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Edmund McMillen : jeux et traumatismes
Publié par Simon Chatelus - 19 avril 2018
Catégorie(s): Jeux vidéo
L'enfance peut être une période d'épanouissement ou bien, pour des raisons multiples, un véritable enfer. En ce qui concerne le cas qui nous préoccupe ici, difficultés scolaires, divorce et famille recomposée sont autant d’événements qui façonneront le futur de l’artiste Edmund McMillen.
Ce Game-designer, par ailleurs auteur de BD sur internet, témoigne par et dans son œuvre d'un traumatisme profond. Il y est systématiquement question de l’exploration, par le biais d’une mise en forme graphique, d’une psyché d'enfant torturée. Ce qui frappe et impressionne d’emblée dans les jeux de McMillen, c'est le recours à un gameplay raffiné qui prend corps dans une esthétique faite de traits abrupts similaires à ceux observables dans des dessins d'enfant. Ses personnages, que ce soit dans Super Meat Boy ou peut-être encore avec plus d’évidence dans The binding of Isaac voire même dans Mew-genics, sont simples avec des contours bien nets, définis par des formes anodines, des figures géométriques basiques, des rectangles et surtout des ronds. Les univers adoptent un aspect cartoon totalement paradoxal au regard de l'horreur que ces dessins représentent : enfant mutilé, les yeux rouges sang exorbités... C'est que le dessinateur réinvente les monstres qu’il dessinait étant enfant et les introduit dans des univers "ludiques". Mais la main est plus sûre d’elle et s’assure de chaque détail qui définit ces nouvelles chimères. Au-delà de l’aspect visuel des jeux, ce sont même parfois les actions proposées aux joueurs qui semblent provenir de l’enfance.
Ces divers aspects apparaissent aussi dans les bandes-dessinées de McMillen : oiseaux crucifiés, présence toxique de la religion dans la cellule familiale, séparation des parents... À travers les images et les bulles, l’individu réfléchit et revisite son mal-être pour tenter de se reconstruire sur les ruines du passé. Il y a sans doute, derrière cette démarche, une dimension thérapeutique et cathartique pour l'artiste à mettre en cases son enfance et son vécu.
Super Meat Boy et sa trame scénaristique calquée sur celle des contes de fées est une sorte de clef pour approcher l’œuvre dans sa profondeur. Le personnage principal, un bout de viande, la chair à vif, donc certainement en souffrance, cherche à libérer Bandage girl des griffes du terrible Dr Fetus. Cette quête apparaît comme une possible solution aux problèmes rencontrés par l'auteur dans son enfance. La réussite de l’entreprise de libération du personnage féminin devient un moyen pour passer à l'étape de construction identitaire suivante. La libération de Bandage Girl pourrait être, aussi, le point de départ d'une forme de guérison. Voilà l’incipit car le problème est plus profond : cette lecture de base est superficielle et le jeu trouve sa profondeur dans les projections du joueur. Car il lui est demandé d’interpréter les motivations du personnage, la nature des péripéties subies et ce qui en résulte. Le joueur entame, dès le début du jeu, un décryptage psychologique de ce que représente Super Meat Boy. Bien entendu, ce sont les épreuves qu'il parviendra à surmonter pour atteindre sa princesse qui apaiseront le personnage et qui lui permettront d’appréhender plus sereinement le monde qui l’entoure et, en quelque sorte, de revivre. Ce qui, en soi, fait sens avec le genre du jeu auquel se rattache Super Meat Boy, le die and retry. Le joueur doit sans cesse se heurter au même obstacle pour en comprendre les spécificités et maîtriser les mécaniques qui y sont liées pour pouvoir avancer dans le jeu.
Un autre remède aux maux de McMillen se manifeste dans la reconnaissance professionnelle de ces pairs à travers ses créations. En effet, d'après des propos tenus par McMillen, il était un enfant solitaire. Il l'exprime notamment avec Aether, un jeu flash, dans lequel un personnage voyage de planète en planète rongé par la peur de la solitude. Le succès, tant critique que public, permet de croiser le regard des autres dont nous avons tant besoin. Ce regard d’autrui qui rappelle qu’on existe et que nos vies ne sont pas vaines. Certes, McMillen a toujours bénéficié du soutien de certains proches, sa grand-mère en premier lieu mais aussi de sa compagne, mais la seule circonscription d'un soutien à ce microcosme social a ses limites, celles de l’exception. Et cela ne suffit en aucun cas à rassurer un esprit supplicié. Surtout si la figure maternelle ne semble pas avoir joué son rôle.
Cette dernière n’est d'ailleurs pas épargnée dans The binding of Isaac. Elle se limite à la représentation d’une jambe verruqueuse géante qui ne cherche qu'une chose : tuer l'enfant que contrôle le joueur. Une manière d’explorer le pouvoir destructeur de l’absence du maternel incarné ici dans une figure déshumanisée. La présence de la mère peut être capitale pour la construction identitaire de l’enfant mais avoir des effets dévastateurs dans le cas d’une défection.
De ces traumatismes naît un espoir enfantin qui se concrétise par une forme de transmission. Les jeux de McMillen sont une représentation des maux qui ont touché ce créateur et, livrés aux plus jeunes, apparaissent comme des mises en garde ou des zones de réconforts potentielles. Les jeux peuvent également devenir des incitations : de celles qui pourraient se formuler par l’envie que d'autres individus en devenir, grâce à ses jeux, aient envie de créer et que ce traumatisme, véritable révélation artistique en ce qui concerne McMillen, puisse servir d’exemple et de tremplin à d'autres qui vivent pareils tourments. Gageons que le souhait profond de McMillen se trouve dans ses jeux et que ceux-ci puissent aider les autres à comprendre ou à exprimer autant leurs souffrances que leurs bonheurs. Un secret espoir qui voudrait que l'enfant à problèmes que McMillen a été, finalement, devienne la résolution possible des mêmes difficultés rencontrées par d’autres.
Crédit image : © Edmund McMillen/Florian Himsl