Splitscreen-review Image de Paranoïa de Steven Soderbergh

Accueil > Cinéma > Paranoïa

Paranoïa

Publié par - 16 juillet 2018

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Directeur de la photographie, producteur, showrunner, monteur, le réalisateur « couteau-suisse » Steven Soderbergh est presque une société de production à lui seul. Après avoir revu le film de casse à la Ocean’s Eleven sous un angle moins « sophistiqué » avec Logan Lucky puis l’avoir envisagé sous un angle plus féminin avec la production de Ocean’s Eight, le cinéaste revient dans les salles obscures avec une production à petit budget : Paranoïa.

Paranoïa est l’histoire de Sawyer Valentini, archétype de la jeune femme active, célibataire dont le quotidien se résume à son ascension professionnelle, les salades sur le pouce et les aventures d’un soir. Cette situation dissimule un passé de femme harcelée qui n'a jamais réellement quitté l'esprit de Sawyer. Lorsqu’elle se décide à en parler à une thérapeute, elle se retrouve enfermée contre son gré dans une institution psychiatrique. Cerise sur le gâteau, l’un des infirmiers de l’institution semble être son ancien harceleur dissimulé sous une nouvelle identité. Sawyer n’a alors d’autre choix que de tenter de convaincre l’institution que cet homme représente un danger et, en même temps, elle doit convaincre qu’elle est saine d’esprit…

…mais l’est-elle vraiment ?À la manière de son précédent thriller psychologique, Effets Secondaires, Soderbergh nous plonge à nouveau dans une atmosphère instable et anxiogène dans laquelle le spectateur est tiraillé entre la pure folie de la protagoniste, le plan machiavélique de l’antagoniste et la suprastructure malhonnête aux actions proches d’une théorie du complot.La mise en scène de Paranoïa joue sur ces trois aspects mais avec différents traitements :

À l’image, elle installe dès le début du film un certain climat oppressant autour du personnage de Sawyer. La voix-off d’un homme, apparemment amoureux, s’accorde à un plan subjectif en travelling qui erre dans une forêt entre chien et loup. À cette séquence se juxtapose le générique de début, dans lequel le spectateur endosse la position d’un voyeur. Le générique de Paranoïa est constitué de longs plans qui épient Sawyer dans son quotidien et laissent envisager une dramaturgie nourrie par la question du harcèlement.Mais ce climat voyeuriste s’estompe quand nous pénétrons dans l’histoire de Sawyer. Place alors à un montage qui souligne la possible démence de la protagoniste. À chaque passage où Sawyer entre en contact avec d’autres personnages, le montage ouvre et ferme la séquence sur des plans larges des interlocuteurs et instaure un lien de communication réel entre les personnages. Cependant, lors de leurs conversations, l’usuel champ-contrechamp s’efface et ce sont alors des gros plans de face des deux personnages qui établissent une séparation entre eux, une sorte d’incommunicabilité. On notera particulièrement la scène de thérapie entre la psychiatre et Sawyer, élaborée à partir de l’accumulation de gros plans qui soulignent une vision subjective des événements. La scène prend fin lorsque Sawyer signe la décharge (sans lire les petits caractères). Cette-fois, un plan moyen de profil montre les deux personnages et semble plus proche de l’objectivité ou, du moins, s’intéresse davantage à ce qui arrive concrètement à Sawyer, plus qu’à ce qu’elle ressent.

L’atmosphère instable de Paranoïa est d’autant plus manifeste par l’usage du téléphone portable (Iphone 7 Plus) qui fait office de caméra et par le format d’image choisit. Paranoïa est presque un retour aux sources de l’œuvre de Soderbergh. Le format du film est proche des séquences filmées au caméscope de Sexe Mensonge et Vidéo qui interrogeaient déjà sur la question du voyeurisme qui touche tout spectateur au cinéma.

Dans Paranoïa, l’usage de grands angles pour portables (Moment Lens) ajoute à l’aspect voyeuriste et intensifie la profondeur de champ ; elle-même devient un élément qui participe du sentiment oppressant par addition au format de l’image 1.56 :1. La profondeur de champ crée un cadre qui enferme le personnage principal à l’instar de l’institution. Ce type de cadre devient d’autant plus pertinent quand on considère la polysémie du terme anglais frame, qui, lorsqu’il est nom, définit le cadre, mais qui, lorsqu’il est verbe, peut aussi signifier « être victime d’un coup monté ». Avec Paranoïa, Soderbergh parvient donc à nouveau à considérer le rapport entre l’écran et le spectateur.

Paranoïa est ainsi un thriller psychologique qui interroge davantage sur cette ambivalence entre le subjectif et l’objectif que sur l’issue du récit. L’importance du dénouement se réduit au fur et à mesure du film au profit de cette quête de la vérité sur les faits et sur ce qui n’est que le produit d’une psychose. Cette instabilité se retrouve d'ailleurs dans le titre original du film, Unsane, néologisme qui pourrait se situer entre le sain d’esprit « sane » et le fou furieux « insane ».

Crédit photographique : Copyright Fingerprint Releasing / Bleecker Street

Partager