Splitscreen-review Image de Mark Dixon d'Otto Preminger

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Mark Dixon, détective - Wild Side Video

Publié par - 4 mai 2018

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Réalisé en 1950 par Otto Preminger, Mark Dixon, détective est un pur Film Noir. C’est-à-dire que ce film s’inscrit dans la période si particulière des années qui couvrent l’entrée en guerre des USA jusqu’aux conséquences de cet engagement dans les années 50. Au début des années 40, logiquement, la propagande filmique s’invite régulièrement dans les productions de films. Parfois avant même l’entrée en guerre des USA le 8 décembre 1941. Le Film Criminel américain, toujours en prise avec les réalités sociales, économiques et politiques, va développer une ramification qui aura pour spécificité de retranscrire les inquiétudes, doutes et angoisses que le climat de guerre larvée, dans un premier temps, puis la guerre et ce qui en découlera vont initier.

Le début des années 1940 voit le Film Criminel s’enrichir de nouvelles figures et quelque peu muter. L’apport le plus notable vient de l’émergence du détective privé, individu aux codes moraux précis et, surtout, parfaite incarnation, si chère aux Américains, d’un individualisme synonyme de liberté. C’est le début de ce que les Français appellent Le Film Noir mais qui n’est finalement qu’un prolongement thématique et esthétique de ce qui fut déjà mis en place dans les années 1930.

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Le Film Noir n’est donc pas un genre, ce n’est pas le Film Criminel. Il en est cependant une de ses formes esthétiques et thématiques les plus abouties. Sa mise en pratique filmique systématique entre 1941 et 1955/56 repose sur plusieurs faits convergents. D’abord, on assiste à une popularisation de petits romans à intrigues policières qui vont bien souvent servir de bases scénaristiques aux films produits en parallèle.

Ensuite, le Film Noir repose sur l'expression de la solitude ressentie par la classe moyenne. L’Américain lambda appartient à une société qu’il ne comprend plus et il traîne désormais avec lui une forme de mélancolie née dans le constat que les États-Unis ne sont pas la Terre Promise espérée. Le rêve américain vire au cauchemar. Le Film Noir traduit donc une angoisse sociale profonde, celle qui consiste à voir s’effondrer le rêve utopique de la constitution d’un espace de liberté absolue.

En cela, Mark Dixon, détective est archétypique de cette mouvance et rejoint ces problématiques dès la scène d’ouverture.

Splitscreen-review Image de Mark Dixon d'Otto Preminger

La première image du film est noire. Suit une ouverture en plongée sur un trottoir. Le point de vue est celui du metteur en scène puisque nous n’avons encore pu identifier aucun personnage. Des inscriptions sur le sol, le générique énumère les principaux interprètes de Mark Dixon, détective. Un sifflement. Même importance dramaturgique que celui de M de Lang ? Trop tôt pour le déterminer. Cela compose en attendant une mélodie aérienne qui semble en désaccord avec l’image puisque nous sommes toujours en plongée. Un homme marche, nous ne voyons que le bas de ses jambes. Le type qui siffle ? Ne pas le voir, ne pas pouvoir l’identifier universalise le propos filmique et assume la position démiurgique de la caméra. Les jambes s’activent : travelling latéral. Nous les accompagnons dans leur mouvement. Arrivés au bout du trottoir, la caméra s’immobilise sur une inscription : le titre du film qui correspond parfaitement à l’image que nous découvrons. L’image et le texte s’accordent. Nous sommes aux USA, le texte va donc normalement s’effacer très vite au profit de l’image qui prendra en charge le sens du film. Mais pour l’instant, le titre. Where the sidewalk ends : « Où le trottoir s’arrête » ou bien « Où le chemin s’arrête ». La caméra, elle, s’immobilise sur le titre et a délaissé le premier individu qui a poursuivi sa route. Une ombre apparaît. D’autres jambes prennent le relai. Universalisme confirmé : il ne s’agit pas d’un individu en particulier mais d’un groupe d’individus. Peu importe l’identité de celui que nous suivrons, il sera représentatif de ce qui anime le film, portraiturer une société.

