Splitscreen-review Image de La vengeance aux deux visages de Marlon Brando

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La vengeance aux deux visages

Publié par - 12 juillet 2018

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Il existe, parmi les comédiens adoubés pour la qualité de leur travail d’interprétation, quelques téméraires qui se sont risqués à mettre leur réputation en jeu en passant à la réalisation. Certains se sont installés dans ce nouveau rôle avec bonheur : Eastwood, Redford, Costner, par exemple, alors que d’autres, même si l’expérience fut probante, se limitèrent à une seule et unique œuvre : Laughton, Vanel ou encore Finney. Considéré par beaucoup comme le plus grand comédien de cinéma de toute l’histoire, on occulte, souvent par omission, que Marlon Brando est devenu, avec La vengeance aux deux visages, lui aussi, le metteur en scène d’un seul film.

Cet oubli est sans doute la conséquence de ce que Brando laissait lui-même entendre sur cet essai. Il faut dire que La vengeance aux deux visages est une œuvre singulière à bien des égards. D’abord par les talents qui se sont succédés afin de permettre au court roman de Charles Neider de voir le jour. Le premier à avoir travaillé sur l’adaptation filmique du livre n’est autre que Sam Peckinpah, alors inconnu, qui allait devenir le cinéaste que nous connaissons. La vengeance aux deux visages devait ensuite être réalisé par Stanley Kubrick. Le cinéaste fut remercié pour divergences d’opinion avec Brando qui voyait, lui, dans le sujet, quelque chose de tellement intime qu’il ne pouvait se résoudre à accepter d’autres interprétations de l’histoire.

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Au chapitre des singularités de La vengeance aux deux visages, notons également sa production qui, de 6 semaines de tournage initialement prévues, a vu sa durée de tournage passer à 6 mois. À ce moment-là, Brando est en possession de près de 90 heures de rush dont il tirera un montage de 5h. C’est trop pour la Paramount qui décide alors de remonter le film et de procéder à quelques coupes drastiques pour en faire la version de 2h21 que nous connaissons aujourd’hui. Insatisfait de la fin envisagée par Brando, un an après le tournage, le studio Paramount décide également de filmer un happy end qui ajoute à l’instabilité narrative globale (coupes et scènes tournées dans l’apostériori font rarement bon ménage avec intentions premières).

La vengeance aux deux visages conserve cependant quelques charmes qui en font autre chose qu’un film à ranger au rang de simple curiosité. Parmi ceux-ci, avançons que La vengeance aux deux visages emprunte autant aux récits de l’Ouest américain qui ont peuplé et nourri l’imaginaire d’une jeune nation qu'aux récits mythologiques. N'oublions pas que ces récits ont contribué à édifier des légendes qui se confondent parfois, souvent même, avec l'histoire des États-Unis. Rio de Sonora, alias The Kid (Marlon Brando), fait équipe avec son compère, plus âgé, Dad Longworth (Karl Malden). Tous deux, pour vivre, pillent des banques. Lors de l’attaque de l’une d’elles, ils sont poursuivis par les autorités mexicaines. Coincés dans l’aridité d’un décor qui prend des allures de théâtre antique, les deux amis doivent se séparer. Dad est chargé de récupérer des chevaux frais dans un ranch voisin et de revenir pour sauver le Kid. Bien sûr, il ne reviendra pas et le Kid croupira pendant 5 ans dans la prison de Sonora où il aura le temps de mûrir sa vengeance.

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La vengeance aux deux visages affiche, malgré la fragilité qui résulte des différentes interventions qu’il a subies, de multiples intérêts. Le revoir aujourd’hui dans cette superbe copie proposée par Carlotta Films permet d’ailleurs aisément de distinguer les moments où les coupes souhaitées par la Paramount parasitent le développement dramaturgique de l’intrigue. Des ellipses, pourrait-on penser. Mais certaines transitions entre les séquences sont trop brutales pour être honnêtes. Elles introduisent des ruptures rythmiques qui sont trop conséquentes pour se conformer à la temporalité quasi romantique introduite par Brando dans le filmage et perceptible dans de nombreux plans. La vengeance aux deux visages a donc toutes les qualités et les défauts (indépendants de la volonté du créateur de l’œuvre) de ces films mutilés pour correspondre à des exigences commerciales. Ce qui, généralement, ne sied guère aux intentions artistiques.

