Splitscreen-review Image de Don't worry, he won't get far on foot de Gus Van Sant

Accueil > Cinéma > Don't Worry, He Won't Get Far on Foot

Don't Worry, He Won't Get Far on Foot

Publié par - 12 avril 2018

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Don't Worry, He Won't Get Far on Foot, inspiré de l'autobiographie éponyme de John Callahan, raconte une partie de la vie du personnage à Portland au début des années 70. Avant de devenir un dessinateur humoristique reconnu pour son goût de la provocation, il fut alcoolique et devint tétraplégique à la suite d’un accident de voiture. Il trouve alors dans un groupe de soutien des Alcooliques Anonymes et principalement dans les paroles de son parrain charismatique, Donnie, une porte de sortie et un moyen de remplacer son addiction par une passion qu'il se découvre pour le dessin.

Suite à des retours globalement négatifs sur ses trois derniers films, notamment la déception de Nos Souvenirs présenté à Cannes en 2015, Don't Worry, He Won't Get Far on Foot apparaît comme un retour aux affaires filmiques plutôt réussi pour Gus Van Sant. Sans réelles inventions formelles, offrant un résultat somme toute mainstream, le film est une biographie classique dans sa construction mais impeccable dans son exécution. D'autre part, Van Sant rend un bel hommage et donne beaucoup de noblesse au travail de dessinateur satirique en faisant le portrait d’un homme complexe, aux nombreux défauts, traité à hauteur de ce que veut le genre.

 

 

Deux aspects singuliers de l’œuvre retiennent l'attention. Le duo J. Phoenix./J. Hill produit des ambiguïtés filmiques enrichissant la matière de leurs personnages respectifs. Puis, plusieurs éléments visuels laissent le film vivre en dehors du biopic. Certains gestes conscients du réalisateur méritent de s'y arrêter pour questionner le statut d'images intentionnellement "empruntées".

  • Jonah hill / Joaquin Phoenix, duo à double lecture ?

Le récit voudrait que Callahan soit captivé par Donnie qui prend une posture dominante et inspire son sevrage dès la première rencontre. Pourtant à l'écran ce rapport est loin d'être évident. D’abord peut-être parce que les deux comédiens ont une aura différente et que l'énergie de Phoenix est écrasante, même contrainte par ses tics et la chaise roulante. Jonah Hill est très juste dans son rôle, on ne peut pas lui enlever ça. Il montre douceur et contenance, incarne une espèce de resplendissant gourou, mais ne devient pas hypnotisant au point qu'un homme aussi cynique et destructeur que Callahan puisse tomber sous une emprise inexplicable au premier regard. Ce décalage est autant dû finalement au charisme des comédiens qu'à la personnalité des personnages écrits par Van Sant.

Mais peut-être que la relation des personnages est lisible autrement. Peut-être que Callahan déborde de son fauteuil et surpasse les personnes qui veulent l’aider autant que Phoenix déborde de son rôle. Et dans ce cas Joaquin Phoenix est exactement dans la bonne posture. Non pas de celui qu'on aide, mais de celui qui se laisse aider parce qu'il le choisit. Donnie devient pour lui cette personne dont les prêches l'intéressent moins que sa capacité à contenir sa noirceur et à montrer seulement ses lumières au monde. De l'autre côté, pour Donnie et pour Van Sant, Callahan est quelqu'un d'exceptionnel. Pas du tout comme les autres adeptes qu'il encourage pour les sauver. Callahan aurait une destinée au-dessus de la leur, une carrière de dessinateur qui commencera là où le film s'arrête. Et les faiblesses de Donnie qui le rendent fragile face à Callahan, sa dépression puis sa maladie qu'il choisit de ne pas montrer aux autres membres du groupe, se retrouvent justement dans les détails de leurs échanges et dans leurs postures. Cette lecture contre-intuitive qui pousse la logique du casting et de l'incarnation des personnages à l'extrême expose cependant une certaine tendance idéaliste dans l'écriture et la mise en scène de Van Sant dont le positivisme est récurrent depuis plusieurs films. Ce qu'on ne lui connaissait pas dans la première partie de sa carrière.

Contrairement aux comédiens de Elephant, Paranoid Park ou Gerry qui existaient par leurs corps en-dehors de sa mise en scène, le jeu de Joaquin Phoenix et la matière biographique du récit semblent tracer une rédemption puis une ascension pré-écrite. La grande différence avec Elephant, qui pourtant racontait des fusillades dans des lycées américains, c'est que la tragédie y surgissait du néant. Inévitable et même décomptée, elle n'était cependant pas formulée dans la mise en scène comme l'aboutissement d'une ligne droite. Il n'y avait pas d'éléments visant à en expliquer la cause. La caméra suivait les mouvements méthodiquement. Ici, elle semble créer au contraire un mouvement artificiel autour du fauteuil de Callahan pour donner une ampleur au personnage et pour donner un sens à son parcours.

