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"Chairs amies" ou "Je te mange ce que tu me manges"

Publié par - 14 février 2018

Catégorie(s): Cinéma

La chair et l'image, c'est d'abord la chair du fils de Dieu, exposée, scarifiée, sacrifiée, proposée, partagée. Le trentenaire factice est représenté en chair, il passe par le verbe, par la peinture, par la sculpture, il est plus tard dans l'objectif de Pier Paolo Pasolini, il est serein, il est passionné. Nous sommes dans l'idée, la chair est le transport.

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Pasolini Photo de Domenico Notarangelo-Copyright D.R.

Allons au cinéma. Allons donc plus loin. Plus en profondeur. La chair humaine est explorée dans Le voyage fantastique (1). De micros humains, dans un temps réduit, explorent un corps, dans un vaisseau dans les vaisseaux, dans les chairs, les organes. Y subissent des défenses immunitaires, guérissent le patient puis en sortent, ouf. La chair d'Emmanuelle (2) est plus intéressante à explorer, montrée dans toutes les salles, offerte aux rues, nous nous autorisons un passage dans le fauteuil à tête large, nous goûtons la chair interdite, présente jusqu'alors dans les bordels et les salles spécialisée depuis que le cinéma existe. La chair est nue, nette et nous fait oublier les fillettes floues du douteux David Hamilton. Emmanuelle s'offre, gentille, elle aura une belle succession, comme Vixen la renarde (3)  aura ses chargements de chair successifs, abondance de filles abondantes, une exagération.

Chairs mangées, celle du Christ, celle de Vixen ; chair goûtée, celle d'Emmanuelle. Chair découpée de BB au début du Mépris (4), le dialogue découpe la femme, la caméra suit cette découpe soigneusement ; le cinéma, c'est le montage, il prend, découpe et restitue le sex-symbol. Les pieds, les chevilles, genoux, cuisses, derrière... seins, la pointe des seins, épaules, visage, tout, ma bouche mes yeux mon nez mes oreilles. "Tu veux que je me mette à genoux ?" demande Camille Bardot, "Non, ça va" répond Paul Piccoli, "Oui", chuchotent les spectateurs. Cette chair est inatteignable. Elle est le mythe. "Totalement, tendrement, tragiquement".

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Le mépris de Jean-Luc Godard-©-1963-STUDIOCANAL-–-Compagnia-Cinematografica-Champion-S.P.A.

La chair, ce n'est pas la peau, ça commence par la peau. La peau des victimes de la bombe ouvre Hiroshima mon amour (5), entre sensualité et horreur, comme est sublime et terrifiant le champignon atomique. "Les photographies, les photographies, faute d'autre chose". La chair des amants est dans l'incompréhension ("Tu n'as rien vu..."). Dans un excès de compréhension est celle des amants de L'empire des sens (6), exotique alors, la sublimation des chairs nous pose dans le voyeurisme et tranche là le propos, s'enfuit, la chair est morte, nous sortons. Les peaux de La femme des sables (7) et de sa capture sont entre ces deux images, entre texture et mouvement, c'est le grain de la pellicule, c'est la capture de la lumière, la chair a des besoins, elle forme le piège, elle a faim.

Elle a faim comme les zombies ont faim. Voici le sang, voici la coupure, le démembrement  comme celui du corps de Camille/Bardot mais ça se mange, la mort mange la vie, s'en nourrit, prend une nouvelle forme de vie qui évoluera par les films de Georges A. Romero et saura acquérir des stratégies, un langage et, c'est gênant, ils ne sont plus des monstres, ils sont nos semblables, vos voisins et tendent à nous ressembler, la mort tente la vie. Tuer la mort ? Et puisque il faut manger, voici bien présente la chair d'Andréa Ferréol dans La Grande bouffe (8), tout doit être rempli, les rondeurs de la fille iront aux rondeur des ventres des mâles suicidaires, jusqu'à l'écœurement ou la satiété, suivant l'estomac du spectateur.

