Splitscreen-review Image de Une année polaire de Samuel Collardey

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Une année polaire

Publié par - 4 juin 2018

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Depuis son premier long métrage, L'apprenti, Samuel Collardey entreprend un cinéma qui pose la question de l’épanouissement et de la place de l’individu dans un collectif aux contours mouvants. Pour que ces enjeux à connotations sociologiques puissent se mesurer par le spectateur, Collardey se propose d’inviter le public dans le processus de réalisation filmique en interrogeant la posture même de spectateur : que voyons-nous ? De quelle réalité nous parle le film ? Ces images sont-elles vraiment des empreintes du réel ? Ou bien le film répond-il aux exigences de la fiction ? Une année polaire se situe, une nouvelle fois, au croisement de toutes ces questions et réflexions qui, finalement, interrogent aussi le cinéma sur sa nature.

Anders aurait pu reprendre l'exploitation agricole familiale. Mais il aspire à d'autres fonctions. Il vient d'être nommé instituteur et choisit pour premier poste de partir enseigner au Groenland, à Tiniteqilaaq, un hameau inuit de 80 habitants. Dans ce village isolé du reste du monde, la vie est rude, plus rude que ce qu’Anders imaginait. Pour s’intégrer, loin des repères de son Danemark natal, il va devoir apprendre à connaître cette communauté et ses coutumes.

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La première qualité d'Une année polaire réside dans l'improbabilité d'en définir les frontières théoriques. Le film ne cesse de traverser des frontières syntaxiques pour inventer de nouvelles textures : fiction documentée ou documentaire fictionnel ? Sans doute un peu des deux. Cette interpolation des formes n’est pas sans rappeler les travaux de Cooper et Schoedsack (Chang) ou, bien sûr, en raison des origines des personnages et des lieux filmés, Nanouk de Flaherty. Mais au-delà du discours sur la forme, Une année polaire est aussi et avant tout un récit d’initiation qui prend corps dans la réciprocité des apprentissages : Anders s’acclimate aux us et coutumes locaux tandis que la communauté de Tinit devra accepter « l’intrus ». Pas si simple. D’abord parce que les conditions sont rudes et puis parce que ce qui importe aux yeux des uns n’a rien en commun avec la mission qui est confiée à l’autre.

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Il faudra du temps, des efforts, de la patience et une illumination. La scène est d'ailleurs très belle. Non pas pour des raisons techniques mais pour sa simplicité apparente. Anders, contraint par la logistique défaillante de sa maison, adoptera une attitude qui, pour la première fois, sera en adéquation avec les attentes locales. Chez lui, privé de chauffage le soir du jour de l’an, Anders regarde, calfeutré sous des couvertures, la télévision. La reine du Danemark y prononce un discours, sans doute traditionnel, dans lequel elle adresse ses vœux à la nation et au peuple groenlandais. Le décalage entre le propos et le quotidien de la communauté est conséquent, c’est un gouffre. Cut. Le plan suivant nous montre Anders qui a rejoint les villageois réunis en extérieur pour contempler quelques lancements de projectiles pyrotechniques modestes. L’instant devient festif. Une habitante s’approche d’Anders et lui donne une accolade fraternelle. Contact établi.

Sans effet, sans rien y paraître, en utilisant les simples possibilités métaphoriques du montage, le film a dessiné ce moment si important où l’homme est capable de compréhension et de considération de l’autre. Anders a fait un choix. Le discours lui est apparu comme une figuration de sa présence dans le village : il est aussi inapproprié que sa mission « éducative ». Car cette dernière consiste à réduire l’autre à son image. Prétention aussi stupide qu’improbable. Au nom de quoi d’ailleurs ? Le choix effectué à cet instant par Anders est le seul qu’il pouvait faire. Le seul choix cohérent, pertinent et logique qui s’imposait : pour transmettre quelque chose à quelqu’un, il faut le connaître et répondre aux besoins de ce quelqu’un. Cela passe donc par l’acceptation d’une vérité culturelle qui ne répond qu’aux réalités du lieu et du peuple qui l’habite. Il en sera donc ainsi, Anders se pliera aux habitudes locales.

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Le film ravive alors un débat qui, aujourd’hui, hélas, ne semble plus concerner grand monde. Un débat qui s’articule autour du vrai et des liens que cette notion entretient avec la représentation d'une réalité. Plus cette dernière sera crédible, plus le propos mis en images nous paraîtra conforme à l'idée que nous avons de la justesse d'une situation. L’art cinématographique a la faculté de transformer la réalité pour servir un imaginaire purement fictionnel mais plausible. Collardey le sait. La fiction est donc un processus d’éloignement du phénomène de reportage ou d’une folklorique quête d’authenticité. Le champ fictionnel ouvre sur un espace de liberté où chaque individu (auteur, acteur et spectateur) peut, s’il le désire, enquêter sur une vérité, la sienne. C’est-à-dire que la fiction nous donne la permission, à partir de questionnements profonds sur la nature de ce que nous sommes invités à habiter, d’investir un espace d’expression pour en ressortir différent. Car Une année polaire brouille les pistes : combien de comédiens amateurs ? Les situations sont-elles reconstituées ou sont-elles le fruit d’un travail documentaire ? Les morts le sont-ils vraiment ou leur disparition n’est qu’un ressort dramaturgique ? Nous ne sommes pas si éloignés que cela du travail de Kiarostami dans Le vent nous emportera. C'est-à-dire que le cinéma de Samuel Collardey est habité par la certitude que ce qui relève de la fiction commande à l'apparition et l'expression du vrai.

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Comment quantifier et estimer l'incidence d’une équipe de tournage, et de la technicité qui l’accompagne, sur le comportement des villageois ? Comment les réactions à cette nouveauté modifient ou impactent la forme filmique ? Dans Une année polaire, Collardey fait le choix de nous plonger dans une tangibilité singulière et instaure une distance entre le spectateur et cette réalité par l'acceptation de la présence de la machinerie et de la mise en scène. C'est justement dans cette interrogation sur la forme filmique que s'immisce une émotion dans le rapport entre les images et le spectateur.

Ultime question : quelle est donc la valeur du document que représente Une année polaire ? Bien difficile de pouvoir être catégorique. Une année polaire est une réinterprétation d’événements décrits pour les besoins du film qui tous, sans exception, ont pour finalité de retranscrire la nature ontologique de faits qui sont assujettis aux sentiments humains. Ainsi, nous connaissons la valeur intrinsèque du film. Elle est d'importance car ce n’est pas moindre des talents que de parvenir à nous permettre d'explorer une vérité par usage de l’artifice. Là, Collardey touche à l’universel et à l'essentiel.

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Crédit photographique : Copyright AdVitam

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