The Florida Project concentre son propos autour de Moonee, 6 ans et un sacré caractère. Lâchée en toute liberté dans un motel de la banlieue de Disney world, elle y fait les 400 coups avec sa petite bande de gamins insolents. Ses incartades ne semblent pas trop inquiéter Halley, sa très jeune mère. En situation précaire, comme tous les habitants du motel, celle-ci est en effet trop concentrée sur des plans plus ou moins honnêtes pour assurer leur quotidien...
Where Dreams come True
En 2015, Sean Baker se fait connaître à l’international en signant un ovni cinématographique totalement dans l’air du temps, Tangerine. Tourné à l’Iphone 6 pour 100 000$ et s’intéressant aux transgenres de Los Angeles, le film fit parler de lui pour sa liberté de ton et pour la puissante caractérisation de ces personnages. Personnages campés quasiment exclusivement par des acteurs amateurs trouvés sur internet ou par le fruit de rencontres fortuites.
Il rejoint ainsi la shortlist (un peu plus short chaque année) d'auteurs réellement indépendants américains parvenant à proposer des films originaux et osés en dehors du circuit consensuel de la bienséance. Et tout comme pour ses confrères contemporains (John Cameron Mitchel : Shortbus, Kevin Smith : Clerks, Jeff Nichols : Shotgun Stories…), vient le moment de réaliser « le film d’après ». Succédant à l’immersion en milieu transgenre, The Florida Project nous plonge lui aussi dans un environnement marginal très peu exposé aux feux des projecteurs : celui des motels américains situés en périphérie de grandes villes, où séjournent des individus coupés de la société. Et ce n'est pas ici n’importe quelle grande ville et n'importe quelle société, nous sommes à Orlando (Floride) et plus précisément la banlieue proche de Disney World.
L’action se situe donc à quelques pas (que la caméra traversera littéralement) du bonheur consumériste dans toute sa gloire. Là où les touristes du monde entier viennent savourer climat chaud, flore et faune locale pittoresque entre deux selfies avec Mickey. Bien que vivants aux frontières du Parc, l’artificialité criarde de ce dernier déborde totalement sur le quotidien des personnages du film. Car la plus grande réussite de The Florida Project tient avant tout dans sa représentation réussie d’une Amérique cachée, invisible et pourtant plus présente que jamais.
L'utilisation du 35mm organique, d'une image très saturée et d'objectifs très larges permettent à Baker de capter l’essence même du climat "toc" de ces quartiers, qui refaçonnent l'espace visuel de ses résidents par d’immenses constructions en plastique vendant un rêve creux à une population qui cherche avant tout à survivre. Sans jugement moral aucun, la description frontale de cet environnement, où la télévision en boucle tient une place centrale, transmet le même sentiment d'immersion très humain que l'on trouvait sur Tangerine. Tout comme elle permet de mieux comprendre comment Donald Trump pu se saisir de cette Floride là en 2016.
Au sein de cette atmosphère pastelle évolue la petite Moonee, petite fille turbulente faisant subir ses frasques d’enfants aux résidents d’un Magic Castle Inn du meilleur goût (motel violet crasseux aux vagues relents de Château de la belle au bois dormant, emblématique de cet effet miroir Disney/réalité). Un lieu de vie à plus ou moins long terme, où se côtoient handicapé de guerre, fou de Dieu et octogénaire nudiste entre autre personnes tentant de joindre les deux bouts. Sean Baker, également à l’écriture du scénario, n’aime pas les scripts à évolution schématisée dits « en trois actes ». Il s’en dédouane et nous plonge aux côtés de Moonee et sa jeune mère (Bria Vinaite, initialement créatrice de vêtement, trouvée sur Instagram) dans un été décousu où s’enchaînent séquences réalisées méthodiquement et instants improvisés à la volée.
Ces derniers octroient à The Florida Project un feeling "documentaire" en parfait accord avec le sentiment d’intimité voulu par Baker (impossible de résister à l’envie de vous partager un Willem Dafoe parfait en manager, chassant des oiseaux de son motel). Feeling d’autant plus présent grâce à cette intéressante alchimie entre comédiens chevronnés et amateurs complets (constituant 90% du casting). C’est ce côté terriblement attachant et humain qui donne au film cette aura d’œuvre émotionnellement forte, faite avec le cœur, à l’image du Boyhood de Richard Linklater.
Crédit photographique : Copyright 2017 PROKINO Filmverleih GmbH