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Redescendu du Mont Olympe où il a massacré les dieux grecs un à un jusqu’à Zeus, son père, Kratos s'est réfugié au Nord, très au Nord, au cœur de la forêt de Misgard. Après le décès de sa bien-aimé, Faye, il part en quête du plus haut sommet des 9 Royaumes afin d’y répandre les cendres de cette dernière et d’honorer sa dernière volonté. God of War se définit par une randonnée périlleuse et, surtout, un parcours initiatique pour Atreus, le fils de Kratos, élevé à la dure par un père damné et dans l’ignorance de sa propre condition de dieu.
Dès l’ouverture, God of War crie son statut de chef d’œuvre AAA : un blockbuster d'une beauté rare, un travail d'orfèvre à tous les étages et une direction artistique d'une cohérence à toute épreuve. Comme Assassin’s Creed Origins, récemment, la franchise abandonne certains attributs qui lui étaient propres pour épouser les standards du moment tant au niveau de la gestion du personnage, plus axée vers les jeux de rôle, que de la caméra à la troisième personne...
Si les amateurs des épisodes précédents sont déroutés par l'abandon de certains codes de la série, la mythologie grecque ou son approche "beat-them-all" un peu simpliste, la franchise élargit sa cible potentielle (tout en restant largement PEGI 18) et gagne en modernité. Et on ne s'en plaindra pas ici. Dès que l'on embarque (littéralement) dans le récit, on est impressionné par la puissance cinématographique de God of War. De l'unique plan séquence qui constituera l'ensemble du jeu à la bande son parfaitement distillée de Bear McCreary (Battlestar Galactica, 10 Cloverfield Lane) en passant par la caméra qui place le personnage au tiers du cadre, tout s'écrit ici selon les codes d'une expérience filmique totale.
Le titre de Sony affine son approche comme il affine son gameplay : tout tend vers moins de brutalité. S'il nous raconte toujours l'histoire d'un dieu, God of War aborde avant tout l'aspect humain de son personnage principal. En escaladant les montagnes, comme il avait gravi l'Olympe dans l'épisode 3, Kratos ne nourrit pas cette fois de quête vengeresse titanesque. Encore moins suit-il, a priori, une mission à portée mythologique. Bien sûr, sa route sera barrée par autant de dragons, serpents géants et personnalités connues de la mythologie nordique. Mais le héros cherche aujourd'hui à forcer son destin à mille lieux d'enjeux divins. Sa quête semble plus habitée d'un désir intimement contradictoire et improbable pour un dieu, un désir de normalité.
Le jeu vidéo des années 2010 affirme ses tendances. On y décèle comme des réminiscences d'imaginaire SF des années 80-90 (Mass Effect, Alien Isolation, Cyberpunk pour ne citer qu'eux). On recycle et on s'amuse des codes de l'actionner chorégraphié, brut de décoffrage et second degré (Just Cause, Uncharted). On y incarne de plus en plus souvent des personnages féminins forts et indépendants (Horizon Zero Dawn, Lost Legacy, le retour de Tomb Raider ou le futur Last of Us). On y trouve aussi beaucoup de figures paternelles.
La paternité s'impose comme un thème récurrent du jeu vidéo contemporain. Notamment parce qu'il est conçu par et pour une extravagante majorité de trentenaires/quadras masculins. Comme chez Spielberg, les auteurs cherchent souvent à développer des personnages abîmés. L'enfant arraché aux bras du joueur devient sa quête (Fallout 4, The Witcher, Heavy Rain...) et le père du jeu, ce héros souvent plein de regrets qui cherche à retrouver ou à venger sa descendance par tous les moyens. Et de compenser au passage ce par quoi il brille dans le postulat de départ de l'histoire : son absence.
Contre ces pères en quête de rédemption, comme s'ils avaient raté quelque chose, certains jeux ont su écrire des relations plus complexes et torturées. Nous parlons ici de filiations contrariées où la paternité va s'inventer dans des projections souvent tordues avec des pères qui cherchent à l'être ou à le redevenir. C'est par exemple le désir assumé de Nathan Dawkins / Willem Dafoe au début de Beyond Two Souls. C'est encore plus celui de Joel dans Last of Us auquel on pense beaucoup inévitablement.
D'abord réticent à voir son destin lié à cette fille qui n'est pas la sienne, le père de Last of Us se laissait peu à peu dépasser par son propre passé qui allait revenir le hanter, transformer malgré lui sa relation avec Ellie et, pour finir, contaminer immanquablement sa lucidité et emporter le récit dans le final irrationnel et inoubliable du jeu de Naughty Dog.
Le rapport père / fils est au cœur de Gof War. En assistant aux premières remontrances brutales de Kratos envers son fils, on imagine la relation économe et mutique qu'il a créée jusqu'ici avec lui. Pourtant, la mère maintenant partie, on comprend qu'il faudra bien que le colosse remette en cause sa méthode.
Encouragé par les belles rencontres de leur aventure (les formidables nains jumeaux, l’inénarrable et irrésistible Mimir) Atreus, lui, s'émancipera et aiguisera ses connaissances auprès de ces nouveaux protagonistes en même temps qu'il comblera l'absence de dialogue avec son paternel. Père auquel, il le sait, il devra prouver sa valeur au combat.
Au fil du jeu, Kratos abandonnera sa rhétorique bougonne. Par nécessité, il s'évertuera à lutter contre sa nature de dieu ravagé par mille vies de combats perpétuels. Et par amour pour son fils, il deviendra le père qu'il n'a jamais pensé être. Ce sera son combat le plus ardu.
C’est encore plus vrai lorsque le joueur s’écarte de la ligne droite narrative pour se perdre dans les méandres du Lac des 9 Royaumes à la recherche de quêtes annexes. Chaque retour à la barque est l'occasion (la navigation libre y contribue fortement) de poursuivre un peu plus une discussion qui permet aux personnages de s’apprivoiser l'un l'autre. Relancé inlassablement par son fils et piqué avec beaucoup d'humour par Mimir dans la deuxième partie du jeu, Kratos prendra enfin la parole pour faire ce qu'un petit garçon a toujours rêvé qu'un père fasse : lui raconter des histoires.
Ainsi, par petites touches, dans le brouillard d’une "map" peuplée de créatures hostiles, de Valkyries et de dragons à libérer, le joueur change insensiblement de point de vue. Kratos quitte la posture amère d'un dieu damné et blessé pour constater que son fils lui porte un regard ivre de reconnaissance.
Sans trop révéler le contenu en détail, l'histoire de cette famille en quête de «normalité» et d'humanité rejoindra fatalement, on s'en doute, un destin mythologique. Mais au-delà de ces promesses d'aventures divines, de combats épiques et des mondes fantastiques traversés qui resteront immanquablement dans la rétine, c'est bien l'histoire d'un dieu devenant père et d'un fils devenant dieu dont le joueur se souviendra longtemps.
Screenshots provided by : godofwar.playstation.com