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BlacKkKlansman

Publié par - 24 août 2018

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Nombre de polémiques et débats ont suivi la sortie de Black Panther autour de son casting majoritairement afro-américain et réalisé également par un cinéaste issu de la même communauté. Une polémique qui semblait occulter que dans les années 70 fleurissait sous le nom de blaxploitation toute une production de films (avec quelques réussites notables comme Foxy Brown ou Shaft) réalisés par des équipes constituées, elles aussi, d’Afro-américain. Rien de très nouveau à ce niveau donc et Black Panther n'est pas le film "révolutionnaire" qu'on a bien voulu voir. Sur ce terrain-là, sans être non plus un film avant-gardiste, BlacKkKlansman de Spike Lee est bien plus intéressant.

Tiré d’une histoire vraie, BlacKkKlansman permet à Spike Lee de revisiter non seulement quelques aspects du genre mais, surtout, il lui autorise d'ausculter le climat social des États-Unis post-droit civiques. Dans BlacKkKlansman, Ron Stallworth (John David Washington) est le premier policier afro-américain de la ville de Colorado Springs. Il décide d’infiltrer la branche locale du Ku Klux Klan dans l’hypothèse d’une possible attaque de ces derniers contre les « minorités visibles ». Facilement identifiable par ses origines ethniques, il aura pour avatar sur le terrain son collègue Flip Zinnermann (Adam Driver) tandis que lui se chargera des conversations téléphoniques et de la stratégie à employer.

Ainsi Spike Lee revient à un certain cinéma engagé qui avait grandement contribué à sa popularité dans les années 80/90 avec des films comme Do the right Thing ou Malcolm X. Il y a cependant une différence notoire entre BlacKkKlansman et les films de cette époque : Spike Lee adopte un regard plus distant sur les années 70 et laisse le soin à sa mise en scène de servir un propos qui, sous des airs de comédie, ne perd rien de son militantisme.

À ce titre, BlacKkKlansman s’ouvre sur un passage de Gone with the Wind qui présente des blessés sudistes pendant la guerre de sécession et se termine sur le drapeau confédéré. Cette séquence laisse place à un film de propagande d’un suprémaciste blanc des années 50 dont le discours paranoïaque est tourné en dérision par des interruptions, des balbutiements tandis qu’est projeté, en arrière-plan, le controversé Naissance d’une Nation de D.W. Griffith.  Au-delà du comique qui sert à décrédibiliser le discours de haine, Spike Lee souligne sa position d’homme et de cinéaste quant à deux films fortement controversés de nos jours quand bien même s’ils demeurent des piliers du cinéma américain.

Par cette manière de tourner en dérision certains des personnages de « l’Organisation », Spike Lee pointe ce qui peut conduire un individu ignorant et peu éduqué à devenir un Klansman de première catégorie. Prenons en exemple deux cas, les personnages d'Ivanhoe et Felix : le premier est à la limite de l’attardé mental alors que le second épouse le profil du redneck raciste, antisémite, adepte des armes et des thèses complotistes voire négationnistes. Cependant, ces portraits (presque ?) caricaturaux soulignent le véritable danger que constitue l’organisation. Car la base n’est que paraître, apparence et finalement masque la persistance d’idées funestes enracinées en profondeur dans la société américaine. Citons à ce sujet la figure de David Duke, président du KKK dont le discours et le comportement plus édulcorés ne font que dissimuler un projet de conquête idéologique et, in extenso, de conquête politique. On comprend alors mieux la présence des deux films susnommés qui sont davantage présentés dans BlacKkKlansman non pas en tant qu’objet filmique mais comme instruments d’une certaine idéologie. D’une part la résurgence du Ku Klux Klan et des lynchages du début du siècle par une lecture littérale de Naissance d’une Nation et, d’autre part, le regard nostalgique sur Gone with the Wind, tableau représentatif des mentalités sudistes.

En parallèle de cela, Spike Lee aborde au travers du regard de Ron Stallworth la condition et le combat social des afro-américains des 70s avec certaines tendances parfois contradictoires qu’il avait déjà développées dans Do the right thing. D’une part Ron Stallworth incarne le combat pacifique d’un homme confronté à un racisme ordinaire développé par certains de ses collègues. Mais il figure aussi l’espoir d’une harmonie notamment par l'usage de la dérision qui exorcise les maux sociaux. On notera par exemple la séquence où Stallworth apprend à Flip Zinnermann le « jive » sur des textes de James Brown.  D’autre part, il y a Patrice Dumas (Laura Harrier) qui incarne une figure du combat activiste noir américain dont l’idéologie légitime du « Black power » dérive et emprunte des raccourcis du type « ACAB » (all cops are bastards). Malgré les visions divergentes, les deux incarnations arrivent cependant à s’entendre, s’apprécier et s’aimer, à partager des moments de joie comme le démontre la magnifique séquence de la boîte de nuit où tous dansent sur le rythme soul de Cornelius Brothers and Sister Rose. Car les années 70, c’est aussi une atmosphère, une esthétique singulière que Lee a pu retranscrire avec un certain brio, ne serait-ce que par le grain du 35mm, la photographie très sobre de l’époque ainsi que la composition de Terence Blanchard (éternel abonné de Lee) aux sonorités très « in ».

BlacKkKlansman assume, et ce sont-là les qualités majeures du film, la présence de subtils éléments filmiques (formels ou dramaturgiques) qui catapultent les années 70 contre notre époque contemporaine post-Obama. Tout en voyant ces différents éléments du passé, Spike Lee nous pousse implicitement à mettre en parallèle les combats remportés jadis et les problèmes qui subsistent ou resurgissent de nos jours. Ce qui rend notamment regrettable la dernière séquence du film qui, par l’intermédiaire d’image explicites, alourdit le propos alors qu’au départ la concordance des temps était subtile. Regrettable puisque la séquence semble confiner le film dans une actualité assujettie à l’histoire américaine de 2017. Dommage car cela dépouille BlacKkKlansman de la portée intemporelle qu'il aurait pu avoir…

… Another Spike Lee joint

Crédits photographiques : © 2018 FOCUS FEATURES et © Universal Pictures International France

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