Splitscreen-review Image de Wonder Wheel de Woody Allen

Accueil > Cinéma > Wonder Wheel

Wonder Wheel

Publié par - 5 février 2018

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Depuis Match Point, le genre mélodramatique, déjà très présent dans la filmographie de Woody Allen, semble particulièrement nourrir les interrogations du réalisateur. Il propose dans Wonder Wheel d'en explorer certains aspects et teinte son nouveau récit d'une noirceur impitoyable. Dès le générique, on retrouve les codes familièrement utilisés par le réalisateur new-yorkais : sobriété des cartons titres « rétro » et légèreté du standard jazzy des années 20 Coney Island Washboard.

 

Wonder Wheel s’ouvre sur la présentation du décor forain de Coney Island dans un large plan général vu depuis la plage. L’important amoncellement de baigneurs qui domine le cadre rend anecdotique la présence des attractions du parc au second plan et de sa fameuse grande roue. Le film se déroulant au début des années 50, la station balnéaire jusqu’ici très prisée des New-yorkais est en réalité sur le déclin et sera bientôt désertée des familles avec l’arrivée des gangs de rues. Allen affiche d’emblée une première chimère et expose une prétendue douceur de vivre toute américaine, en lieu et place d’un autre mélodrame américain, Mirage de la vie de Douglas Sirk. Les héroïnes des deux films, incarnées par Lana Turner et Kate Winslet, ne font pas que partager l’illusion du décor estival, toutes les deux ont aussi l’ambition des feux de la rampe. Si pour la première il s’agit de vivre sa vie grâce à une émancipation représentative de sa génération, pour Ginny, mère de famille remariée avec un enfant à charge, en revanche, il ne reste que résignation, aigreur et désenchantement.

À ce préambule social suivra immédiatement la présentation de celle par qui le scandale arrive, la magnifique et juvénile Carolina incarnée par Juno Temple. En opposition avec le cadre fixe, frontal et descriptif de la plage, la jeune femme déboussolée émerge du dessous de la Wonder Wheel précédée par un steadicam qui l’accompagne dans un long plan séquence jusqu’à la surface. Le lien avec la grande roue est manifeste. Si la traduction littérale du mot wonder est « merveille », il signifie aussi en anglais « se demander ». L’émergence soudaine de Carolina dans le quotidien familial morne et bancale du couple Ginny / Humpty fera ressurgir l’illusion d’une vie qui aurait pu être meilleure pour la comédienne prématurément déchue.

 

La théâtralité avec laquelle Ginny effectue chacun de ses gestes, surjoue et amplifie ses émotions, lui permet de convoquer brièvement le rêve perdu de comédie dans son quotidien anxiogène. Elle provoque alors un moment d’existence lors de ces éphémères moments exutoires, oubliant sa vie de famille de classe moyenne, celle d’une femme ayant anéanti son premier mariage et de mère d’un enfant pyromane irrécupérable avec lequel elle n’arrive pas à communiquer. Cette mythomanie, proche de celle de Cate Blanchett dans Blue Jasmine et plus qu’un portrait à charge sur la psyché féminine, permettra au contraire d’en aborder les complexes nuances. Car l’illusion touche en réalité tous les personnages en présence dans le film, l’un prétendu poète, l’autre épouse en fuite d’un gangster qui pensait trouver en lui sécurité et bonheur pour le reste de sa vie.

Formellement aussi le théâtre est au cœur du film. Habitué à jouer avec des règles de mise en scène empruntées au spectacle vivant, Allen fait une nouvelle fois tomber le quatrième mur lorsque le personnage de Justin Timberlake, Mickey, introduit l’histoire en s’adressant directement face caméra aux spectateurs, devenus public l’espace d’un instant. Il invite l'audience à pénétrer le récit et la positionne au premier rang du show, à l'intérieur de la maison familiale devenue scène de jeu principale. La pauvreté plastique des murs en carton-pâte qui forment le décor du modeste foyer contraste avec les couleurs criardes ultra-saturées de la fête foraine aperçue en permanence au travers des fenêtres. Comme un omniprésent simulacre du rêve américain fatalement lié au destin des personnages.

 

Wonder Wheel se nourrit véritablement des illusions scéniques de Ginny et cela se traduit aussi dans le formidable travail de mise en lumière de Vittorio Storaro. L’alternance des teintes bleues et rouges vient ponctuer ses états d’âmes et réagissent en fonction de l’environnement immédiat de son mari, des événements qu’elle sera contrainte de supporter ou qu'elle provoquera elle-même. Dans un ultime monologue désinvolte qui renoue avec l’unité temporelle du plan séquence chère à Allen, elle tentera de revivre une dernière fois la passion d’autrefois. Ce baroud d’honneur ne trompe personne, la passion s’éteint à petit feu et la lumière soudainement froide rend son jugement, comme pour Jonathan Rhys Meyers dans Match Point, il faudra vivre avec les fautes commises et porter sa malédiction.

Crédit Photographique : Copyright Mars Films

 

Partager