Splitscreen-review Image de Cinq et la peau de Pierre Rissient

Accueil > Cinéma > Cinq et la peau - Carlotta Films

Cinq et la peau - Carlotta Films

Publié par - 11 juin 2018

Catégorie(s): Cinéma, Critiques, Sorties DVD/BR/Livres

Cinq et la peau est le second long-métrage de Pierre Rissient, cinéphile célèbre, attaché de presse de renom en son temps, découvreur, sans pareil, de talents cinématographiques et, pour ceux qui ne le savaient pas encore, cinéaste. Pour accéder à la profondeur de Cinq et la peau, il est bon de connaître et comprendre l’homme qu’était Rissient (disparu le 6 mai 2018). Là se situe la première qualité notable de l’édition prestige concoctée par Carlotta Films : compiler les documents (du film lui-même aux bonus) qui, par addition, vont composer le portrait de l’homme et de l’intellectuel qu’était Pierre Rissient.

Ce qui est particulièrement saisissant ici, c’est que ce principe d’adjonction des savoirs se rapproche de la construction même du film. C’est-à-dire qu’un individu, quel qu’il soit, Rissient ou un spectateur lambda de son film, existe pour ce qu’il fait, ce qu’il pense et ce qu’il ressent. C’est ce même principe qui gouverne le personnage que Cinq et la peau dessine et c’est ce même principe qui gouverne le travail éditorial mené par Carlotta Films pour dresser le portrait de Rissient.

Cinq et la peau est avant tout une errance des âmes et des corps. C’est l’histoire d’Ivan, Français qui revient à Manille et qui trimballe sa carcasse au gré d’une déambulation qui n’appartient à aucune logique apparente si ce n’est qu'elle est habitée par l'envie de comprendre son passé et de trouver enfin un sens à son existence.

Splitscreen-review Image de Cinq et la peau de Pierre Rissient

Cinq et la peau est une déambulation polyphonique où sonorités, musiques et images dialoguent et invitent diverses concordances ou discordances dans la mise en scène du film. Ce phénomène participe également d’une dialectique qui, par les débats qu’elle convoque, est le moteur même de la réalisation et, sans doute, de la pensée de Rissient.

Film de cinéphile, Cinq et la peau est aussi un questionnement sur le cinéma et le rôle de la cinéphilie dans la trajectoire et l’existence plus ou moins pérenne de l'art cinématographique. Ainsi, Rissient convoque dans son film quelques pensées de cinéma : Stroheim, Lang, Walsh, Oshima ou encore Brocka pour les inclure dans une temporalité filmique où passé et présent participent d’une interrogation sur la fonction et l’importance de l'image filmique dans nos sociétés contemporaines. Même si aujourd’hui de nouveaux acteurs se sont invités dans le paysage de l’image en général (Internet, jeu vidéo, VOD, chaînes à péage, etc.) la complexité évidente du débat proposé par Rissient n’a rien de caduque, au contraire. Il reste indispensable, on pourrait même aller jusqu’à y voir une nécessité encore plus grande qu’autrefois, n’en déplaise à beaucoup, de savoir d’où viennent les œuvres et leurs auteurs. Rien n’est dû au hasard et tout acte créatif est, lui aussi, le fruit d’un processus d’assimilation de différents éléments qui vont constituer un collectif ou une structure identitaire personnelle dont le film se fera l'écho.

Splitscreen-review Image de Cinq et la peau de Pierre Rissient

Nous sommes tous, qu’on le veuille ou non, dépositaires d’un héritage, le prolongement citationnel ou le réceptacle d’une histoire qui nous préexiste. Aussi, le rapport que nous entretenons avec les réalités qui nous entourent s’inscrit inévitablement dans une filiation intellectuelle ou culturelle qu’il nous revient de parcourir pour la maintenir vivace. Ce phénomène établit une réciprocité dans l’échange instauré entre le spectateur et le film qui est diffusé sur l’écran. Rissient l’avait bien compris et Ivan, le personnage auquel s’identifie le spectateur, accueille tous les questionnements existentialistes possibles. Notamment sur ce qui nous relie ou non au monde, au temps et à ce qui nous fut transmis. Reste à savoir, et c’est ce qui détermine l’être en tant que tel, ce que nous projetons de faire de ce patrimoine et comment nous sommes capables de l’injecter dans notre vie et, ici, dans notre lecture du film.

Cette édition prestige de Cinq et la peau met également en évidence la métamorphose d’un individu (Pierre Rissient) aux prédispositions certaines (curiosité, intelligence, culture, etc.) en amateur (cinéphile à l’œil aiguisé) puis en artiste (le cinéaste qui à travers son œuvre synthétise tout ceci). Le film est la réminiscence d’une éducation des sens et de ses répercussions sur un comportement artistique au sens large du terme. Le film agit, et les suppléments de l’édition confirment le principe, comme la traduction d’une initiation, celle de Pierre Rissient, bien sûr, mais aussi celle d’une certaine cinéphilie dont Cinq et la peau dresse le portrait.

