We blew it - Potemkine
Publié par Stéphane Charrière - 5 juin 2018
Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres
Après s'être déjà essayé à la réalisation de documentaires (Dario Argento notamment), Jean-Baptiste Thoret, critique et historien de cinéma, se lance dans l’entreprise périlleuse qui consiste à composer par le biais de l’image filmique un essai sur ce qui a pu nourrir une pensée, la sienne, au fil du temps. Disons-le tout de suite pour lever toute ambiguité, We blew it est avant tout un film et non une illustration. C'est-à-dire une œuvre relevant d'une démarche intentionnelle précise. D’abord se rappeler que Jean-Baptiste Thoret s’est imposé dans le paysage critique ou dans le domaine de la réflexion sur l’esthétique du film par l'auscultation d’une période singulière de l’histoire du cinéma, américain en particulier, celle des années 1960/70.
Il est vrai que la période est fascinante puisqu’elle est archétypique des rapports qui se tissent entre une forme artistique, le cinéma, et les conditions d’existence et d’émergence des œuvres qui s'inscrivent dans cette forme (le contexte social, politique et économique qui les voit naître).
En ces années 60/70, le monde change. Cette époque est le point de rencontre et de convergence d'une mutation artistique et d'une transformation civilisationnelle. D'un point de vue purement cinématographique, on assiste alors à une crise des genres filmiques dont l’origine se trouve dans la vie publique. Les grands maîtres hollywoodiens sont vieillissants et la société américaine voit disparaître, en même temps qu’eux, les mythes et utopies que le cinéma déclinait depuis toujours. De Marilyn Monroe aux frères Kennedy, de Malcolm X à Martin Luther King, de l'apparition dans le paysage social du serial killer (figure de l’autodestruction s’il en est) aux faits-divers sanglants (Manson family) en passant par la guerre du Vietnam ou les scandales politiques, l’Amérique ose enfin exposer le résultat d’une métamorphose initiée en profondeur dès ses origines. Le cinéma, fidèle miroir des réalités plus ou moins enfouies, mute avec la civilisation dont il est l’écho. Le cinéma, à cette époque, regarde le passé américain avec nostalgie et atteste de l’agonie des utopies. We blew it se propose de revisiter, d’une certaine manière, une histoire de l’Amérique qui est aussi celle de sa production cinématographique. Le film est donc un voyage. Mais, contrairement à ce que nous pourrions penser, We blew it est un faux road-movie. C’est-à-dire que les « bienfaits » du trajet ne se mesurent pas dans ses conditions déambulatoires mais dans les étapes qui le structurent. En cela, nous sommes plus proches de Ford façon The searchers que de Two lane black top.
Le voyage qui nous est proposé se rapproche également d’une démarche eastwoodienne qui consiste à revisiter les classiques (peu importe lesquels puisque Peckinpah et autres Altman sont aujourd’hui devenus des classiques) de manière à comprendre ce qui n’a pas fonctionné, ce qui, déjà, augurait des réalités contemporaines (de Reagan à Trump, il n’y a qu’un pas qui se mesure en années civiles et les promesses électorales du candidat Trump assuraient aux Américains de retrouver, justement, le lustre d’antan). Mais la comparaison s'arrête là puisque les intentions de Jean-Baptiste Thoret diffèrent, dans leur finalité, du cinéma d'Eastwood. Parce que Jean-Baptiste Thoret n’est pas Américain, si ce n’est de cœur sans doute, son travail sera plus elliptique. Il nous propose d’observer ce que ce point d’articulation historique et cinéphilique a légué au présent. Autrement dit, We blew it nous soumet une question : que s’est-t-il passé entre Kennedy et Trump que nous n'aurions pas compris ?
We blew it pourrait n’être par ailleurs qu’un film de cinéphile. Or, il n’en est rien. C’est d’ailleurs là, en ce point bien précis, que se matérialisent toutes les qualités du film. Car, sans rien dissimuler de sa cinéphilie ou des films majeurs du Nouvel Hollywood, il est inutile, pour apprécier le film de Jean-Baptiste Thoret, de connaître les œuvres de Cimino, Peckinpah, Pakula, Sarafian, Altman, Hopper, Schatzberg ou Burnett pour ne citer que quelques cinéastes qui hantent We blew it. On l’a dit, mais répétons-le, We blew it n’est pas un catalogue ou le répertoire hagiographique d’une période de l’histoire du cinéma.
