"Mon enfance était là, c'était une merveille" ou "Déjeuner de soleil"*
Publié par Pierre Rochigneux - 19 avril 2018
Catégorie(s): Cinéma
(1) Jeux interdits n'est pas un air de guitare, c'est l'enfance sous les mitrailleuses de la débâcle de 40, un air de percussions. Débâcle d'adultes et les enfants s'en échappent. Ils jouent à la vie, ils jouent à la mort en singeant les grands, en fabriquant à leur mesure un petit cimetière mais là, on les reprend, on les sépare, ça pleure dans la gare, ça pleure dans la prison des grands.
(2) Dans cette même guerre, d'autres enfants ne veulent pas grandir, Oskar au "tambour", enfant restant petit, dans le cirque du IIIème Reich, s'en amuse pour y vivre, pour en vivre. Il devra tomber dans la tombe pour en sortir, grandir. Peter Pan ne saurait être éternel.
(3) L'enfance d'Ivan, forte et fragile créature, se passe entre les lignes du front. L'ange dans les flammes fera long feu : dans le grand combat des adultes, il tente d'être considéré, il joue à la guerre et la guerre ne joue pas. Des siècles auparavant, ce gamin avait miraculeusement fondu une cloche, pour ne pas crever de faim, il avait dit qu'il en connaissait le secret. Il fit payer cher aux adultes. "Plus d'argent, il faut plus d'argent" pour l'alliage de la cloche, pour l'existence de la jeunesse, pour un son à venir. Pour que les artistes aient encore à dire et à montrer. (4)
(5 ) La Première guerre n'est pas loin pour Les Disparus de Saint-Agil, formant pour eux dans un internat les Chiches Capons, redoutable association de libertaires : ils veulent les Amériques, pas moins. Et c'est le Boche de l'école qui les aide, le sévère mais juste Erich von Stroheim. Ils sont héros mais la liberté attendra. Ils grandiront. La Première, la Seconde Guerre viendront. "On les aura !" En ce temps, un petit air d'anarchie bienveillante, Zéro de conduite, pour foutre en l'air les édredons et les barbichus. Les cinéastes anarcho-gentils, comme Jean Vigo, sont peu nombreux à vouloir proposer la révolte. (6) Peu révoltés, les enfants de Charlie et la chocolaterie montrent déjà ce qu'ils seront. (7)
Mais le gosse d'Allemagne année zéro saute dans le vide. Sous le vide : les ruines de Berlin, les ruines du monde. Il n'ira pas plus loin. (8)
(9) Viennent les années Pop, vient la Nouvelle Vague et son désir de casser l'écriture ancienne. Des gosses tout juste sortis de Pathé Baby, chaussant la Beaulieu. Qu'a fait Zazie dans le film ? "J'ai grandi". Elle a virevolté, dit des gros mots incroyables, a tout vu, tout provoqué et s'est amusée, s'est endormie, puis est reprise par la mère volage. Antoine Doinel, par ses 400 coups (10), grandira aussi. Sa gouaille, son culot, son ostensible méfiance vis-à-vis des adultes. Prisons et fuites, nous l'accompagnons. Il a de la suite dans les idées, trouvera sa place au Soleil.
Les enfants, on les transporte, on les protège, on les amène aux paradis restants, c'est dire que le monde qu'on leur lègue (qu'ils nous ont prêté) est bien cassé et doit évoluer. C'est La route de John Hillcoat / Mc Carthy, Himalaya, l'enfance d'un chef d'Eric Valli, c'est d'abord Le Kid de Chaplin. On trouve un môme dans Mad Max, dans les Star Wars de 1 à 12 (mais on n'a pas encore vu le 8), on rit en s'excusant : "Je suis ton père", la bonne blague. À la fin de 2001 l'Odyssée de l'espace de Kubrick, est-ce un enfant qui naît ? Pas sûr. La liste est longue de notre culpabilité qui doit être montrée pour que plus jamais ça. Mais, noyé, un gosse dit migrant, sur le ventre à la limite des vagues d'un continent dit de libertés, ne changera rien, l'image de l'enfance, l'enfance en image, ça donne un rictus. Et chacun grandit, les gosses de 68 sont aux manettes, ils interdisent d'interdire d'interdire et Renaud-Poulbot arrête d'arrêter d'arrêter (d'arrêter) de boire. Zazie a raison de les traiter de cons. Enfants de la guerre ou d'une prochaine, enfants d'une crise puis d'une autre, enfants du diable qu'on accepte (Rosemary's Baby de Polanski).
Diable ! Cherchons l'enfant libre dans une représentation libre. Il est l'enfant qui apprend à être adulte, il est Pinocchio (11), du bois à la chair, il aurait pu être évoqué dans le précédent dossier sur la chair et l'image. Il est l'enfance préservée, Chapi-Chapo (12), marionnettes aussi, abstraites et riantes, vues à la télé. Idem la tribu décalée de Peter Pan, en dessins ou en films, espiègles et survivants de l'utopie du Neverland et ceux gratuitement amusés par Marie Poppin's ou ayant cherché un trésor et trouvé une amitié, fut-elle celle d'un pirate. Ils auront une adolescence terrible dans le West Side mais laissons-les rire encore un peu, laissons Fanny et Alexandre (13) jouer dans un monde sans rire, laissons s'émerveiller l'enfant de Cinema Paradiso (14) qui regarde au travers d'un petit trou le rayon du projecteur qui fabrique un mirage. Imager, mirage, miracle.