Revenons au titre : nous savons ce qu’il y a au bout du trottoir. Nous descendons sur la chaussée et, entre l’espace déambulatoire pour les piétons et celui réservé aux véhicules de toute sorte, il y a cet espace particulier, cette zone tampon composée de deux éléments : une bordure et surtout un caniveau. Le caniveau est cet élément de la chaussée qui a pour fonction de collecter et de drainer les eaux de surface (pluie, nettoyage des rues, etc.) vers des grilles d'évacuation qui conduisent au réseau des eaux usées. Le caniveau est en ville ce qui permet à ce qui nous vient d’en haut (la pluie) d’entrer en contact avec ce qu’il y a en dessous de la surface, ce qui n’est jamais illuminé par l’astre solaire, l’inframonde.

D’autres jambes apparaissent, celles d'un autre homme : c’est donc bien la gente masculine qui nous intéresse dans Mark Dixon, détective. D’ailleurs, nous voyons bouger, en sens inverse du travelling initial, des jambes d'une femme que nous ne suivrons pas. Outre le fait d’annihiler tout sentiment érotique potentiel, cela ne laisse aucune place au spectateur pour arpenter les territoires du voyeurisme ou laisser planer un danger sur le féminin. Le film accepte son sujet : l’homme américain et ce qu’il vit ou ressent à cette époque.

Mark Dixon, détective assume donc son statut puisque le Film Noir est toujours une expérience individuelle ou un fait social. Dans tous les cas, c’est un voyage dans l’inconscient individuel et/ou collectif américain. De ce fait, le Film Noir peut être perçu comme une psychanalyse collective surgie de l’inconscient populaire américain.

Les jambes du nouvel entrant dans le cadre invitent la caméra à un nouveau mouvement. Il sera moins physique cette fois, plus cérébral. Il s’agit d’un panoramique vertical qui passe du trottoir au caniveau où des eaux s’écoulent sans que nous n’en voyions la collecte par le réseau souterrain. Le panoramique, ici, rejoint l’idée cosmogonique d’une prise de conscience de l’espace où nous nous trouvons. La caméra pivote sur un axe comme les yeux d’un individu lorsque celui-ci tient à estimer la nature de son environnement pour mesurer s’il peut envisager de se mouvoir sans danger à travers l’espace. Nous sommes, dans le cas de cette ouverture de Mark Dixon, détective, dans ce qui précède le mouvement. D’ailleurs, les jambes qui viennent d’entrer dans le cadre laissent imaginer que l’homme s’est arrêté pour voir s’il pouvait s’engager sur la chaussée.

Il s’élance, la caméra le suit. Donc, par un panoramique, vertical, nous passons du trottoir à l’espace situé encore plus bas, le caniveau. La caméra délaisse l’homme pour s’arrêter sur une grille qui laisse s'écouler les eaux usées. Le sifflement reste aussi présent. Il n’est donc pas indexé sur la nature physique des comédiens qui ont prêté leurs jambes au plan.

Splitscreen-review Image de Mark Dixon d'Otto Preminger

Soudainement, le sifflement s’estompe et se dilue dans un fondu enchaîné. L’image du caniveau se dissout dans un plan de rue. L’image de l’eau s’est également dissipée et son écoulement a été remplacé, visuellement, par un flux piétonnier et la présence de véhicules à moteur. La caméra est désormais à hauteur d’homme : plus de plongée. La rue, et ce qui y déambule, s’est substituée aux eaux usées. La rue collecte aussi des mouvements, elle draine des cheminements, des déplacements humains. Si ce qui était mouvement précédemment, les jambes qui nous conduisaient vers l’égout et l’eau qui s’y déversait, a été remplacé à l’écran par les automobiles et les piétons, il faut envisager un parallèle entre ce que l’égout réceptionne et ce qui fourmille en surface. C’est le procédé utilisé pour passer de l’un à l’autre qui nous y convie. Il s’agit, nous l'avons dit, d’un fondu enchaîné, une figure de la métamorphose qui se définit par un phénomène d’apparition et de disparition. Toute trajectoire humaine serait donc vouée à finir dans l’inframonde.

Nouveau fondu enchaîné. Nous voyons l’intérieur d’un véhicule dans lequel se propage une sonorité particulière : une radio branchée sur la fréquence de la police distille des informations liées aux actes policiers. Deux hommes sont de profil. Discordance entre l’intérieur du véhicule et l’extérieur par la transparence qui distingue les deux espaces.