Splitscreen-review Image de Cinq et la peau de Pierre Rissient

Le témoignage dont Cinq et la peau se fait le chantre est une sorte d’exhortation faite au spectateur. Pas n’importe laquelle, celle qui consisterait à accepter de se perdre (pour mieux se trouver), à accepter d’être approximatif dans ses jugements, à ne pas tout saisir, à ne pas tout savoir, à ne pas tout comprendre. Il faut réellement s’abandonner au film, faire abstraction de ses croyances, de ses certitudes, baisser la garde pour que le plaisir de la découverte nous saisisse au détour d’un plan, d’une phrase, d’un son, d’une image et finisse par l’emporter sur nos craintes premières. Autrement dit, le pouvoir attractif de Cinq et la peau  résulte de l'observation d'une forme filmique et pourrait se résumer par l’idée d’avoir accepté le surgissement de l’inconnu (la forme en question) dans notre existence.

Cinq et la peau est un constat. Celui qui se matérialise dans l’idée que l’individu est, très souvent, dans l’incapacité de considérer les limites de son savoir et de ses aptitudes réflexives. C’est dans ce phénomène que naissent les intentions profondes du film et la production, pour qui voudra se prêter à l’expérience, d’une satisfaction nouvelle : éprouver des sensations enfouies au plus profond de chacun qui réapparaitront pour faire du plaisir de la découverte l’apport essentiel d’une œuvre à son spectateur.

Splitscreen-review Image de Cinq et la peau de Pierre Rissient

Côté technique, la copie est irréprochable, ce qui ajoute au plaisir du visionnage.

Pour ce qui est des suppléments, les plus intéressants sont présents sur l'édition prestige et sont parfaitement complémentaires. Homme de cinéma : Pierre Rissient, réalisé par Todd McCarthy (journaliste, critique de cinéma et réalisateur) permet, grâce à de nombreux témoignages, de mesurer l’importance et l'influence de Pierre Rissient sur la sphère cinématographique. Lorsqu'on observe quels cinéastes il nous a permis de découvrir (de Tarantino à Campion en passant par Lino Brocka sans parler de la reconnaissance d'Eastwood et j'en oublie), on ne peut que se poser une question : puisque Pierre Rissient est mort, qui va se charger de nous faire découvrir les cinéastes majeurs de demain ?

Autre complément de qualité, Gentleman Rissient, réalisé par Benoît Jacquot, Pascal Mérigeau et Guy Seligmann, tente de cerner comment s'est construit le regard cinéphilique de Rissient. Plus axé sur le rapport qu'entretenait Rissient avec le cinéma et les films, ce module a le mérite d'inscrire Rissient dans un flux d'images qui permet de cerner comment sa pensée et son regard se sont développés et, surtout, comment encore juste avant sa disparition, ses avis, ses goûts et ses opinions avaient de l'importance pour tous ceux qui, de près ou de loin, œuvrent à la création filmique. Remarquable.

Splitscreen-review Image de Cinq et la peau de Pierre Rissient

Crédit photo : © 1981 LES FILMS DE L’ALMA / G.P.F.I / BANCOM AUDIOVISION CORPORATION. Tous droits réservés.

L'édition prestige limitée comprend :
// LE FILM (NOUVELLE RESTAURATION 4K)
DISPONIBLE POUR LA 1RE FOIS EN FRANCE
// LES SUPPLÉMENTS
. "CINQ ET LA PEAU" PAR PIERRE RISSIENT ET NICOLAS PARISER (27 mn)
. "HOMME DE CINÉMA : PIERRE RISSIENT"** // INÉDIT EN VIDÉO // un film de Todd McCarthy (2007 – Couleurs – 111 mn)
. "GENTLEMAN RISSIENT"** // INÉDIT EN VIDÉO // un film de Benoît Jacquot, Pascal Mérigeau et Guy Seligmann (2015 – Couleurs – 80 mn)
. BANDE-ANNONCE ORIGINALE
// DE NOMBREUX MEMORABILIA INÉDITS
FAC-SIMILÉ DE "L’AVANT-SCÈNE CINÉMA" (N° 654 ; JUIN 2018).
FAC-SIMILÉ DU DOSSIER DÉDIÉ AU FILM ET PARU DANS "POSITIF" (N° 254/255 ; MAI 1982).
FAC-SIMILÉS DE COURRIERS DE PIERRE RISSIENT ET DE BERTRAND TAVERNIER
. 5 CARTES POSTALES • AFFICHE
*en HD sur la version Blu-ray Disc™
**uniquement sur la version Blu-ray Disc™

Partager