Splitscreen-review Image du Blu-ray de Faust réalisé par FW Murnau édité par Potemkine Films

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Faust - Potemkine

Publié par - 19 mars 2018

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Sans le savoir, Potemkine vient d'éditer un film qui est en parfaite adéquation avec notre dossier de mars. Il s’agit de Faust réalisé par Friedrich Wilhelm Murnau. Faust s'est forgé une réputation de chef-d’œuvre incontournable au fil du temps pour de multiples raisons. L'une d'entre elles nous intéresse au plus haut point. Il s'agit du travail de Murnau sur la lumière. Il est vrai que le traitement des ombres et des lumières, dans Faust, nous offre l’occasion d’assister à un formidable mélange d’idées contraires et pourtant convergentes. La lumière définit les contours formels de l’œuvre et nourrit sa progression dramaturgique. Elle est donc traitée comme l'objet premier de la mise en scène jusqu'à endosser différentes fonctions dont la médiation entre matérialité et abstraction. Autre phénomène conséquent qui nous intéressera aussi dans Faust, la traduction physique de thématiques empruntées au Romantisme.

Splitscreen-review Image du Blu-ray de Faust réalisé par FW Murnau édité par Potemkine Films

Dans Faust, la lumière et par conséquent son opposée, l’ombre, aident à sculpter l’espace pour engager un dialogue avec le décor. Il en découle un enchevêtrement de formes géométriques qui vise d’abord à traduire le cheminement de la pensée et, ensuite, à retranscrire les angoisses ou les discordances entre l’intériorité des personnages et le monde extérieur.

La géométrisation de l’espace confère à l’image une dimension symbolique qui convoque une lecture analytique. Ainsi, partir à la rencontre de Méphisto est en soi, pour Faust, un voyage introspectif. C’est, d'une certaine manière, formuler le souhait de se libérer de l'emprise du rationnel qui régit l’univers du personnage. Dans cette séquence, la seule lumière dispensée par la Lune confère au paysage une dimension réflexive. Ce qui habite et envahit alors l’espace filmique n’est que le pur reflet de l’imaginaire de Faust. La scène nous permet d'observer un conflit qui oppose des forces habituellement invisibles et elle devient l'objet d’une contemplation spirituelle des luttes intérieures. Ce ne sont pas n'importe quelles luttes. Elles sont essentielles comme en témoigne la "violence" du choc entre les ombres et la lumière. Le film est donc la description d’une atmosphère caractérisée par la visualisation du lien physique qui relie le protagoniste à l’univers dans lequel il évolue.

Ombres et lumières dialoguent ou débattent d’un sujet convenu (Faust et l’évolution de ses thématiques littéraires) tout en prenant soin de questionner la condition humaine. Là se situe une des richesses du film : savoir distiller savamment (le cinéma est une invention qui est le résultat de diverses volontés scientifiques) toute la palette d’émotions qu’un être humain peut éprouver et, parallèlement, proposer une réflexion philosophique sur ces émotions. Les contrastes qui régissent et définissent l’esthétique du cadre et son contenu reflètent également ce qui s’oppose dans la nature humaine.

Il y a dans Faust cette improbable croyance dans la possibilité d’ausculter scientifiquement différents aspects de la métaphysique, terme qu'il faut entendre au sens philosophique mais aussi au sens littéral. C'est-à-dire que le film se construit autour d’une réflexion philosophique sur la condition humaine et, en même temps, conduit une réflexion plus ordonnée sur l’humain avec, pour finalité, l'ambition d'aboutir à une connaissance approfondie des choses et surtout de soi. Déjà Nosferatu, par l'usage du négatif (au propre comme au figuré), rendait compte de ce qui se jouait derrière les apparences (la société voit surgir un monstre qui est finalement le produit de ses propres maux). L’apparition du vampire permettait de juxtaposer un univers fantastique à la réalité allemande de l’époque et procédait ainsi, de manière métaphorique, à une sorte de radiographie de l’Allemagne des années 20.

