Splitscreen-review Image de La douleur d'Emmanuel Finkiel

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La douleur - TF1 Studio

Publié par - 28 mai 2018

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

On a beaucoup écrit sur La douleur, le film d’Emmanuel Finkiel, sorti en début d’année. Il faut dire que son auteur présente certaines singularités stylistiques qui lui ont toujours permis, depuis ses débuts, d’éveiller la curiosité de la critique, de susciter de l’enthousiasme (Voyages) et surtout de déclencher la reconnaissance d’un savoir-faire qui ne s’est jamais démenti. La douleur est, d’une certaine manière, le prolongement logique des qualités de mise en scène relevées au fil de ses travaux et qui avaient trouvé un premier accomplissement dans Voyages. La douleur est une œuvre qui se situe dans un principe fictionnel pur tout en empruntant au documentaire du fait de la nature du récit et des personnages principaux qui l'habitent. Car tous, sans exception, appartiennent à une histoire collective.

Pour la sortie en DVD ou Blu-ray du film, sans doute est-il cohérent de rappeler quelques qualités notées lors de sa sortie en salle. La douleur se situe en 1944 à Paris, sous occupation allemande. L’écrivain Robert Antelme, résistant, a été déporté. Sa jeune épouse, Marguerite Duras, vit dans l'incertitude et l'inquiétude alors qu'elle entretient une relation secrète avec Dyonis, un compagnon d'armes. Pour combattre l'insoutenable attente, Marguerite va entamer une autre relation avec Rabier, agent français travaillant pour la Gestapo, afin de savoir ce qu'il est advenu de son mari. L’une des vertus principales de La douleur réside dans sa propension à matérialiser, par l’intermédiaire d’un travail conséquent sur l’image, le cheminement d’une pensée parasitée, dans son évolution, par des sentiments extrêmes. Les doutes, les peurs, la culpabilité voire même les certitudes de Marguerite (Duras) balisent et architecturent le récit.

Splitscreen-review Image de La douleur d'Emmanuel Finkiel

La douleur s’affirme comme la possibilité d’extérioriser une intériorité qui se déploie à partir de mots rédigés dans un journal intime et formulés par et pour le personnage de Marguerite. L’écueil aurait été de faire de l'image une simple illustration du verbe et de n'octroyer à celle-ci qu’un rôle décoratif. Il n’en est rien, bien sûr. Finkiel a choisi de traduire une réflexion formulée à partir du verbe dans une forme qui fait appel aux singularités de l’image filmique. L’idée la plus cohérente, en terme de technicité de mise en scène, s’invite dans la conception d’une cinétique indexée autant sur les mouvements ou déplacements physiques de Marguerite que sur la parole de cette dernière (voix off ou in).

Une autre qualité de La douleur, qui découle d’ailleurs de ce parti pris de mise en scène, consiste à traduire cette pensée dans une toile de fond qui retranscrit les incidences de l’histoire collective sur l’histoire individuelle. Ainsi, le plus souvent, Finkiel, comme à son habitude, opte pour l’utilisation de longues focales qui permettent un jeu sur la profondeur de champ. Nets et flous participent d’une tentative d’extraction de soi au monde. Mais l’espace commun, s’il s’estompe, ne disparaît jamais. Les sentiments de Marguerite sont sans cesse bouleversés par l’intrusion brutale de l’histoire collective dans sa vie privée. Ainsi, l’espace publique a beau être flou, le plus souvent, il ne se limite pas à son rôle de décor. Il est la présence d’une force qui régit la destinée des personnages et de Marguerite en particulier. Cela souligne d’autant plus l’importance de l’imaginaire qui demeure un espace de liberté, le dernier sans doute en ces temps funestes. Dans les moments de doutes profonds, le personnage de Marguerite se dédouble littéralement sur l’écran (il est également question de liberté de mise en scène ici) de manière à stigmatiser cette douleur née de la blessure occasionnée par ce qui distingue l'affect de l'intellect.

Splitscreen-review Image de La douleur d'Emmanuel Finkiel

Le flou n’est pas qu'un simple agent de la dissociation du personnage de Marguerite à l’univers dans lequel il évolue. Le flou accentue la présence vampirisante de situations qui ordonnent la pensée de la jeune femme. Son esprit est ainsi contraint par des forces qui la dépassent et qui, malgré tout, entraînent en elle l'éclosion de sentiments d’une intensité insoupçonnée. Le flou n’est donc pas qu’un effet de style. Il affiche certaines parentés avec le principe également mis en place dans le très beau film de Laszlo Nemes Le fils de Saul. C'est-à-dire qu'il est ici question d’assujettir le regard du spectateur aux modulations et interactions entre psychisme et physique. Ajoutons que le procédé permet au cinéaste de se préserver de l’écueil de la reconstitution pour se concentrer sur la représentation de la pensée de Duras.

Car La douleur pose aussi la question de l’irreprésentable. Finkiel ira jusqu’au bout de cette idée : nous ne verrons pas nettement à l'écran Robert Antelme, l'époux de Duras à l'époque. L’absence de réponse et de solution aux problèmes de Marguerite Duras trouvera ainsi un écho dans l’absence physique de Robert Antelme qui hante tout le film. Finkiel n’en est pas à un coup d’essai avec pareil procédé : dans Voyages, déjà, il sollicitait l’esprit et l’imaginaire du spectateur invité à combler les vides laissés par les images « manquantes », c'est-à-dire les images que le film ne nous montrait pas. C'est donc pour notre plus grand plaisir que l'expérience se reproduit dans La douleur, œuvre capitale s'il en est.

Splitscreen-review Image de La douleur d'Emmanuel Finkiel

La copie proposée sur le Blu-ray est sans faille et permet justement d'apprécier pleinement le travail intentionnel décrit plus haut.

Côté compléments, nous trouvons tout d'abord un commentaire audio du cinéaste.

Ensuite, il y a un module absolument passionnant qui s'intitule : De Mélanie à Marguerite (17 min). Il s'agit d'échanges et d'essais effectués par Emmanuel Finkiel et Mélanie Thierry. L'interaction entre l'auteur et son interprète permet d'observer comment, au fil des répétitions, le personnage de Marguerite se modélise. Finkiel effectue un véritable travail de sculpteur. Par ajouts ou soustractions, le personnage de Marguerite se construit. Se compose alors sous nos yeux une sorte de musicalité du geste en totale adéquation avec les singularités du texte.

Des scènes coupées viennent ensuite s'ajouter au plaisir immersif du spectateur.

Outre la bande annonce cinéma du film, nous trouvons aussi un fort intéressant bonus qui s'intitule À propos de l'image et du son. Il s'agit d'une réunion où Finkiel et ses chefs de postes techniques reviennent, lors d'une discussion informelle, sur les méthodes de travail mises en place sur le tournage de La douleur. Parfait supplément qui explicite comment établir une convergence entre intentions et réalisation de manière à créer une œuvre fidèle à ce qu'imagine son créateur. À montrer dans toutes les écoles de cinéma.

Splitscreen-review Image de La douleur d'Emmanuel Finkiel

Crédit photographique : Copyright Les Films du Losange

 

 

Suppléments :
Commentaire audio du réalisateur
De Mélanie à Marguerite (17 minutes) composé de deux parties : Premiers essais (11 minutes) et Des costumes, mais pas de maquillage (6 minutes)
À propos de l’image et du son (18 minutes)
Bande annonce (2 minutes)
Scènes coupées (8 minutes)

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