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La vengeance aux deux visages est, par sa trame, une variation sur l’histoire de Pat Garret et Billy the Kid. C’est l'histoire de deux outlaws séparés par le sort, le temps et des buts divergents et qui vont être amenés à se combattre jusqu’à la mort. Le film se propose d’être un point de convergence entre la chronique (de l’Ouest américain) et le mythologique (les intentions que l’on a bien voulu prêter à ces chroniques). L’histoire de la conquête de l’Ouest telle que les Américains l’ont racontée, puis filmée, est hantée, dans sa structure, par les mythes occidentaux et la Tragédie grecque.

Les noms et surnoms des deux personnages en disent long : Dad et the Kid, le père et l’enfant. Ils instaurent d’emblée un rapport filial qui deviendra une lutte aux accents œdipiens entre un gamin (qui doit grandir) et son père de substitution qui doit être vaincu pour que la construction du Kid s’accomplisse.

On imagine volontiers que le film pensé par Brando reposait sur l’exploration des conflits affectifs qui habitent les personnages et influent sur leur comportement. Il en subsiste d’ailleurs des traces prononcées lorsque the kid, sévèrement châtié par Dad, se réfugie dans une anse côtière à proximité de Monterrey. Il partage alors, le temps de sa convalescence, une cahute avec des pêcheurs chinois qui acceptent de les héberger, lui et ses compagnons. Ce qui se doit d’être soigner ici est autant physique que psychique.

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Seul face à l’océan Pacifique, le Kid va devenir un homme. Acculé aux confins du monde, le Kid n’a d’autre choix, pour se construire, que d’affronter ses démons intérieurs. On notera, dans quelques scènes, les interférences souhaitées entre la puissance des vagues en arrière-plan, véritable baromètre de l’importance des souffrances psychologiques, et l’attitude du Kid teintée de mélancolie devant l’évidence de la finitude des choses et la prise de conscience de sa métamorphose.

L’émancipation du Kid a été contrainte par l’abandon vécu au début de La vengeance aux deux visages. Les effets de ce choix, effectué par Dad, auront un impact sur la structure identitaire du Kid. Le père impose une séparation à l’enfant. Mais pour que le Kid puisse se résoudre à se séparer de la figure paternelle, il faudra, selon des principes œdipiens, passer par une rupture affective et physique irréversible que le Kid devra, cette fois, lui-même mettre en action.

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La vengeance aux deux visages est une œuvre relativement complexe. Le film a également le grand mérite de marquer la fracture qui opère dans la personnalité civile de Brando et laisse augurer des conséquences que ce changement de perception du monde aura sur sa carrière. Brando est alors un acteur craint, adulé et respecté. Il se transformera, à partir de ce film, en individu qui laissera entrevoir quels tourments intérieurs feront de lui l’homme qu’il fut dans les dernières années de sa vie.

Splitscreen-review Image de La vengeance aux deux visages de Marlon Brando

Comme de coutume avec l'éditeur, la copie de La vengeance aux deux visages est splendide.

Pour ce qui est des suppléments, ils se limitent à une brève mais très instructive présentation du film par Martin Scorsese. Le cinéaste américain détaille rapidement mais efficacement quelques éléments indispensables pour saisir les enjeux qui se dissimulent derrière la production du film.

Nous trouvons, pour finir avec les compléments vidéo, la bande annonce de La vengeance aux deux visages.

Pour conclure, ajoutons que l'édition Prestige concoctée par Carlotta Films comprend quelques surprises qui viennent ajouter au plaisir du collectionneur : affiche, lobby cards et fac-similé du dossier promotionnel d'époque.

Splitscreen-review Image de La vengeance aux deux visages de Marlon Brando

Crédit photographique : Copyright D.R.

Suppléments :
- le fac-similé du dossier promotionnel d'époque
- l'affiche du film (40 x 60)
- 12 reproductions de lobby cards
Introduction de Martin Scorsese (HD sur le Blu-ray)
Bande-annonce (HD sur le Blu-ray)

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