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La transparence marque une différence, une inadaptation des individus à l’espace de la ville que l’on distingue en arrière-plan. Par principe, les gratte-ciels ont tendance à émerveiller et élever le regard et l’esprit qui peut y voir une incarnation de la réussite sociale et industrielle américaine. En quelque sorte, cela forme une incarnation du rêve américain. Mais cet univers de « l’opulence » et de la « success story » est à distance, justement. Loin, fort loin, nous suggère le jeu des comédiens, des préoccupations des deux hommes qui sont dans la voiture et qui n’échangent aucune parole. Ils semblent résignés à vivre leur vie dans ce monde comme on purge une condamnation.

Nombre de Films Noirs se sont construits autour de l’idée que l’Amérique n’est pas l’espace paradisiaque escompté. Certains films vont marquer, plus que d’autres, cette tendance et vont traduire, par le contenu et une esthétique particulière, cette question fondamentale. Nous reconnaissons les buildings au fond de l’image, nous sommes à New York, Midtown Manhattan. Nous passons devant un panneau qui indique les directions à suivre pour emprunter le Holland Tunnel ou le Lincoln Tunnel. Nous sommes dans une Amérique qui échappe à ses standards de représentation. L’image crée une distance entre le réel et l'idée que l'on se fait de l'Amérique. De fait, Mark Dixon, détective nous propose une vision de New York qui colle au principe de l’inaccessible. Rien n’est rutilant ici, bien au contraire, puisque ce qui brille est au loin et rendu distant par l’usage formel de la transparence.

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Après le nom du metteur en scène, nouveau fondu enchaîné. Plan fixe, une autre rue, des immeubles peu élevés, nous sommes devant le poste de police. 16 th Preccinct, Midtown donc. Pas loin a priori des théâtres et des quartiers animés de Manhattan et, pourtant, c’est un autre monde. On retrouve ici le même écart qui existe entre le caniveau, le trottoir et bien sûr le réseau souterrain d’eaux usées. Les détectives entrent dans le commissariat.

Le détective du film, Dixon, est un individu qui cristallise tous les tourments, tous les travers et tous les questionnements liés à l’humain qui peuple la société américaine de l’après-guerre. Cela pose les bases d’une problématique qui sera extrapolée dans Kiss me deadly (En quatrième vitesse) de Robert Aldrich. Le spectateur est contraint d’affronter ses propres démons. Autrement dit, Preminger, comme le fera plus tard Aldrich, fait de l’américain moyen l’origine et la cause des maux de son pays. Dana Andrews interprète Dixon. La caméra procède à d’incessants recadrages qui confinent le détective dans des univers toujours plus étroits. La mise en scène est au service d’une caractérisation de l’espace qui devient un paysage de l’âme. Le film est lancé, il vous reste 90 minutes de bonheur.

D’un point de vue technique, la copie est resplendissante et, pour ne rien gâcher, Wild Side a effectué sur Mark Dixon, détective un travail éditorial plus que pertinent puisque les compléments ne sont pas en reste.

Nous trouvons tout d’abord un module passionnant dans lequel Peter Bogdanovitch revient sur les axes de lecture fondamentaux du cinéma de Preminger et les moments clés de sa carrière. La dimension pédagogique du complément l’emporte et ravira les néophytes comme elle contentera les plus avertis.

Autre bonus, plus conséquent, un documentaire consacré à Gene Tierney qui réunit des témoignages divers dont quelques passages lus de l'autobiographie de l’actrice. Bien construit, l’aspect documentaire fait la part belle, sans rien taire, à la femme Gene Tierney qui fut aussi une comédienne remarquable. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder sa filmographie. Pas de doute, la classe.

On trouvera également un texte rédigé par Frédéric Albert Levy, l’un des fondateurs de Starfix, qui a le mérite d’analyser quelques éléments de production qui permettent de retracer ce que fut la genèse du film. Essentialiste, rigoureux et méticuleux : du bel ouvrage.

Crédit photographique : Copyright Tous droits réservés 20th Century Studios

COMPLÉMENTS
- Otto Preminger, cinéaste par Peter Bogdanovich (30’)
- Gene Tierney, une star oubliée (52’)
+ Livret exclusif de 60 pages écrit par Frédéric Albert Lévy illustré de photos d’archives.

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