Faust, par le travail du clair-obscur, explore de manière didactique le comportement de l’individu à la fois tenté par ses désirs les plus enfouis et, en même temps, motivé pour les réprimer. Le style de Murnau est déterminé par ce projet d’étude sur l’être humain qui inscrit le film dans une logique romantique. Le Romantisme est un mouvement artistique disparate, aussi convient-il de préciser que celui qui nous intéresse ici est plus proche de Caspar David Friedrich que de John Constable. C’est-à-dire qu'il se situe dans une filiation intellectuelle avec Kant. Car chez Murnau, il est aussi question de tout remettre en cause, de douter de tout, en permanence. Murnau, à travers ses films, ne cesse d'évaluer et d'examiner le rationalisme, la religion, la Nature, l'humain et son rôle. Il est même opportun de penser, du fait de l'exploitation extrême de la machinerie du film, que Faust sert de support à une interrogation profonde sur le sens et le but de l’art cinématographique. Ce questionnement sur la nature même du film rejoint (au sens littéral) le principe de métaphysique énoncé plus haut dans la mesure où Murnau filme ce qui précède le mouvement (l’esprit qui va animer la créature) afin de saisir comment se retranscrit concrètement l'idée.

Le cinéma de Murnau est également habité par l’ambition singulière de vouloir traduire en images des pensées et des émotions qui ne pouvaient pas l’être par des mots. Là encore nous trouvons un point de contact avec Friedrich puisque Murnau, en soumettant Faust aux tourments nés dans l’épreuve du désir, semble s’en remettre au libre arbitre du personnage. Il s’agit là, pour Murnau, de témoigner de sa foi en une lumière intérieure. Il croit donc, comme Friedrich, à la responsabilité de l’individu et à son pouvoir de jugement. D’où le ton intime et mystérieux des scènes tournées qui semblent être le produit d’un examen de conscience.

La caméra chez Murnau est donc un outil qui lui permet de visiter les recoins d’une âme tourmentée. En cela, la caméra et tout ce qui relève de l'outil technique, lumière comprise, témoignent de la capacité de l’artiste à transcender les méthodes traditionnelles de raisonnement et d’explorer les domaines les plus obscurs de l’inconscient. Le Romantisme repose sur une matérialisation de la sensibilité personnelle de l’artiste. Le seul guide de l’artiste romantique est ce qu’il possède en lui et les caractéristiques du mouvement se distinguent à travers la volonté d’exprimer des sentiments, des craintes ou des espoirs sous des formes innombrables.

Chez Murnau, les tourments de Faust motivent les choix d’éclairage et les mouvements d’appareil. La lumière dans le film, une fois encore, balise les espaces et délimite les déplacements possibles. Mais elle est aussi, et peut-être surtout, le moyen scientifique qui permet la révélation d’un monde nouveau, celui de son Moi profond. Faust est, par définition, un personnage qui s’accommode de cette problématique. Pas le Faust des origines ou celui du théâtre de Marlowe mais celui de Goethe. L’étude comportementale proposée ici ne sera pas circonscrite à l’onirisme convoqué par les apparitions de Méphisto puisqu’elle a pour but de traduire, comme pour le poète, les questionnements existentialistes liés à l’homme qu’est censé être Faust.

Car Faust, finalement, est un homme hanté par les mêmes doutes que les autres. Il est fait de frustrations et de peurs mais aussi, comme tous les personnages des films de Murnau, de désirs obsessionnels. Les ombres font figure d’espace d’incubation. C’est de là, physiquement, que naissent les formes, les corps, les gestes mais aussi les pensées. Si la lumière révèle, l’ombre féconde. Il est ainsi logique de voir Faust naviguer entre ombres et lumières. La lumière est production démiurgique par essence. Ici, elle est un moyen développé par le cinéaste pour interpeller directement son personnage. Les mouvements de Faust chorégraphient alors une sorte de lutte existentielle où la lumière, de manière tangible, autorise la libération de ce qui est réprimé depuis toujours, affectivement et intellectuellement, afin que la véritable nature de l’être se révèle.

Une fois l’esprit de l'homme délivré de ses interdits pendant ses errances nocturnes, le désordre, la vie et, surtout, son intériorité s’emparent du monde pour l'assujettir à la pensée faustienne. Ce qui résulte de cette confrontation, celle du Moi profond au réel, dérègle le rapport de Faust à ce qui l’entoure. L’espace scénique incarne ainsi une vision du monde qui est en accord avec l’évolution du personnage. Il sera confiné, emprisonné dans des réseaux de lignes constituées par le cadre et les lumières ou bien, au contraire, positionné face à des immensités synonymes de champ des possibles.