Pourtant Don't Worry montre par ailleurs certaines préoccupations moins univoques de son auteur en invoquant des images de ses films les moins idéalistes. Un discours plus sombre persiste, à la fois sur Callahan et sur la société dépeinte dans le film et se laisse deviner, par instants, à travers par exemple des motifs directement empruntés à Paranoïd Park.

 

  • Images empruntées et images attractions

Deux types d'images semblent étrangères au reste du film, discrètes mais bien présentes, et dont le statut reste finalement assez ambigu. Il y a un certain nombre d’auto-références empruntant des motifs à la filmographie passée de Van Sant. D'abord, un train de nuit et de jeunes skateurs sont intégrés dans le récit de Callahan. Puis plusieurs tentatives d'attractions visuelles surgissent tout à fait en dehors du récit  : des splitscreens défilants en rouleaux lors de deux séquences clipées et le passage en animation de dessins de Callahan.

Un train de nuit occupait la scène pivot de Paranoid Park. La séquence emblématique est convoquée dans Don't Worry à travers une simple anecdote racontée par Callahan à son aide soignante et montrée aux spectateurs. Sans véritable importance dramatique dans le film, cela correspond cependant au moment où le personnage réalise qu’il est arrivé à la limite de son raisonnement destructeur. Un soir, il sauve in-extremis un compagnon de boisson, handicapé lui aussi, coincé au milieu des rails alors que ce dernier lui demande de le laisser mourir. Hilare en racontant leur infortune, Callahan retient de la soirée : « It’s funny because he meant it » dont la noirceur résonnera en lui pour toujours, même après sa convalescence. Le film décide cependant de ne pas montrer cette part sombre qui disparaît du récit après cette séquence et jusqu’à la fin. Le bonheur apparaît comme sans profondeur. La fin de son programme en 12 étapes semble sincèrement le libérer. On ne le voit plus dans les moments de difficulté et il passe, miraculeusement, d’une colocation qui lui est insupportable à une relation parfaite avec un ange tombé du ciel (Rooney Mara). La magie du cinéma passe, à partir de ce moment, sous silence tous les moments où son handicap pourrait être contraignant. C’est particulièrement marquant étant donné que ces instants étaient présents dans la première partie du film pour souligner son désarroi. Son handicap n’a pourtant pas changé, ni sa volonté de dépasser le cadre par sa mobilité. Mais il est beaucoup moins contraint, plus léger. Advient la même conclusion que précédemment sur l'idéalisme. On peut estimer qu'il est dommage d'occulter cette partie sombre de la vie du personnage, tout en remerciant dans le générique Robin Williams, qui avait été prévu pour incarner Callahan dans une version du projet il y a 24 ans.

Les skateurs font aussi une apparition dans le récit comme de jeunes fantômes d'un cinéma passé. La séquence très attendrissante, à la fois nostalgique et drôle, ponctue le récit en revenant plusieurs fois. Elle réapparaît au moins trois fois, ouvre et termine le film, et se déroule diégétiquement à la fin de l'histoire racontée. Callahan qui pousse toujours son fauteuil électrique à pleine vitesse fait une chute dans la rue et se fait aider par de jeunes skateurs qui ramassent son carnet à dessins et lui demandent de raconter son histoire. En toile de fond, le film expose dans toute sa durée des aspects qui tiennent à cœur à Van Sant. Le libéralisme moral, l'émancipation des femmes, la religion, le pouvoir. Tout cela prend un sens particulier dans cette séquence qui chapitre le film et montre la fin d’une époque, rejoignant et construisant celle de ces skateurs adolescents formant la génération suivante et qui furent le sujet d'autres films du réalisateur.

 

D'autres images, moins discrètes, de l'ordre de l'attraction, interrogent et contestent la narration standard mais relèvent finalement plus du gimmick dans leur utilisation. Les splitscreens défilent à l'écran comme sur un rouleau horizontal à deux reprises, peut-être pour cacher la simplicité du montage clipesque de ces moments de bonheurs empruntés aux comédies romantiques.

Plus intéressant aurait pu être le passage en animation des dessins de Callahan. Ces très courtes dérogations au récit restituent dans la durée de quelques secondes la blague qui est instantanée sur les dessins satiriques. Le procédé surgit à plusieurs reprises, surprend et éclaire le spectateur sur l’intériorité du personnage et ses intentions à différentes étapes de sa vie. Même s'il est possible d'argumenter que cela ajoute à l’humour irrévérencieux du film en adéquation avec la personnalité de Callahan, ces animations restent finalement très bon enfant et peu exploitées.

Comme les autres manifestations de la sensibilité unique du réalisateur dans ce film, celles-ci semblent distillées trop succinctement dans une œuvre aux aspects classiques. La finalité du projet reste ouverte à interprétations, entre le récit de rédemption sans ombre que suggère la première lecture et les éléments trop peu nombreux venant contrarier cette idée.

Crédit photographique : Copyright 2018 Amazon Content Services LLC. / Scott Patrick Green

 

Partager

à lire aussi