Splitscreen-review Image de Office de Johnnie To

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Office

Publié par - 16 février 2018

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Johnnie To est un cinéaste qui a su s’imposer en Occident par l’intermédiaire de films criminels rythmés, maîtrisés tant narrativement que formellement. Il est apparu sur nos radars au début des années 2000 et, pendant une petite dizaine d'années, va enchaîner les succès. Les raisons de cette réussite tiennent en quelques mots. D’abord, la notion de transcendance qui se manifeste dans tous les films qui nous parviennent. Ce sont essentiellement des polars qui se nourrissent de codes empruntés à d’autres genres (western, wu-xia pian, films de guerre). Au-delà d’un air du temps lié à la découverte de certaines cinématographies asiatiques (Chine, Corée), il existe une autre raison à cette soudaine considération public et critique. On la trouve dans la matrice intentionnelle de l’œuvre de Johnnie To. Celle-ci pourrait se résumer par la transposition d’une stylistique occidentale (Leone, Melville) dans une logique de construction du récit qui, elle, est bien asiatique. Parmi ses films les plus réussis, citons : The Mission, Breaking News, Election, Exilé, PTU ou encore Vengeance. Puis, soudainement, plus grand-chose. Et voici que nous arrivait à l'été 2017, grâce à Carlotta Films, Office, une comédie musicale tournée en 3D. Le film, sorti en Chine en 2015, fut auréolé d’un succès public probant. L'annonce de cette sortie en salles françaises attisait nos curiosités et intriguait. Nous étions nombreux à être impatients d’observer comment Johnnie To allait adapter à son univers la singularité du Musical, genre complexe s’il en est.

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Le sujet du film ne laisse planer aucun doute sur ce qui peut le relier au genre. Toutefois, une interrogation demeurait : To avait-il su incorporer, là encore, Orient et Occident dans sa stylistique tout en conservant les caractéristiques du Musical ? Office est l’adaptation d’une comédie musicale créée en 2010 par Sylvia Chang (également productrice et actrice du film) intitulée Design for living (rien à voir avec le film de Lubitsch). Premier constat, les orientations thématiques de la comédie musicale de Sylvia Chang sont conservées et constituent l’ossature du récit filmique.

Nous sommes à Hong Kong en 2008. C’est le premier jour de travail pour Lee Xiang et Kat Ho chez Jones & Sunn, une multinationale sur le point d’entrer en bourse. Les débuts de nos jeunes employés vont se compliquer puisqu’à l’autre bout du monde, aux États-Unis, la banque Lehman Brothers fait faillite. Il n’en fallait pas plus pour générer une tension insoutenable au sein de l’entreprise. Les relations de travail se ternissent et portent ombrage aux liaisons amoureuses des uns et des autres. Lee Xiang et Kat Ho vont ainsi s’initier au monde de l’entreprise et mesurer les répercussions des tensions professionnelles sur leurs comportements amicaux ou sentimentaux.

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Ce qui frappe d’emblée dans Office, c’est l’esthétique mise en place par Johnnie To et William Chang (célèbre pour ses collaborations artistiques avec Wong Kar-waï). Le gris, en écho au climat morose lié à la situation internationale, domine dans l’espace de l’entreprise. Le mobilier répond à l’architecture des bureaux par un étonnant jeu de transparences. Si le squelette du bâtiment est en acier, ses parois sont en verre. Nous trouvons là parfaite adéquation entre la typologie des personnages, la situation collective et l’espace topographique qui n’est que le reflet de l’intériorité de chacun. La fragilité des protagonistes, qu’elle soit affective, émotionnelle ou professionnelle s’affiche par la friabilité du matériau qui les sépare ou protège des autres, le verre.

Une horloge gigantesque trône au milieu de l’édifice. Là encore, la parabole, aussi grossière qu’elle puisse paraître, n’en est pas moins efficace : course contre le temps pour sauver l’entreprise, course contre le temps pour sauver sa situation, course contre le temps pour ne pas vieillir, course contre le temps pour tenter de séduire. L’horloge est une menace et une sentence, son omniprésence agit comme un filtre, le temps choisira ceux qui pourront rester dans l’entreprise. Office est aussi et avant tout une méditation sur l’existence.

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Car il faut joindre à ce que suggère symboliquement ce décor la logique et les problématiques d’une comédie musicale. Genre qui repose sur un principe de base très simple : l'exposition d’histoires individuelles broyées par une histoire collective qui aura toujours le dernier mot. Dans le musical, la toile de fond parasite et vampirise le premier plan. Office ne déroge pas à cette règle. Ce qui se passe dans l’ailleurs a une importance capitale dans l’ici. Ce qui est toutefois troublant, c’est que les moments chantés n’ont pas la même fonction qu’à l’accoutumé. Habituellement, ces instants dans le film permettent aux personnages de croire en des lendemains meilleurs ou, au moins, d’exprimer ce qui, tout au fond d’eux, leur permet de subsister et résister à une atmosphère plongée dans une noirceur totale.

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Ici, point de cela. Si ces moments chantés, à défaut d’être enchanteurs, se font l’écho d’une pensée intérieure, ils n’apparaissent pas comme une lueur d’espoir sise au plus profond des êtres. Ils traduisent plutôt les doutes et troubles de chacun. Les chansons apportent ainsi quelques éléments de compréhension aux spectateurs et renseignent sur l’état d’esprit des protagonistes. On discernera d’ailleurs dans ces parties musicales, au fil du temps, un message moraliste vis-à-vis des élites chinoises qui ont bien vite succombé aux sirènes du capitalisme à l’occidental. Car ce qui permettra une forme de renouvellement de l’entreprise, dans sa structure financière comme dans son paysage humain, c’est un retour aux valeurs commerciales, familiales (les deux vont souvent de pair) et, d’une certaine manière, capitalistes selon des principes typiquement chinois, c'est à dire bercé par des coutumes traditionnelles.

A défaut d’être un grand film de Johnnie To, chacun en conviendra, Office apparaît comme une curiosité riche en surprises. Si Office ne peut se placer à la hauteur des grands films du cinéaste, il témoigne néanmoins de l’aptitude de Johnnie To à jouer avec les codes et les impératifs d’un genre extérieur à son champ de créativité habituel.

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D'un point de vue technique, l'édition, visuellement, est excellente (même si nous n’avons pas testé la version 3D). L'esthétique du film est magnifiée par un rendu remarquable, ce qui est coutumier chez Carlotta Films et qui ne fait que confirmer la qualité du travail de cet éditeur.

Côté complément, un making-off, très calibré "outil promotionnel", accompagne le film ainsi que la bande annonce. Nous aurions aimé un peu plus à ce niveau. Quelques informations sur la comédie musicale de Sylvia Chang n'auraient pas été superflues. Mieux encore, il eut été passionnant d’écouter s’exprimer Johnnie To et William Chang sur le travail mené conjointement sur les décors et qui fait l’essentiel du film.

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Crédit photographique : Copyright Carlotta Films

Version 2D + 3D
SUPPLÉMENTS (EN HD)
. MAKING-OF (12mn)
. BANDE-ANNONCE

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