Splitscreen-review Image de Stronger de David Gordon Green

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Stronger

Publié par - 13 février 2018

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Nous attendions de Stronger, la nouvelle réalisation de David Gordon Green, qu’elle valide l’évidence du savoir-faire d’un cinéaste considéré comme talentueux depuis des films comme Joe ou Prince of Texas. Avouons que le sujet de Stronger semblait parfaitement coïncider avec ce que Green affectionne le plus : filmer le décalage entre l’individu et le tissus social américain, la difficulté de s’intégrer dans un monde aux valeurs basées sur la déshumanisation et, enfin, portraiturer des « cabossés » du système.

Stronger, c’est l’histoire de Jeff Bauman, modeste employé de supermarché qui tente de reconquérir Erin avec laquelle il entretient une relation amoureuse balisée par des ruptures suivies de réconciliations. Mais cette fois, c’est la bonne. Jeff se rend sur la ligne d’arrivée du marathon de Boston pour y soutenir Erin plutôt que d’aller encourager son équipe de base-ball. Jeff a préparé une pancarte pour Erin, il est heureux, optimiste. Nous sommes le 15 avril 2013. Jeff guette l’arrivée d’Erin. Une bombe explose. Jeff perd ses deux jambes dans l’attentat.

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Force est de constater que l’ouverture de Stronger est probante. La description du milieu social, les enjeux affectifs, l’immaturité de Jeff et l’omniprésence de la cellule familiale qui phagocyte une possible construction identitaire instaurent une atmosphère particulièrement intéressante. Il est ici question de voir et d'observer le paysage humain d’une Amérique qui a défié les élites en novembre 2016 en votant Donald Trump.

Insouciant, Jeff l’est. Rien ne dit qu’il aurait voté Trump, une scène du film tendrait même à prouver le contraire, mais c’est le climat qui règne chez ces oubliés du système qui, pour se donner l’illusion d’exister, le temps d’un vote, choisiront le candidat dit « populiste ». Le travail de Jeff passe au second plan, sa vie intime aussi. Ce qui importe le plus pour lui, visiblement, ce sont les moments passés à regarder les matchs de base-ball. Enfin, pour être plus précis, ce sont des instants passés au bar à boire des verres avec les amis et la famille pendant les matchs. Les répliques fusent, épatantes, nous sommes plus proches du document que de la fiction.

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Autre point probant, les scènes traumatiques de l’attentat et celles qui suivent l’immédiateté de celui-ci. Reconnaissons ici le brio de la mise en scène et de la technique. Le travail sur le son est à ce titre exemplaire : l’impact sonore rend sourd. Quelques voix éloignées nous parviennent, la vue se brouille, on ne sait pas ce qu'on distingue. Esthétiquement, c’est remarquable, nous sommes dans l’usage d’une technicité qui clarifie l’état psychologique et physiologique des victimes et du spectateur.

Mais c’est à peu près tout. C’est beaucoup pourrons-nous penser au regard de certaines productions où rien ne fonctionne. Mais, après le visionnage du film, on ne peut réfréner une sensation amère, une forme d’insatisfaction. Et là, nous rencontrons un problème qui ne trouve pas de solution. Ce qui nuit au film, pense-t-on, c’est la prestation de Jake Gyllenhaal. Il semble ne pas être dirigé et il semble ne tenir compte que de sa propre interprétation du personnage tant le décalage avec le jeu des autres comédiens est conséquent.

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Comment Green a-t-il su diriger aussi magnifiquement Nicolas Cage dans Joe ? Comment, dans Stronger, parvient-il à diriger et capter la finesse d’interprétation de Tatiana Maslany ou Miranda Richardson alors que Gyllenhaal est en permanence « too much » ? Là, une problématique mérite d’être soulevée, et nous n’allons pas nous attirer les grâces de la gente féminine qui n’a d’yeux que pour Gyllenhaal. En général, il est de bon ton, chez les meilleurs metteurs en scène, de considérer que les grands comédiens sont ceux qui sont toujours sur la retenue. De ce point de vue, Gyllenhaal ne serait pas de cette catégorie.

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On pourrait arguer que justement, Gyllenhaal en fait trop parce qu’il a pour but de composer une sorte d’anti-héros, de représenter l’image d’un type qui n’est qu’inconsistance, futilité et, de fait, est profondément antipathique. Mais rien ne peut le prouver explicitement. Il s’agit là d’une interprétation de la prestation qui aurait autant de valeur qu’une autre, beaucoup moins flatteuse : celle de voir dans le jeu de Gyllenhaal la volonté farouche d’en faire des tonnes afin d’émouvoir l’académie des Oscars. Revoir Gyllenhaal dans Prisoners ou Zodiac plaide en sa faveur. Ce qui n’est pas le cas de Stronger.

En tout cas, Stronger, s’il est imparfait, s’il n’est pas à hauteur du potentiel de David Gordon Green ni du talent habituel de Gyllenhaal, prouve au moins que le cinéaste pourra jouer dans le jardin hollywoodien dans le futur. Bien délicat de se prononcer quant aux capacités de Green : est-il un artiste ou un artisan ? Peu importe, ce n’est pas bien grave. Nous ne devons pas mésestimer l’artisanat car, en bien des circonstances, celui-ci a été au moins aussi probant que certaines œuvres prétendument artistiques. C’est tout ce que nous souhaitons à David Gordon Green.

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Crédit photographique : Copyright Studiocanal GmbH / Scott Garfield et Copyright Lionsgate Films

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