Faust confond tout alors que le spectateur ne mélange rien, lui, aidé par le dialogue qui s’établit entre les ombres et la lumière ou encore les cadrages qui ne laissent aucun doute planer. Nous l'avons dit, tout ce qui relève de l’architecture du cadre s’inscrit dans une logique empruntée au Romantisme. De ce fait, le décor s’anime d’une volonté dramaturgique qui transforme les paysages en espaces organiques. Nous sommes en terrain connu. Le jeu des comédiens, de Faust et de Méphisto en particulier, rejoint l’idée d’une association d’éléments en apparence étrangers pour constituer une composition globale qui trouve sa pertinence dans la cohésion géométrique du cadre.

Les personnages deviennent ainsi l’objet d’une réalité contaminée par leurs pensées, désirs ou sentiments. La transposition de leur psychisme sur le monde s’impose comme une contrainte impossible à contourner qui pourra être, en fonction des choix de chacun, libératrice ou, au contraire, destructrice.

Splitscreen-review Faust et Méphisto volant sur le manteau magique. August von Kreling. 1875
Faust et Méphisto volant sur le manteau magique. August von Kreling. 1875--Freies-Deutsches-Hochstift--Frankfurter-Goethe-Museum

L'édition est bien sûr superbe. Le film, présenté dans une copie qui ne cherche pas à dissimuler son âge, magnifie ce jeu des ombres et de la lumière que nous venons d'évoquer. Les contrastes (admirablement gérés), les subtils dégradés ou, au contraire, les franches oppositions du noir et du blanc soulignent la qualité du travail photographique de Murnau et Carl Hoffmann.

Pour ce qui est des suppléments, l'édition reprend le document de Luciano Berriatua (déjà sur l'édition DVD MK2) qui comparait les angles de prises de vues, révélait quelques procédés de trucage et soulignait quelques points essentiels de la mise en scène.

La grande nouveauté de cette édition est un entretien avec Elisabeth Brisson, agrégée et docteure en Histoire, qui est l'auteure d'un ouvrage consacré à Faust au fil du temps (Faust : Biographie d'un mythe, Ellipses Marketing, Collection : Biographies et mythes historiques, 2013). Le module est passionnant et très bien construit selon des principes chronologiques. Intervenante particulièrement agréable à écouter, Elizabeth Brisson a le mérite de savoir captiver un auditoire sans jamais le lasser. Excellent complément.

Le disque bénéficie également de trois pistes sonores dont une qui reprend la partition imaginée en 1926 pour la sortie du film sur les écrans.

Et comme abondance de biens ne nuit pas, l'édition est complétée par un livret de 48 pages qui reprend des extraits de textes célèbres (Lotte Eisner, Rohmer, Domarchi) consacrés au film.

Édition indispensable à tout amateur de cinéma ou au néophyte qui chercherait encore à comprendre pourquoi le cinéma est un art. Le film date bel et bien de 1926 mais il matérialise parfaitement une des qualités attendues d'une œuvre d'art : son aptitude à étonner et ravir l’œil du connaisseur comme celui du novice. À se procurer impérativement.

Suppléments :
Trois bandes-son :
- Création originale de Thomas Köner (2013) : version enrichie et remixée de sa composition pour l'Auditorium du Louvre.
- Création originale de Jacco Gardner (2017) : version enrichie et remixée de sa composition pour la Cinémathèque française
- Interprétation par Javier Pérez de Azpeitia (piano) de la composition de Paul Hensel en 1926 (2007)

Documentaire : " Le langage des ombres : le chef-d’œuvre", Faust, de Luciano Berriatua (53')

Le mythe de Faust : entretien avec Elisabeth Brisson (34')

Livret de 48 pages :
- Extrait de « L’Écran démoniaque » de Lotte H. Eisner
- Extraits de « L'Organisation de l'espace dans le Faust de Murnau » d'Eric Rohmer
- Extrait de « Littérature et cinéma » de Jean Domarchi

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