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La grande bouffe de Marco Ferreri-Copyright-Connaissance-du-Cinéma

Cet amas de chair qui commandait les araignées de Starship Troopers (9) et qu'on sort de sa grotte, est-ce ben Laden ? Kadhafi ? Saddam Hussein ? C'est vaincu, ça rampe, sa chair tremble. Pour l'humilier, on le viole. Il a la tête à ça, ce mou méchant. Le "petit gros" Kim Jong-un ? (10)

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Starship troopers de Paul Verhoeven-Copyright-Gaumont-Buena-Vista-International-(GBVI)

La peau dessus la chair, le squelette dessous et quand on habille le squelette de chair et de peau, ça donne Jurassic Park (11), film anecdotique. Quand on enlève la chair, les squelettes dansent de l'épée pour Jason et les Argonautes (12), pour Jack Sparrow de même (13). Sans la chair, c'est la mort en images.

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Jason et les Argonautes de Don Chaffey-Copyright-Columbia-Pictures-Corporation

La chair est humaine. Donc elle est animale, présente en tous lieux où les acteurs ont faim. Un cowboy fait tourner une branchette avec un lapin, au-dessus d'un feu. Ce sont les thons de la pêche terrible de Stromboli (14), heureusement en noir & blanc, on ne saurait voir le sang, on voit la nourriture. On découpe des volailles, des tortues dans le Festin de Babette (15) et l'âme se repaît de chair avant de se repentir. Aucun animal n'ayant été blessé pendant le tournage ? Ça mange de la bidoche et ça regarde tomber ses boyaux dans les films de guerre, la chair est le commandement des gestes de l'acteur, muscles montrés, appâts sexuels envisagés, voici ces chairs chauffées aux projecteurs et cuisinées puis présentées sur une table blanche verticale. Et de nos fauteuils nous tendons nos fourchettes à déguster les corps précieux de nos acteurs et actrices préférés, cannibales du mercredi avalant cette lumière, Esquimau à l'entracte (16).

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Nanouk l'esquimau de Robert Flaherty-Copyright-D.R.

Notre chair, chair de poule quand la hache jaillit, quand le coup de feu retentit, quand la dent brille, quand la musique annonce qu'il va se passer un truc que nous ne voulons pas mais qui a été programmé. Bon, nous étions prévenus, des courses poursuite, du mou dans la gâchette et des morsures de requins, nous voici tremblants, nous cachant les yeux mais les doigts écartés, viande à spectacle éprouvée, nous sortons de la salle épuisés. Ou c'est l'entre-jambes qui est convoqué, notre chair discrète gardera le souvenir de l'image et quand le Blu-ray sortira, notre chair faible se fera le plaisir. Non, quand tu croises les jambes, je ne regarde que ton regard, Sharon Stone (17) et quand je vois tes griffures faisant fuir les dragons, Bruce Lee, je vois ton cri, ta main aiguisée. De cet oiseau du diable sur l'épaule de Béatrice Dalle, je vois une peinture de décor, un élément qu'il faudra cacher quand tu auras un autre rôle. Car votre chair nous appartient et nous voulons votre peau. Inchangée, jeune toujours et lisse et ta chair Marilyn encore disponible. Votre chair et son apparence, c'est nous, transposés, transportés, rêvant, râlant, vivant les aventures pour une poignée d'euros. Mais au mot Fin nous sortons de vos corps, bavant, rassasiés, voulant retourner chez nous. Deux heures dans la chair d'un Super héros, 5h21 dans celle d'un dormeur (18) et 12 minutes dans celle d'une pieuvre (19) nous changent de notre quotidien besogneux.

Allez, Sharon, change de regard !

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Basinc Instinct de Paul Verhoeven-copyright-StudioCanal

30-31 déc2017embre

1 - Richard Fleischer (en All. : le boucher)
2 - Just Jeackin - et la suite
3 - Russ Meyer - et la suite
4 - Jean-Luc Godard
5 - Alain Resnais
6 - Nagisa Oshima
7 - Hiroshi Teshigahara
8 - Marco Ferreri
9 - Paul Verhoeven - et la suite
10 - insulte de Donald Trump
11 - Steven Spielberg - et la suite
12 - Don Chaffey
13 - Gregor Verbinski (Pirates des Caraïbes) - et la suite
14 - Roberto Rossellini
15 - Gabriel Axel
16 - Robert Flaherty
17 - Paul Verhoeven
18 - Andy Warhol
19 - Jean Painlevé

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