À la suite d'une fusillade dans la Zone Commune de Sécurité (Joint Security Area/JSA) séparant les deux Corée, deux soldats de l’armée nord-coréenne sont retrouvés morts. Cette affaire donne lieu à un incident diplomatique majeur entre les deux pays. Une jeune enquêtrice suisse est chargée de mener les auditions des soldats qui étaient en poste au moment de l’incident. Que s’est-il vraiment passé ce soir-là dans cette zone de non-droit ?Trois ans avant Old Boy, premier grand succès international qui fit de son réalisateur un des fers de lance du nouveau cinéma coréen, Park Chan-wook tourne JSA d’après le roman de Park Sang-yeon. Sorti en 2010 en Corée, le film est resté jusqu’alors inédit en France et nous pouvons enfin le découvrir aujourd’hui dans une sublime version restaurée 4K.
Est-ce un hasard si JSA ressort maintenant ? Si le sujet est toujours sensible entre les deux Corée depuis la signature de l’armistice en 1953, il est particulièrement d’actualité au moment (historique) où un président américain, pas réellement porté par des attitudes réfléchies ou inspirées, empoigne un dictateur asiatique et font semblant de se faire confiance devant les télés du monde entier. Hasard ou volonté de faire intervenir le cinéma dans la réalité géopolitique contemporaine ? JSA tombe à merveille pour injecter de l’humanisme dans une situation conflictuelle qui paraît toujours sans issue. Car le film recentre le conflit sur ce qui est essentiel, le rapprochement des peuples via les rapports humains. La frontière est une barrière autant de l’esprit que corporelle qui pointe la différence de l’autre et qui, pour les deux pays, est fondatrice de leurs identités respectives. Les peuples sont en totale autarcie donc séparés du monde.
C’est sans compter sur le sergent Lee Soo-hyeok qui, en proie à une crise identitaire due à la traversée d’un champs miné (une scène magnifique où le figuré prend forme dans une grande poésie), décide qu’il ne peut plus exister sans un autre différent et traverse cette ligne imaginaire pour aller panser les fractures nées du manque de lien entre individus.
À partir de ce moment-là, la caméra de Park Chan-wook isole le groupe de personnages qui viennent de se rencontrer par des travellings circulaires. Ces mouvements en disent long sur l’identité profonde de ces soldats abandonnés de tous, bercés d’illusions, et nous renseignent aussi sur l’avenir vers lequel ils se dirigent. La forme circulaire revenant toujours à son point d’origine, il semblerait que l’avenir soit sans issue.
Mais, pour ne rien gâcher au plaisir du spectateur, même si le hibou du plan d’ouverture semble être de mauvais augure, Park Chan-wook construit, grâce à la force de son montage, un récit formidable qui ne manque pas d’apporter, scène après scène, matière à penser le cinéma et le monde dans lequel nous vivons.
Ce qui est délectable avec JSA, c’est que l’œuvre ne se structure pas uniquement autour d’une forme filmique maîtrisée mais traite avec autant d’importance une morale née dans la dramaturgie qui permet l’éclosion d’une émotion inattendue (ce qui n’est pas toujours le cas dans la suite de la filmographie de Chan-wook, cf Old Boy, Thirst). Le film va même jusqu’à faire du spectateur, étranger sur cette zone frontalière, un tiers de l’histoire, un témoin du rapprochement humain qui vient de s’opérer là, juste devant nos yeux, lors d’un plan final magistral qui nous renvoie aux grands maîtres que sont Hitchcock ou De Palma.
Il est donc important d’aller voir JSA pour plusieurs raisons. Pour y découvrir les débuts de la puissance narrative caractéristique du cinéma de Park Chan-wook, sa première collaboration artistique avec le brillant Song Kang-ho (primé à Deauville pour ce rôle) et pour éclairer, à la lumière du passé, l’urgence sociale qui résulte d’une situation politique et humanitaire qui, comme le filme Park Chan-wook, tourne en rond.
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