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Have a Nice Day

Publié par - 25 juin 2018

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Présenté au 67e Festival de Berlin, Have a Nice Day est un film d’animation chinois réalisé par Jian Liu. Le film se déroule dans une petite ville rurale du sud de la Chine dans laquelle Xiao Zhang dérobe à son patron, chef notoire de la mafia locale, un sac rempli de billets de banque.
L’intrigue reste globalement simple. Elle se résume d’une part aux péripéties de Xiao Zhang qui tente de fuir avec l’argent pour payer un acte chirurgical à la femme qu’il aime et, d’autre part, à une poursuite engagée par d’autres personnages désireux de s’emparer du sac : mafieux, petites frappes, tueurs à gage...

La particularité de Have a Nice Day se situe dans le déploiement de deux problématiques complémentaires : l’une est formelle, son usage singulier du langage filmique et l’autre est narrative puisque se développe dans le film un inévitable regard critique sur la société contemporaine chinoise.
Beaucoup ont déjà fait le lien entre Have a Nice Day et les films de Tarantino, plus particulièrement Pulp Fiction. Une comparaison qui peut paraître un peu hâtive mais qui trouve probablement sa source dans la superposition de genres tels que le film de gangster et la comédie noire. En effet, il y a d’abord cet univers de la Triade habité par une violence très froide : règlement de comptes à l’arme blanche, confrontations de petites frappes à des « professionnels » et une tension générale qui annonce une puissante catharsis.

Cette tension est alors palliée par des petites parenthèses humoristiques. La singularité de l'humour de Have a Nice Day est, probablement, qu’il ne réside pas dans des dialogues très colorés mais plus dans un comique de situation. On notera par exemple le boucher/tueur à gage de la Triade qui écoute un discours de Trump à la radio sans sourciller, l’arsenal technologique de l’une des petites frappes qui vole le sac, tenancier d’une petite échoppe sans grande valeur, doté de lunettes à rayons-X qu'il utilise parfois pour de grivois desseins. On ajoutera aussi, dans la comparaison à Tarantino, l’usage d’une narration « éclatée » et indexée sur la multiplicité des différents espaces où les personnages se trouvent. Comme dit plus haut, une narration fragmentée par un même objet (le sac) avec une même finalité.

Néanmoins, si Have a Nice Day s’en était tenu à ce traitement de l’histoire, on peut se demander s’il aurait été censuré par le gouvernement chinois. Car sous ses airs de comédie noire, le film porte un regard peu flatteur sur la Chine contemporaine. À cet égard, on pense à ces longs plans sur l’environnement dans lequel les personnages vivent. Au contraire de films de Triade hongkongais qui se déroulent dans un environnement urbain qui témoigne de l’occidentalisation de la Chine, Have a Nice Day nous présente les faubourgs d’une ville en déperdition.

Ces plans, presque contemplatifs, nous révèlent toutes ces constructions modernes proches de la ruine qui constituent de véritables antithèses aux affiches publicitaires placardées sur tous les murs et qui sont les promesses d’un rêve qui ne se réalisera pas. Cette dichotomie souligne à la fois la chute progressive de l’idéal maoïste mais aussi l’entrée progressive d’un modèle économique à l’occidental dans la société chinoise : tous vivent dans des quartiers délabrés, mais tous ont des téléphones portables et des outils technologiques dernière génération. On notera par exemple le cyber-café dans lequel Xiao se rend plusieurs fois. Il est pourvu de toutes les ressources virtuelles nécessaires mais sans le décorum propre à l’occident.

La fin du rêve communiste est aussi présente dans nombre de références à la spiritualité et notamment à la chrétienté. Cela apparaît d’abord, de manière métonymique, par la présence de croix enchaînées au cou de quelques personnages ou d’une église qui siège au milieu d’autres bâtiments. On peut supposer que ces références ne sont pas là dans un but prosélyte. Elles ont pour vocation de représenter une forme d’opposition à un régime politique qui verse dans le culte de la personnalité.
On notera, à ce sujet, la discussion entre deux personnages, extérieurs à l’intrigue principale, dans laquelle l’un se demande qui de Dieu ou de Bouddha est le meilleur. Ce à quoi l’autre répond que tous se valent mais que l’essentiel réside dans les trois niveaux de liberté : la liberté d’acheter au marché local, la liberté d’acheter au supermarché et la liberté d’acheter sur internet. Une vision assurément éloignée de celles du Grand Timonier, de Buddha ou de Jésus Christ.
Have a Nice Day est un film qui suit deux axes de lecture. Il est à la fois une comédie noire aux relents tarantinesques mais il est aussi le miroir de l’occidentalisation d’une Chine autrefois communiste philosophiquement, toujours communiste dans sa structure étatique mais libérale dans son fonctionnement. Marx est réconcilié avec le capital : la seule présence de Mao Zedong dans le film se manifeste par son image présente sur les billets de banque.

Crédit image : Copyright Grandfilm

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