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Cocktail Molotov

Publié par - 29 juin 2018

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

En cette année anniversaire de 1968, alors que certains de ses acteurs principaux ont préféré fêter le mouvement sur le tapis rouge de Cannes, plus douillet que les dortoirs de Nanterre, Malavida nous propose la réédition en salle et en DVD d’une autre vision de Mai 68, Cocktail Molotov réalisé par Diane Kurys en 1979.

Plongé dans l’atmosphère de l’année 68, le film s’attache à décrire la romance qui unie Anne et Frédéric, jeunes lycéens, dont la relation est conditionnée malgré tout par leur milieu social respectif : Anne vient de la bourgeoisie parisienne tandis que Frédéric vient d’un milieu plus modeste. On pense à une sorte de Roméo et Juliette où ce qui oppose les familles n’est pas que lutte de pouvoir à Vérone, mais, cette fois, une lutte de classes et de générations qui se réglera dans les rues de Paris.

Après que Frédéric a « bombé » la voiture du beau-père d’Anne et que cette dernière a pris position contre sa mère opposée à cette union, la lycéenne se décide à fuguer pour rejoindre un kibboutz en Israël. Elle propose alors à son amant, et leur ami commun, Bruno de l’accompagner. Frédéric se « dégonfle » de prime abord, sous la pression familiale de son père malade, avant de la rejoindre à Venise, en attente du prochain bateau pour Tel-Aviv. C’est alors qu’intervient une première désillusion dans Cocktail Molotov. Elle touche à l’idéal libertaire de cette jeunesse : pour des raisons politiques, Israël ferme ses frontières et une jeune trotskiste vole la voiture de Bruno. L’histoire de Cocktail Molotov n’est plus celle d’un exode vers un idéal communautaire, mais un long chemin sinueux vers une capitale enflammée. Alors que la trame laissait envisager un exil libérateur des personnages principaux, l’histoire collective prend le dessus et les pousse à revenir vers un environnement qui est en pleine mutation.

La particularité de Cocktail Molotov est aussi celle qui a pu soulever quelque polémique à sa sortie en 79 : le point de vue sur les événements. Plus de dix ans après les faits, Kurys propose une vision plus distanciée de Mai 68. Au cours du périple des trois personnages principaux, le conflit n’est que mentionné, périphérique (journaux, radio) à l’action. Au fur et à mesure qu’ils progressent, de Venise jusqu’à la France provinciale, ce sont alors leurs rencontres avec d’autres personnages qui dressent le portrait de la crise sociale. L’émergence d’une génération nouvelle est alors retranscrite au travers des différents personnages, spectateurs et acteurs de cette histoire collective.

Ce recentrage narratif sur l’individu permet alors une certaine ambivalence quant à l’actualité politique et sociale. Sans y être, les personnages vivent Mai 68. Ils le vivent par les rencontres qui offrent une pluralité des opinions bien moins manichéenne que celle qui réside au cœur de la lutte. À l’effet de masse, le film préfère se concentrer sur la subjectivité des personnages qui découvrent les événements par la parole d’autrui. Ils incarnent cette jeunesse qui s'ouvre au réel et s’éveille au monde (nouveau). Les rencontres avec le routier, l’ancien flic ou les bourgeois expriment avec une certaine justesse l’incertitude de la société quant à l’avenir.

Lorsque Frédéric et Bruno arrivent finalement sur les barricades, il n’y a plus grand-chose à découvrir et l’absence de son dans la scène souligne l’inconnu qui fait suite à l’affrontement. Qu’en sera-t-il de la société une fois matraques et pavés déposés ? Cocktail Molotov nous montre qu'avant d’être une révolte sociale et physique, 68 fut une révolution culturelle et sociétale qu’ils ont déjà vécu sur le chemin de Venise à Paris. Car au-delà de la frustration de ne pouvoir faire une « alyah », les personnages vivent à leur manière les principaux changements revendiqués par ladite « génération 68 » qui allaient faire basculer la société française. Que cela vienne de l’iconoclasme face aux institutions politiques ou religieuses, de la libération des mœurs ou des questions de politique familiale, toutes sont vécues par nos Jules et Jim baby-boomers. Ces derniers pourront en jouir sans entrave de la même manière qu’ils devront en affronter les conséquences comme le démontre le film.

Réalisé en période post-68 (1979), Cocktail Molotov a su amener une vision moins angélique de la lutte étudiante. Peut-être une vision plus proche de ceux qui n’étaient pas en son cœur parisien.  Sous les traits un peu grossiers de l’amour naïf, le film dévoile la triste réalité d’une société en plein bouleversement dans ses plus beaux comme ses plus discutables aspects. À la manière d’un cocktail molotov, de petites choses anodines peuvent devenir dévastatrices quand le mélange devient incontrôlable.

Crédit photo : © Malavida

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