennes en ce point précis. Chez Chaplin, peu de place pour autrui. Ici, puisqu'ils sont deux, aucun ne sera privilégié par rapport à l’autre. Il est plus question pour Abel et Gordon, comme l’explicite l’épatant Rumba, de s’accommoder du monde (malgré les aléas imposés par la société) pour continuer d’exister par le rêve et la force de l’imaginaire. De plus, forme de comique double oblige, nous sommes dans une logique burlesque défrichée par Laurel et Hardy et épousée au fil du temps par de multiple duos jusqu'à Wallace et Gromit. L’un et l’autre donc, auront tour à tour la responsabilité comique du film avant que, tel Tati à partir de Mon Oncle, ils ne délèguent au personnage le plus indiqué pour produire à l’écran l’effet comique le plus efficace.

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La filiation directe avec le Slapstick, et ce qui en a découlé, se vérifie par la réadaptation des schémas constitutifs de celui-ci à l’époque contemporaine. Le principe premier du cinéma comique, la course poursuite, est donc à l'honneur. Chez Abel et Gordon, la poursuite insinue des trajectoires qui se teintent sans cesse d’une poésie mélancolique convoquée par des citations cinématographiques directes. Toutes, font la part belle à l’imaginaire et n'hésitent pas à convier : Méliès, Laurel, Lloyd, Chaplin, Keaton. Au sujet de ce dernier, on appréciera l'hommage à peine déguisé de Paris pieds nus qui, dans son postulat de départ, reprend à son compte la trajectoire inverse de celle adoptée par Keaton dans The railrodder de Gerald Potterton : nous partons du Canada pour revenir en Europe contrairement à ce que faisait Buster en 1965.

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Les clowns peuvent être tristes mais, en connaissance de cause et pour avoir bien assimilé les leçons de leurs ainés, Abel et Gordon savent qu’il est toujours possible de sublimer l’instant et de toujours trouver matière à aimer la vie. Et ces instants-là, finalement, font le monde. Il s'agira donc de patienter, d'espérer ou de résister avant que la vie ne dispense aux personnages quelques bienfaits qui effacent, dès leur mise en place, toutes les turpitudes de l'existence. Nous sommes ici en présence d'un autre aspect du cinéma d’Abel et Gordon mis en évidence par ce coffret, la volonté de s'inscrire dans une forme de résistance artistique. Tels des automates, et on songera encore à Keaton, les personnages sont mus par l’obsession d’atteindre les buts qu’ils se fixent quoi qu'il advienne. Même et peut être surtout si ces buts sont improbables ou inaccessibles. Les poètes rêvent toujours de lune.

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Dans cette application du comique premier dans le cinéma contemporain, il y a également la volonté d’échapper au formatage des comédies de notre époque. Les trucages les plus grossiers, l’artisanat, le bricolage, la bidouille abondent et participent de la poésie énoncée. Il y a même une forme de rire qui nait justement dans l'ingénuité assumée et revendiquée par l'utilisation des effets d'un autre temps. Enfin pas tant que ça tout de même. Car si le principe de transparence par exemple, largement employé dans leurs films, assemble et réunit dans une image des réalités étrangères afin de créer un décalage entre les personnages et l’environnement dans lequel ils évoluent, ce n’est pas par hasard. Il s’agit de se distinguer doublement. D'abord d'insuffler une différence dans le traitement des personnages créés puis, artistiquement, de diverger d’une norme visuelle et dramaturgique actuelle pour mieux reprendre et réinvestir des principes qui ont toujours fonctionné.

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Notons pour finir que les films d’Abel et Gordon se placent sous les auspices de l’incident, de dérapages qui perturbent les trajectoires des personnages. Autant d’obstacles à surmonter et qui constituent les épreuves burlesques et dramatiques qui servent à poétiser la fable qui provoque ces accidents.

Le coffret ou les éditions à l'unité sont pourvus comme il se doit en compléments de qualité. Les courts métrages du duo et autres interviews sont autant de friandises disséminés au fil des menus qu'il convient de parcourir sans aucune modération.

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Crédit photographique : Copyright MK2 Diffusion / Copyright 2017 Film Kino Text / Copyright Potemkine Films / Copyright Pandastorm Pictures

BONUS :

L'ICEBERG
Ménage à trois, entretien avec les 3 réalisateurs
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LA FÉE
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PARIS PIEDS NUS
La comédie selon "Abel et Gordon » de Jeremy Imbert
Les coulisses du tournage
2 courts-métrages: La tente qui voulait être dans un film, Les petits pas à la mer

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