The Rider - Blaq Out
Publié par Stéphane Charrière - 27 septembre 2018
Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres
Il fut un temps, pas si lointain, où le western ne faisait plus recette. Le genre est lentement tombé en désuétude à partir des années 1980 parce que l'heure était venue, pour les cinéastes, de questionner la mythologie de l'Ouest américain et d'assumer certaines responsabilités sociales et/ou politiques. Or voilà que soudainement, le genre refait surface. De récentes réussites en témoignent (The revenant, Django, Les 8 salopards, Hostiles, etc.), nous n’en n’avons pas fini avec le Western. C’est qu’au regard des transformations politiques américaines contemporaines, le Western a encore et toujours à nous en apprendre. Il est même à noter que, sans en dénaturer les codes, des cinéastes venus d’ailleurs s’en servent pour tenir un discours universaliste. C’est le cas de deux films sortis dernièrement, Les frères Sisters de Jacques Audiard mais aussi du film qui nous préoccupe ici, The Rider de Chloé Zhao.
Après une diffusion salle précédée d’une réputation qui n'a cessé de grandir depuis une sélection à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, le film nous parvient dans une belle édition DVD ou Blu-ray par l’intermédiaire de Blaq Out. Ce qui frappe d’emblée avec The Rider, c’est cette curieuse impression qui s'empare du spectateur et qui lui donne l'illusion d'assister à une visite des coulisses de l'usine à rêve qui a pendant très longtemps tiré profit du genre.
Dans The Rider, les cow-boys sont vrais. Brady Jeandreau (Brady Blackburn) est un reflet de ce qu’il est dans la réalité. Il se blesse dans un rodéo ? Qu’à cela ne tienne, ce sera le point de départ de la fiction. The Rider va à l’encontre du mythe puisqu'il ne se fait pas l'écho d'une légende mais d'une certaine réalité tamisée par des intentions de mise en scène très précises. Au cœur du film de Chloé Zhao, la volonté de voir et comprendre ce qu’est un cow-boy aujourd'hui. Il y a aussi l'ambition de comprendre ces hommes qui ne se pensent exister que lorsqu’ils portent les stigmates de leur lutte contre la Nature (animale ou tellurique).
« Je me blesse donc j’existe » semble être la morale du cavalier des temps modernes. La contemporanéité du cow-boy rejoint celle de ses ancêtres qui devaient sans aucun doute afficher les blessures subies lorsqu'ils appréhendaient la Nature au quotidien. Mais le temps a fait son œuvre et le monde a changé. C'est le cas notamment de tout ce qui touche de près ou de loin à la mythologie de l’Ouest américain. Les territoires en apparence sans frontière d’antan sont désormais balisés par des clôtures. Que ce soit lors des séances de rodéo, de dressage ou même lors de quelques échappées solitaires, l’espace est sous contrôle, domestiqué. Plus de conquête possible. Il ne reste plus qu'à exister sans perdre son âme ou, pire, sans la vendre. La liberté est définitivement sujette à caution.
Accéder à un horizon qui ne cesse de nous inviter à entrer encore plus dans l'espace ne relève plus d’une trajectoire linéaire. Le chemin est désormais différent. Il faut apprendre à composer avec les méandres de l'âme. Ce n'est plus le cheminement physique qui fait les hommes. Les accidents du quotidien doivent désormais se concilier avec l’existence, n’en déplaise à ces cow-boys qui ne s’imaginent que sur une selle. Il faut transformer la frustration en norme.
The Rider présente l’avantage de fuir une authenticité de pacotille qui aurait cantonné le film à n’être qu’un document suscitant une vague curiosité. En intégrant la réalité de la réserve indienne de Pine Ridge (lieux, faits et personnages) dans un schéma fictionnel, Chloé Zhao réussit à extraire The Rider de l’emprise de l’authentique pour traiter une question universelle : comment rester digne lorsqu’il nous devient impossible de mettre en pratique ce en quoi nous croyons.
The Rider prouve une nouvelle fois, s'il en était encore besoin, que seul le cinéma de fiction possède une force de véracité suffisante pour toucher l'essence des choses et des êtres. Cette vérité de l’art cinématographique se trouve dans la relation qui s’instaure entre le vraisemblable (décors, éléments permettant de dater le film dans l’Histoire, évocations sociales, etc.) et la pure fiction (le jeu des comédiens, le regard et la pensée du metteur en scène, la projection des émotions des spectateurs sur l’écran, etc.). La vérité cinématographique de The Rider prend donc corps dans le jeu relationnel qui existe entre la représentation et la réalité objective qui l'inspire.
The Rider témoigne une nouvelle fois que le cinéma possède, de par sa forme et sa conception, une force qui reste étrangère au flux des images banales (ou rendues comme telles) qui nous sont proposées quotidiennement. The Rider participe donc à un éloignement de l’actualité ou de l’authentique pour ouvrir sur un espace de liberté où chaque individu/spectateur peut, s’il le désire, accéder à une forme de vérité même si celle-ci est imprégnée d’un réel qui nous est inconnu. The Rider tient donc ses principales qualités dans la véracité et la justesse d’un propos mis en images
Pour ce qui est de l’image, le Blu-ray est absolument superbe et restitue à merveille le travail effectué sur les lumières et les chromatiques.
Pour ce qui est des suppléments, deux courts documents nous sont proposés sous forme d’entretien. Le premier concerne le comédien principal du film, Brady Blackburn qui revient sur sa manière d’aborder, lui qui est non professionnel, le tournage du film. Brady Blackburn évoque également son quotidien depuis sa blessure et ses espoirs. Module parfaitement en accord avec les orientations filmiques de Chloé Zhao.
Second complément, un très (trop) court entretien avec la réalisatrice ébauche quelques pistes de lecture et introduit quelques-unes de ses intentions.
Crédit photographique :
© 2018 Blaq Out
© Les films du losange
SUPPLÉMENTS :
Entretien avec Chloé Zhao à la Quinzaine des Réalisateurs (3min)
Entretien avec Brady Jandreau (11min)