La raison en est simple. C’est que la citation, chez Jean-Baptiste Thoret, n’est pas affaire de clin d’œil qui satisferait la partie tribale de ses spectateurs (pardon par avance au cinéphile qui accueillera cette dénomination comme une injure). Une musique, des cadrages, des sonorités, des dialogues, des lieux, des espaces, des lumières interpellent et nourrissent le propos de We blew it bien au-delà des simples évocations filmiques car Thoret utilise remarquablement les permissions narratives et métaphoriques inhérentes au langage filmique.
We blew it peut s’envisager alors comme un volume en images (celui consacré au cinéma américain des années 60/70) d’une encyclopédie du cinéma que nous ne parcourrons pas dans sa vastitude. Il y a certes des citations directes mais il faut voir dans le film avant tout une immersion dans un débat instauré au-delà du temporel entre l’Amérique des années 60/70 et l’Amérique d’aujourd’hui. L’argumentaire qui nourrit ce débat se déploie dans des univers, des ambiances ou des atmosphères propices à la relecture de films qui étaient aussi l’expression d’une vision du monde et de l’Amérique.
Donc, l’usage de la citation n’a cours que lorsque celle-ci résume un point précis de la pensée que We blew it met en œuvre.
Autre crédit que nous pouvons faire au film : We blew it n’est en rien une illustration ou une répétition des écrits de Jean-Baptiste Thoret. Au contraire. Le film s’inscrit dans l’idée du prolongement. Car We blew it se structure sur le principe d'un débat entre Thoret et les metteurs en scène qui, à travers leurs œuvres, lui ont permis de structurer ses réflexions sur l’Amérique et le Nouvel Hollywood. Le projet We blew it est ambitieux. Le film ne semble rien ponctuer. We blew it serait plutôt une succession de points de suspension qui laissent envisager que la réflexion ne demandera qu'à se poursuivre tant ces années 60/70 cristallisent l'essence même de l'Amérique contemporaine.
Techniquement, la copie proposée par Potemkine est irréprochable.
Les suppléments proposent l’intégralité de quelques entretiens accordés à Jean-Baptiste Thoret par Michael Mann, Bob Rafelson ou encore Stéphanie Rothman pour les besoins du film. Dans We blew it, Jean-Baptiste Thoret n’a conservé de ces discussions qui ce qui servait ses intentions de cinéaste. Or, l’objet DVD permet justement, en cas de propos estimés passionnants mais parfois hors sujet, de les intégrer pour en faire bénéficier les spectateurs. Excellente et délectable idée donc.
Autre complément qui participe de la richesse de l’édition, un entretien avec Philippe Rouyer où érudition rime avec transmission et passion. Le film s’ouvre, au fil des échanges, sur de nouveaux horizons réflexifs qui propulsent We blew it dans une dimension qui permet au film d'être apprécié pour ce qu'il est réellement. On notera également comment intentions et réalisation convergent en certains points ou certains choix de mise en scène. Remarquable.
On trouvera également un essai « poétique » de François Angelier.
Vous l’aurez donc compris, tout concourt, des compléments au film lui-même, à faire de cette édition de We blew it édité par Potemkine un objet incontournable pour accéder à quelques vérités sur les réalités nord-américaines.
Crédit photographique : Copyright Lost Films
Suppléments :
- Entretien avec Bob Rafelson version longue
- Entretien avec Michaël Mann version longue
- Entretien avec Stéphanie Rothman version longue
- Memory road : WBI ou Requiem pour une Amérique défunte
- Entretien avec Philippe Rouyer
- Commentaire audio de Jean-Baptiste Thoret (lien lançant le film avec la piste son du commentaire audio activé)
Et un livret de 100 pages avec de nombreux textes et articles autour du film.