On n'accompagne pas toujours pour le mal, Alice dans les villes (15) n'est pas une Lolita, elle est une gamine enjouée, traversant un document, un espace, une histoire, c'est-à-dire un film de Wim Wenders. Elle est protégée comme Moogli l'est. Aussi protégés par Lilian Gish, les enfants ayant descendu la rivière sans retour de La Nuit du chasseur (16). L'enfant sauvage, lui, doit être rééduqué, il l'est par le cinéma de Truffaut, il l'est par la lanterne des illusions.
Et ceux-ci n'ont pas d'âge qui nous prennent dans leur silence tapageur, Buster Keaton et Charlot, Étaix et son papa Tati. Fonctionnent-ils encore en 2018 ? C'était l'enfance du cinéma. Les coups de pied au derrière, L'arroseur arrosé, la Lune éborgnée. Cette lanterne magique remplacée par le ciné-baby, enfance projetée, rêve écrit dans le noir, bousculades pour de rire.
Viennent les animaux de jeune compagnie : un kangourou, un Saint-Bernard (non, un Montagne des Pyrénées, soyons justes), un dauphin, un faon, Rintintin, un éléphant volant et des chats de jazz, des souris aussi et Ratatouille, un lion, des Gremlins, Maître Joda (là, je plaisante). L'adulte rattrape ce temps de joie : il tue la mère de Bambi, que fait Bambi ? Que lui reste-t-il à faire ? A sentir grandir ses cornes, ramures et armes. Et laissant penaud le lapin Panpan.
Pierre Tchernia nous en montrait les bons morceaux, il s'y baladait, dans ces images que nous recevions par des antennes et des fils magiques. Gâté, va !
Pourtant, dans Le village des damnés, les enfants sont un peu de sales types, dès le départ, ils nous veulent du mal, ils veulent tout de suite le pouvoir. Et lisent dans nos pensées, c'est pas bien, l'intrusion. Peu de méchants gosses à l'écran, ou bien se repentant à la fin, rendant la chose volée, fermant le livre maudit ou grandissant comme grandit leur public. Harry Potter en ce moment achète un poisson rouge à son gosse (c'est une mauvaise idée) et lui apprend à lacer ses lacets (c'est mieux). Je l'ai découvert dans le siège d'un avion, Harry faisait au plus 20 centimètres de haut, gros plan compris. La dernière fois que je l'ai vu, il faisait bien 27 pouces, illégalement télétransporté et des poils lui poussaient. Bilbo aussi a grandi, qui est un faux gosse. C'est pas parce qu'il est petit comme Kirikou (mon ami) qu'il est un enfant, Bilbo est pourtant ce qui est avant les hommes, il est l'enfance des hommes quand ils auront perdu la magie, les elfes et tout ce tintouin de fées allumées. Je m'éloigne du sujet ? Sortis de B.D., Benoît Brisefer et Le Petit Nicolas font inutilement leur petit tour à l'écran, La Guerre des boutons croit se refaire une jeunesse (18), on voulait des bonbons, on mange des navets. La bande au P'tit Quinquin (19) sauve la mise, avec leurs sales gueules d'anges, espiègles comme les mômes de L'Autobus à impériale. Petit, j'étais amoureux de la petite qui cligne de l'œil au générique. La Tigresse.
Revenons au bon sujet. Quand un truc est facile à faire, on dit que c'est l'enfance de l'art. Les doigts dans le nez, c'est d'la petite bière, simple comme bonjour. L'enfance, comme le cinéma, est faite de temps et de mouvements. Bébé muet, ado vociférant, adulte haut en couleur, vieillard tridimensionnel. Quand le cinématographe meurt, tout s'éteint.
Allez, encore, pour le fun : "Je suis ton père !"
31 déc2017embre / 29 ma 2018 rs
* titre : -Serge Reggiani
1 - Jeux interdits - René clément - 1952
2 - Le Tambour - Volker Schlöndorff - 1979
3 - L'enfance d'Ivan - Andreï Trakovski - 1962
4 - Andreï Roublev - Andreï Tarkovski - 1966
5 - Les disparus de Saint-Agil - Christian-Jaque - 1938
6 - Zéro de conduite - Jean Vigo - 1933
7 - Charlie et la chocolaterie - Mel Stuart- 1971 / Tim Burton - 2005
8 - Allemagne Année zéro - Roberto Rossellini - 1947
9 - Zazie dans le métro - Louis Malle - 1959
10 - Les 400 coups - François Truffaut - 1959
11 - Pinocchio - Luigi Comencini - 1972
12 - Chapi Chapo - Italo Bettiol / Stefano Lonati- 1974
13 - Fanny et Alexandre - Igmar Bergman - 1982
14 - Cinema Paradiso - Giuseppe Tornatore - 1989
15 - Alice dans les villes - Wim Wenders - 1973
16 - La nuit du Chasseur - Charles Laughton - 1955
17 - Le village des damnés - Wolf Rilla - 1960 / John Carpenter - 1995
18 - La guerre des boutons - Yves Robert - 1962 / puis un autre
19 - Le petit Quinquin - Bruno Dumont - 2014
20 - L'autobus à impériale - Booth / Crichton / Summers - 1970