Splitscreen-review Image de Woman at war de Benedikt Erlingsson

Accueil > Cinéma > Woman at war

Woman at war

Publié par - 10 juillet 2018

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Le cinéma nous offre chaque année, et c’est bien heureux, son lot de surprises. Au cours du dernier Festival de Cannes, l’une d’entre-elles nous fût proposée par le réalisateur islandais Benedikt Erlingsson. Sélectionné à la Semaine de la critique, Woman at war fait partie de ces œuvres difficiles à catégoriser. C’est à la fois son charme et sa finalité. Ne pas être étiqueté pour toucher au plus grand nombre.

Halla, une quinquagénaire islandaise, lutte bec et ongle contre l’industrie lourde qui défigure les paysages de son pays. Elle prend tous les risques pour protéger cet environnement si particulier. Mais la possibilité inattendue d’adopter une petite orpheline, et ainsi de réaliser son rêve de devenir mère, complique grandement son combat…

Le récit d’Halla démarre par un sabotage de lignes haute-tension qui a pour but de déstabiliser le fonctionnement d'une usine d’aluminium. Cette scène, en plan large, nous montre Halla, arc à la main, devant un pylône trop grand pour tenir dans le cadre, le tout avec une musique qui évoque un épisode militaire. Le ton de l’aventure d’Halla est ainsi clairement présenté. Un être qui décide d'affronter un géant ? Les connotations mythologiques affluent alors à l'esprit. Observons donc quelle sera sa fronde.

Le parallèle ne s'arrête pas là. On retrouvera régulièrement dans l'image des éléments visuels qui, dans l'artifice qu'ils convoquent, invitent à la réflexion. Le plus flagrant d'entre eux se manifeste par l'apparition dans l'image filmique de l'orchestre qui interprète la bande originale de Woman at war. La présence des musiciens devant la caméra leur octroie un rôle équivalent au chœur présent dans le théâtre antique grec. La figuration de l’orchestre dans l’image a pour fonction, ici, d’expliciter, par la musique, les sentiments et motivations de Halla. Woman at war fait ainsi d’Halla l’héroïne d’une pièce épique qui affronte des géants en assumant un rôle citoyen.

Le choix de la marche militaire expose la détermination d’Halla. Cela rappelle certains films de guerre qui présentent une résistance organisée contre un régime oppressif. Tout comme dans ce genre cinématographique, les héros de Woman at war agissent en secret et avec de faibles ressources contre une entité tentaculaire aux moyens apparemment considérables. Les armes d’Halla se résument à un arc en bois et des lettres tapées à la machine. Son ennemi, en revanche, exploite les médias de masse et dispose de gadgets dernier cri. La fameuse héroïne semble un peu dépassée par la logistique qui s'empare des événements qu'elle a provoqués.

Woman at war ne se refuse pas, malgré son sujet ô combien sérieux et important, d'installer quelques péripéties directement puisées dans une veine comique. Le rire provoqué ici a pour vocation d’exorciser ce qui peut relever d’un catastrophisme ambiant qui alourdirait le propos. Ainsi, le spectateur rit de voir le même personnage se faire continuellement arrêter à la place d’Halla. Toutes ces mésaventures relèvent cependant de décisions prises par un régime politique qui autorise les arrestations arbitraires. Dans la même logique, il est amusant de constater que le spectateur a pu se tromper quant à la nature de tel ou tel individu. Le spectateur se méfie de tout comme l’héroïne et devient aussi paranoïaque qu’elle. En y réfléchissant, donc, la situation ne prête pas vraiment à rire.Les enjeux politiques qui déterminent la trame de Woman at war entraînent le récit sur le territoire du tragique. Il est question principalement de l’influence du réchauffement climatique sur le quotidien des prochaines générations. Halla est désireuse de devenir mère. L’adoption de Nika, le petite fille, est un des fils rouges de Woman at war. L’enfant devient un symbole. Celui d’une humanité future qu’Halla cherche à sauver ou, au moins, à préserver.

Nous ne sommes pas loin ici de la métamorphose du personnage d’Anna Magnani dans Rome ville ouverte. Lorsque cette dernière meurt dans la rue sous les balles allemandes ou italiennes, elle quitte son rôle de personnage, son rôle de mère, son rôle de femme pour devenir le symbole des populations civiles martyrisées. Le combat et la trajectoire d’Halla se rapprochent de cette logique dans Woman at war. Le spectateur s’identifie ainsi au personnage d'Halla et il réfléchit à la parabole suggérée par la situation que le film dépeint. Il y a aussi une dimension politique, donc, puisque, sur le même principe que celui mis en place par Rossellini, il est question de faire changer d’état le spectateur pour qu'il devienne tour à tour participatif et observateur. De fait, voir Woman at war revêt une importance autant cinématographique que citoyenne.

Crédit Photo : Copyright Jour2fête

Partager