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L’apparition

Publié par - 19 février 2018

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

À la suite d’un bombardement, Jacques (Vincent Lindon), journaliste en reportage en Jordanie pour Ouest France, revient en France, blessé à l’oreille et bouleversé par la mort de son collègue et ami photographe. Tandis que la rédaction du quotidien rend hommage au disparu, Jacques, lui, manifeste des troubles post-traumatiques. C’est alors qu’il reçoit un appel téléphonique du Vatican. Il est chargé de participer à une commission d’enquête canonique dans une petite ville du Sud-Est de la France. Là, une jeune fille de 18 ans prétend avoir assisté à une apparition de la Sainte Vierge. Dans le nouveau film de Xavier Giannoli, L’apparition, le cinéaste approche avec un regard neutre la complexité du processus de reconnaissance de lieux saints par le Vatican. Comme le dit l’un des prêtres du Saint-Siège : « nous préférons passer à côté d’un phénomène, au lieu de valider une imposture ».

Contrairement à certaines idées reçues, Giannoli nous présente le Vatican, et son administration, sous l'angle du pragmatisme : en reprenant les codes du polar, l’idée de L'apparition se présente comme une véritable investigation. Une fois dans les archives du Vatican, Jacques parcourt les éléments de l’enquête et les compare aux différentes recherches antérieures comme on fouille dans les archives d'affaires classées : photographies, registres, documents officiels, reliques. Tous ces éléments qui peuvent apporter de la lumière au cas présent sont rassemblés dans des classeurs et rangés par centaines sur des étagères.

Une fois sur le lieu où se tient la commission, Jacques découvre le véritable engouement humain qui entoure L’apparition. En quelques mois le lieu est devenu un site de pèlerinage où toutes les nationalités se croisent et se mélangent avec le même espoir : assister à un miracle. À partir de l’arrivée de Jacques, Giannoli joue beaucoup sur le contraste qu’il peut y avoir entre la vérité scientifique de l’enquête et la ferveur de la foi. Jacques y rencontre alors les autres membres de la commission organisés comme une équipe d’experts qui se livre à un travail de routine. Ils sont installés dans une usine désaffectée dont l’éclairage aux néons crée une atmosphère si réaliste que le caractère sacré de la mission semble absent.

L'apparition se plaît à nous exposer parallèlement deux aspects de l'affaire comme s’il existait deux univers distincts et pourtant convergents autour de la prétendue bienheureuse : Anna (Galatea Bellugi). Il y a d’une part cette espèce de foire qui se construit autour de la jeune fille quand elle arrive au milieu des pèlerins sous un chapiteau de festival. À cet instant, elle est entourée de bonnes sœurs comme une rock-star serait accompagnée d’agents de sécurité chargés de tenir à distance une meute de fans. Giannoli nous montre le business qui se crée autour d’Anna, plus particulièrement celui orchestré par le père Anton Meyer (Anatole Taubman). Les retransmissions sur internet dans plusieurs pays, la grande église en projet et le véritable merchandising de produits dérivés à l’image d’Anna contrastent sérieusement face à la vertu première que prône le culte de la Vierge : l’humilité.

Et puis il y a, d’autre part, les coulisses de cet événement, l’investigation. Ce qui s’y déroule nous parvient par le biais de Jacques qui, ne pouvant se contenter du format usuel de l’enquête, la poursuit sur le terrain. Pour lui, athée, la vérité se trouve avant tout dans le concret, à commencer par les témoignages de ceux qui ont connu Anna avant la fameuse apparition. Ce clivage entre les deux univers devient perceptible dès la scène du premier interrogatoire d’Anna par la commission. Au contraire du spectacle dans l’église, le témoignage d’Anna est filmé par de longs plans fixes qui ont pour fonction de retranscrire l'authenticité de la parole de la jeune fille.

Qu’en est-il alors de la foi ? Aspect non négligeable compte tenu du sujet de L’apparition. La foi est comme le dit un des personnages du film dans une phrase empruntée à Kierkegaard : « Souvent elle passe incognito». La foi est parsemée entre ces deux univers dans des séquences ponctuelles de silence où Anna n’est plus le sujet d’une enquête, ni idole d’une nouvelle église, elle n’est plus que dévote. Dans L’apparition, ces séquences de prières et de balades incognito dans le monde qui l’entoure montrent ces rares moments de liberté où elle n’est plus observée mais observe. Notamment, cette courte scène où, assise au milieu d’un centre commercial, elle observe les nouveaux fétiches de la religion consumériste : prix, mannequins, publicités, caddies remplis à ras-bord… Car dans  L’apparition, qu'elle soit avérée ou non, Anna incarne cette foi qui dépasse le scepticisme des laïcs, comme celui du Vatican, c’est-à-dire un choix libre et éclairé. Elle est comme cette icône de la Vierge qui crée le lien entre son histoire et celle de Jacques : elle peut être mise à mal par les brûlures, elle peut être invisible par ses yeux troués, mais elle reste omniprésente.

Crédit photographique : Copyright Shanna Besson

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