On peut dire que Clint Eastwood affectionne le biopic. Sur 39 réalisations, il en a fait 10. Pour être honnête, nous avons élargi un peu le terme de biopic, nous avons comptabilisé des films qui ne retracent qu’une partie de la vie du personnage concerné comme dans Sully. Nous avons également englobé dans cette catégorie ses films de guerre : Mémoires de nos pères – Lettres d’Iwo Jima. Le 15h17 pour Paris affiche au moins deux points communs avec les films cités, tous nous parlent de l'histoire de l'Amérique mais aussi d’héroïsme. Sur ses dernières productions, c’est un leitmotiv permanent. Ce qui intéresse Clint Eastwood peut se lire à travers les réponses aux questions suivantes : qu’est-ce qu’un héros ? Comment l’homme (ou la femme) vit ce statut avant – pendant – après la reconnaissance de son acte ? Comment le héros interagit avec le monde autour de lui ? Le Destin a-t-il un rôle à jouer ? Clint Eastwood est littéralement passionné par la multitude de réponses possibles. Si chaque histoire est différente, si chaque homme est différent, alors chaque traitement se doit d'être différent.
Le propos de son nouveau film, Le 15h17 pour Paris, est a priori connu de tous. Le 15h17 pour Paris traite de l’attentat déjoué du Thalys Amsterdam-Paris du 21 août 2015. L'attentat fut annihilé grâce à l’héroïsme de certains passagers, notamment par l'action de trois amis Californiens. L'événement, bien sûr, est encore dans la mémoire de chacun puisqu'il fait partie de notre histoire récente. Nous savons que la durée de l’attaque avant la neutralisation de l’assaillant fut très courte. Une question se pose alors : comment peut-on faire un film de 1h30 sur une action si brève ? Contextualisons le propos. Précisons tout d'abord qu'il ne s'agit pas d'un film "hollywoodien" et qu'il n’est donc pas soumis à une durée calibrée. En cela, Le 15h17 pour Paris est proche de Sully, la précédente réalisation de Eastwood, où l’événement majeur, un incident de vol, est un précipité d'instants très brefs. Ensuite, le propos central du film n’est pas réellement l’attaque du Thalys en soi mais plutôt le cheminement, l’histoire, le destin de ces trois Californiens ; Le 15h17 pour Paris aurait pu s’appeler « Trois copains en Europe ».
Le film s'attache donc à nous présenter ce que fut la jeunesse de ces trois « héros », leurs environnements, leurs problèmes, leurs aspirations, leurs échecs. Après ces séquences, les enfants grandissent pour devenir des adolescents. Spencer, Anthony et Alek sont alors joués par eux-mêmes. Le choix est audacieux et risqué mais tout à fait justifié. Clint Eastwood est coutumier de ce genre d’audace. Il a même souvent fait jouer ses enfants dans des petits rôles. Et n'oublions pas qu'il a confié à un "jeune déglingué" l'un des rôles clef du film La Dernière Cible (Inspecteur Harry) ; il s’agissait de Jim Carrey, jeune acteur pas encore connu mais plein d’énergie. Clint Eastwood lui a fait entièrement confiance et ne le dirigeait presque pas : « Just put the camera on and let him go (Allumez juste la caméra et laissez-le faire) ». Cette fois-ci, le défi à relever est un cran au-dessus : faire jouer trois « non-acteurs » dans les rôles principaux du film, les leurs en l'occurrence. Il aurait été possible de faire tourner Tom Hardy, Daniel Kaluuya et Zac Efron à la place de ces trois-là. La ressemblance aurait été plausible et ce sont des « acteurs ». Mais pourquoi ne pas être encore plus proche d’une « vérité » en faisant jouer les hommes qui ont « véritablement » vécu l’instant ? S'il y a bien quelques plans où l’on sent le manque d'expérience chez les interprètes, globalement, la performance des trois Californiens est plutôt bonne et ne gêne en rien la lecture du film.
Mais alors ce Eastwood est-il à la hauteur de ses grandes réalisations ? Mitigés sommes-nous car Le 15h17 pour Paris souffre de quelques choix discutables. Chez Malpaso Productions (société de production d'Eastwood) tout est affaire de famille, les équipes ne changent pas ou guère, les liens sont alors plus forts de film en film et on travaille ainsi mieux et plus vite. Depuis Sully, l’équipe a subi de menus changements. La musique est assurée par Christian Jacob (exit Clint Eastwood et Lennie Niehaus) et le montage par Blu Murray (exit Joel Cox). Il faut sûrement un temps de rodage pour que cela fonctionne parfaitement. Côté musique, le thème principal constitué de petites notes jazzy est dans la continuité de ce que produisait Clint Eastwood. Elle se fond dans le film et ne se fait pas remarquer. Côté montage, par contre, ce n’est pas très fluide. On passe de temps à autres des petits moments dans le Thalys sans doute pour créer une tension avec le spectateur : il y a dans ces images la promesse de voir ce qui s'est déroulé dans le Thalys mais le rappel est un peu trop présent. Sans rien dévoiler de la dramaturgie, des scènes du voyage se succèdent, certaines ont un intérêt mais d'autres ne semblent pas apporter grand-chose au déroulement narratif.
Passons-nous pour autant un mauvais moment en allant voir le 15h17 pour Paris ? Assurément non. Malgré ces points discutables, bien que nous sommes loin du meilleur Eastwood, cela reste un film à voir. Parce qu'il y a un savoir-faire, parce que le réalisateur prouve une nouvelle fois qu’il est un des derniers grands maîtres du cinéma américain. Lors de la reconstitution de l’attaque du Thalys, le corps entier du spectateur est sollicité, la tension est palpable tant au niveau physique que psychique, les séries temporelles s'affolent : une seconde semble durer une éternité ou inversement… Ces trois Californiens méritent bien leur titre de héros. Clint Eastwood, âgé de 87 ans aujourd'hui, posera-t-il à nouveau un regard sur une figure héroïque dans son prochain film ? Ou bien se lancera-t-il dans une comédie musicale ? To be continued...
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