Splitscreen-review Image de 3 Billboards, les panneaux de la vengeance de Martin McDonagh

Accueil > Cinéma > 3 Billboards : Les panneaux de la vengeance

3 Billboards : Les panneaux de la vengeance

Publié par - 21 janvier 2018

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

3 Billboards (trois panneaux publicitaires) séparés de quelques dizaines de mètres.  L’allure est peu avenante, presque délabrée, un brouillard opaque enveloppe le tout. Les trois panneaux nous sont présentés avant tout le reste, avant que nous entrions dans l’épiphénomène qu’est notre histoire. Nous les découvrons comme le ferait tout voyageur qui arriverait par la route dans Ebbing, Missouri. Ils sont là, ils sont l’incipit et seront le sujet. Les panneaux vont alors se charger d'un contenu qui se résume à des mots rédigés dans une police d'écriture noire sur fond rouge.

Une fois cette introduction faite, Martin Mc Donagh nous fait entrer in medias res dans l’histoire de ces 3 Billboards qui, après avoir été inexploités, sont subitement réutilisés par Mildred Hayes (Frances McDormand). Elle en fait une figure de sa lutte, ils incarnent la résistance qui est sienne et explicitent ses motivations. Mildred Hayes proteste et agit en réaction à l’incapacité de la police à résoudre une affaire classée sans suite : le viol et l’assassinat de sa fille. Le message invective directement au chef de la police, le Shérif Bill Willoughby (Woody Harrelson), homme respecté dans la petite ville d’Ebbing, Missouri.

Ces 3 Billboards seront la cause d'une véritable réaction en chaîne palpable dans tout le paysage humain du film : les simples citoyens de la ville, mais aussi au sein de la police et de la cellule familiale de Mildred. Ce qui relève d’abord d’une tension nerveuse (opposition entre différents personnages introduite physiquement par la rue qui sépare et réunit deux camps antagonistes : l’agence publicitaire et, de l’autre côté de la rue, le poste de police) se transforme progressivement et inéluctablement en violence incontrôlable comme l’extériorise remarquablement l’agent Dixon (Sam Rockwell).

Par sa fragmentation du récit aux ramifications multiples, notamment Dixon et Willoughby, McDonagh nous livre une vision beaucoup moins manichéenne que pourrait être celle d’un film traitant de faits divers où Bien et Mal se distinguent aisément selon le commentaire avancé par les images et les propos « journalistiques ». Certes, il y a une dichotomie principale ; de manière chevaleresque, le spectateur est enclin à choisir un camp, celui des plus faibles bien sûr. Mais, par un traitement égalitaire de la vie privée de chaque personnage, il est difficile de ne pas s’attacher même aux plus repoussants en apparence. Tous souffrent et réagissent à leur manière face à la tragédie et face à l’action de Mildred sans être confinés dans une logique immuable. Nous ne sommes pas incités à les juger  de ce qu’ils sont, mais nous sommes conviés à observer ce qu’ils font, vont faire ou, pour être encore plus précis, nous sommes invités à estimer leurs réactions.

Très vite, nous comprenons que Willoughby n’est rien de plus que la représentation symbolique d’une entité étatique, la police. Lui aussi est humain, lui aussi est impacté par la vie, par le monde, ce qui se traduit par l’émergence de démons intérieurs qu’il lui faut combattre. Il en sera de même pour Dixon. Même Mildred n’est pas que la vertueuse justicière sociale qu’une affiche de film pourrait laisser croire. Ce qui les divise est aussi ce qui les rapproche, la disparition des êtres chers qui laissent un vide à combler. Cette souffrance qui s’extériorise de manière extrême permet de faire taire les démons qui sommeillent en chacun. La violence, très crue, que McDonagh exploitait précédemment comme exutoire comique est exploitée dans 3 Billboards comme expression ultime de la douleur et sert à exorciser la haine qui vampirise chacun des personnages.

Tout en appréciant les quelques touches d’humour noir qui nous donnent un peu d’oxygène dans cette sombre histoire, on notera avant tout que 3 Billboards illustre avec subtilité et talent la capacité de Mc Donagh à transcender les schémas narratifs auxquels on le pensait dévolu. Sa capacité d’évolution est ici au service d’un discours qui traque le cheminement complexe d’un sentiment abscons et délicat à cerner, celui de la vengeance qui se partage entre colère et pardon.

Crédit photographique : Copyright 2017 Twentieth Century Fox

Partager