Splitscreen-review Image de Dark River de Clio Barnard

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Dark River

Publié par - 19 juillet 2018

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Dark River, le nouveau film de Clio Barnard, confirme tout le bien que l’on pouvait penser de la réalisatrice britannique révélée par The Arbor et Le géant égoïste. La cinéaste filme à nouveau avec talent le Yorkshire et y déploie une histoire aux allures de conte tragique. Dark River c’est l’histoire d’Alice qui revient dans son Yorkshire natal pour prendre en charge la ferme familiale que son père lui avait promise. Mais son frère Joe, usé par les années à s'occuper de l'exploitation et de leur père malade, estime quant à lui que la propriété lui revient.

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Cette situation de départ pourrait se limiter au développement d'une désagrégation du tissu familial pour des questions matérielles mais, en réalité, il en est tout autrement. D’abord parce qu’au-delà de la valeur de la ferme, les liens qui unissent et désunissent Alice et Joe excèdent les limites du matériel. Tous deux ont été victimes, à différents niveaux, d’une relation filiale qui les unit profondément par la nature du trauma vécu et qui a mis en place un processus de destruction identitaire qui les a éloignés l’un de l’autre.

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Lorsque Alice ressurgit, c’est tout le passé que Joe voulait refouler qui refait surface. Alice, revenue du monde réel, ravive les fantômes qui ne sont jamais évanouis. La ferme est à l’image des protagonistes. C’est une zone sinistrée qui traduit la douleur intime d'êtres totalement dévastés par ce qu'ils ont vécu dans leur enfance. Joe ne peut se soustraire à ce qui a été et qui, d’une certaine manière, vit encore puisque rien n’a été résolu. Le délabrement de la ferme est à l’image de l’état psychique de Joe. C’est finalement ce que réalise Alice en arrivant : son frère a été lui-aussi, à sa manière, victime des agissements du père.

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Dark River creuse en profondeur ce qui, lors des apprentissages de l’âge, s’installe tout au fond des êtres pour ne jamais les quitter tout à fait. Le passé, et son lot d’horreurs, ici, surgit inopinément. On ne le contrôle pas ou plus. Lorsque Alice arrive dans la ferme familiale et qu’elle entre dans la demeure vide, on pense à la main de l’amant japonais de Hiroshima mon amour. Lorsque la main s’ouvre, elle libère les souvenirs enfouis et leur lot de souffrances. Nevers se superpose à Hiroshima. Même effet sur les temporalités ici : le temps des meurtrissures passées s’invite dans le présent. Alice, contrainte par les aléas de la vie, la mort du père, revient aux sources du trauma pour finalement faire ce qu'elle n'était pas en mesure de réaliser 15 ans plus tôt.

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Dark River connaitra un dénouement expiatoire. Rien ne se dira par les mots mais tout s’exprimera dans les actes. Le frère et la sœur, enfin, par des actions conjointes et tacites réussiront à évacuer ce qui les rongeait de l’intérieur. La scène est belle. Une véritable scène de conte. Nous sommes en forêt et, dans le conte, c’est le lieu de l’affrontement des dangers, des peurs ; c’est l’espace qui sert à marquer les étapes de l’évolution de l’individu. C’est donc là et non pas derrière un hypothétique miroir qu’Alice va tenter de se délester de ce qui la détruit, elle, tout comme son frère d'ailleurs, intérieurement.

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Le conte est évoqué puisque l’émancipation de Joe et d’Alice a été interrompue par ce qu’ils ont vécu. Il convient donc de reprendre la phase de construction identitaire où elle a été suspendue. Dès lors, Dark River délaisse le champ réaliste pour s’appliquer à redéfinir le paysage filmique élaboré jusqu'ici. Contrairement aux incursions d’Alice vers cette source où elle se baigne pour échapper à son monde et revenir aux origines afin de se donner une chance de pouvoir recommencer (position fœtale adoptée lors de sa première baignade), la forêt se transforme et devient terrifiante. Il n’y manque plus que l’ogre dont il faudra se débarrasser pour passer à autre chose et enfin se construire.

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Car ce qui compte dans Dark River, c’est la possibilité enfin de dire, de raconter ce qu’il s’est passé. Nous n’avons pas toujours besoin des mots pour cela, les images peuvent suffire. Aux souvenirs qui s’imposent sans crier gare, il faut convoquer d’autres images pour que ces dernières, choisies par Joe et Alice cette fois, occultent définitivement les précédentes et puissent permettre enfin aux protagonistes de se libérer de ce qui les hante.

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Crédit photographique : Copyright Ad Vitam

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