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Under the Silver Lake

Publié par - 10 août 2018

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

En 2010, David Robert Mitchell réalisait son premier long métrage intitulé The Myth of the American Sleepover, une comédie dramatique habile. Quatre ans plus tard sort son film d’horreur It Follows qui lui valu une consécration critique internationale. Cette année 2018 voit le jeune réalisateur devenir presque un familier du "grand public" avec la sélection en compétition au Festival de Cannes de Under the Silver Lake. Avec ce troisième film, Mitchell confirme certaines tendances quant à ses intentions cinématographiques et se positionne parmi les plus fins observateurs de cet âge que l'on dit ingrat.

Des banlieues de Détroit à Hollywood, il s'intéresse à la jeunesse américaine, à ses désillusions et aux méfiances que les jeunes générations développent vis-à-vis de leur pays et du monde en général. Cette auscultation a commencé avec les tranches de vie d’adolescents à l’aube de l’âge adulte dans Sleepover. Ensuite, It Follows présentait un casting aux contours similaires mais le film détruisait leurs affabulations érotiques et sentimentales de jeunes adultes à travers une métaphore des maladies sexuellement transmissibles qui les contraignait à se confronter à Thanatos plus qu'à Eros. Avec Under the Silver Lake, le réalisateur reprend certains de ces ingrédients pour les intégrer à un milieu complètement différent : la West Coast de Los Angeles et, surtout, Hollywood et les fantasmes que ce nom évoque.

Le personnage principal se prénomme Sam (Andrew Garfield). Alors qu’il vient de faire connaissance avec sa voisine Sarah (Riley Keough) qu’il semble affectionner particulièrement, celle-ci disparaît littéralement du jour au lendemain. Bien que chômeur, fainéant et plus prompt à s'adonner aux plaisirs du corps et aux jeux vidéo qu’à la recherche d’un emploi, Sam va tenter de retrouver Sarah dans ce labyrinthe de béton qu’est Hollywood. Sa quête le plonge ainsi dans les profondeurs obscures de Los Angeles et d'un monde contaminé par des fantasmes de cinéma. C'est d'ailleurs ce que suggère bien le titre du film en évoquant ce qui se trouve dissimulé sous Silver Lake, quartier d’artistes et hipster à l'extrémité du fameux Sunset Boulevard.

À travers un grand nombre de références cinématographique, Mitchell traite Los Angeles comme un décor qui épouse les contours de la mythologie du 7ème art. Outre les nombreuses affiches de classiques du cinéma dans l’appartement de Sam, la réalisation de nombreuses scènes évoque d’autres films. Les premières minutes d'Under the Silver Lake présentent le héros en train d’espionner ses voisins avec des jumelles depuis son balcon et ne sont pas sans rappeler le fameux Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock ou Body Double de Brian De Palma. La traque en voiture de Sam fait penser aux filatures de James Stewart dans Vertigo du même Hitchcock. La tombe de ce dernier est d’ailleurs visible à un moment. On se retrouve ainsi dans un film sombre et ténébreux à l’image de ceux qui ont contribué à forger l’histoire d’Hollywood.

Pourtant l'atmosphère lancinante d'Under the Silver Lake, où réalité et cauchemars deviennent difficiles à distinguer, donne une impression onirique, voir psychédélique, à l’image d’un film de David Lynch ou de Inherent Vice de Paul Thomas Anderson. Toutes ces références et les discussions des personnages à propos des stars d’autrefois ajoutent au climat nostalgique profond qui s’empare des habitants de la cité des anges.

Dans Under the Silver Lake, la ville de Los Angeles telle qu’elle est aujourd’hui nous est présentée à travers les yeux de ce jeune homme désabusé. La ville entière semble être un enfer que chacun essaie de fuir d’une manière ou d’une autre. Tout n’est que violence, sexe et blasphème. Même le club nommé Purgatoire est fréquenté par un groupe décadent baptisé Jésus et les fiancées de Dracula (une chanteuse du groupe n’a d’ailleurs aucun scrupule pour organiser une fête à la gloire du vampire dans une crypte). Association perverse du sacré au monstrueux sous couvert de faire référence à un classique du cinéma dont ils n’ont visiblement que faire. Les membres ont conscience que la référence exacte est La fiancée de Frankenstein de James Whale mais comme ce n’est pas très vendeur, autant changer. C’est ainsi un double blasphème envers Dieu et, surtout, envers le cinéma présenté comme fondement spirituel du Hollywood contemporain. Un monde qui, délibérément, occulterait ses origines pour s'oublier dans une iconoclastie sans but réel.

Les actrices, icônes de cette religion locale, ont un rôle plus pervers dans cette nouvelle forme sociétale. Toutes  sont montrées sans avoir eu, visiblement, d’autre choix que de se prostituer avec une passivité étrange. D’ailleurs, dans ce Los Angeles infernal, toutes les femmes sont sur-sexualisées. La caméra dévoile ainsi moins le visage des femmes que leur corps, de la voisine vivant topless à la tueuse en série masquée et dénudée. Les success-story de stars qui inspiraient les jeunes acteurs ne font plus figures de modèles. Elles ont été désormais remplacées par des histoires de criminels dont les noms sont gravés dans les rues et imprègnent les esprits en lieu et place des fameuses étoiles du Boulevard.

David Robert Mitchell, avec Under the Silver Lake, ne fait pas simplement un film À Hollywood mais SUR Hollywood. Le récit de Sam est à l’image des films noirs explorant les bas-fonds de l’Amérique. La plupart des ingrédients de cette aventure semblent faire écho au film inachevé de George Cukor Something's Got To Give jusque dans certains plans. Sa réalisation fut interrompue par le décès de Marilyn Monroe. Ce n’est pas par hasard que Sam chavire lorsqu'il voit apparaître dans la piscine de sa résidence, telle une naïade, une jeune femme blonde platine, pétillante et sexy qui surgit comme le personnage de Marilyn dans le film de Cukor. De plus, que le personnage de Sarah s’évanouisse ensuite comme un fantôme (évocation de Madeleine dans Vertigo ou comme Marilyn dans la vie) n’est pas sans souligner quelque lien de parenté avec le dernier âge d'or du cinéma américain. En ce temps, Hollywood incarnait une idée du rêve américain jusqu’à ce que celui-ci s’effondre en raison d’un réveil trop brutal initié dans les années 50 et matérialisé dans les années 60. Peut-être qu’à travers le personnage de Sarah, Sam pense revivre une part de félicité que semblait promettre Hollywood à toute une génération. Mais, au fil de son aventure, Sam se rend compte que ce rêve américain cache une réalité sordide, plus profonde, dissimulée sous le lac d’argent.

Crédit photo : © courtesy of A24/Le pacte

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